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Les Âmes sœurs d’André Téchiné : de nouveaux corps à inventer

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné
Dernière mise à jour:
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Les Âmes sœurs est le 28e film d’André Téchiné comme réalisateur. C’est un film de corps, de relation à réinventer. Surtout, c’est un film où la direction d’acteurs est superbe, entre émancipation d’un côté et animalité de l’autre, un film d’âmes blessées qui se retrouvent, un film sans passé qui se donne un avenir. Les personnages incarnés par Noémie Merlant et Benjamin Voisin inventent ensemble un nouveau langage et s’ouvrent de nouvelles perspectives, sans que le réalisateur ne les juge ni  ne les piège, mais plutôt les filme avec beaucoup d’épure.

L’homme sans passé 

« Il ne s’agissait pas seulement de s’évader mais plutôt de guérir, voire de « ressusciter ». Dans le film, il y a cette tension vers la vie avec différentes menaces de mort avec lesquelles les personnages doivent batailler pour rester debout coûte que coûte… », ces quelques mots d’André Téchiné à propos de son film, Les Âmes sœurs, en forment la note d’intention.  Avant d’être un film sur la relation entre un frère et une sœur,  Les Âmes sœurs est un film de corps qui se relèvent, qui s’émancipent, de corps qui transgressent, qui semblent filer vers la mort sans pour autant vouloir mourir (ce sont les mots de Jeanne à propos de son frère « David ne veut pas mourir »), un élan vers la vie donc. On assiste à l’écran à la renaissance de deux personnages qui doivent à la fois compter l’un sur l’autre et changer radicalement leur relation. On sent d’emblée que, si la fusion est là, quelque chose cloche dans le lien que Jeanne tente de reconstruire avec David. Elle le ramène sans cesse à son passé dont lui veut s’extirper, tout en cherchant à s’échapper. Elle ne le formule pas ainsi tout de suite puisqu’elle devient son infirmière dans un lieu confiné, à l’abri des regards, des attentes et surtout sans perspective. Comme il l’avait fait dans Quand on a 17 ans, Téchiné entoure ses personnages, les écrase presque par la montagne, par sa rudesse, surtout l’hiver. Dangereuse, envoûtante et aussi presque irréelle, la nature qui leur sert de décor dégage une puissance symbolique très forte. Les personnages luttent autant contre eux-mêmes que contre ce qui les entoure. C’est pourquoi la présence d’un troisième personnage qui intervient dans la vie du duo, un personnage qui veut partir ou qui veut mourir, qui transgresse par le corps, renforce cette impression.

Eux et nous

En inventant un nouveau langage pour se rappeler, en cherchant à s’éloigner de leur histoire que David a préféré oublier, que David ne veut pas retrouver surtout, ces deux âmes errantes finissent par retrouver leurs vielles habitudes. Pourtant, Jeanne s’en écarte quand David se heurte une nouvelle fois à leur souvenir mais avec la brûlure d’une première fois violente puisqu’il avait tout oublier. Sans faire de morale, sans trop transgresser non plus, Téchiné raconte de nouveau l’histoire de roseaux sauvages que la vie ne parvient pas à dompter. Baignés dans une lumière presque expressionniste – André Téchiné ne travaille pas cette fois avec Julien Hirsh à la photographie, mais Georges Lechaptois – les deux personnages sont plongés dans la vie, la réalité, les souffrances, mais parviennent à déconfiner leurs esprits, à s’ouvrir. André Téchiné leur offre une belle porte de sortie, une nouvelle façon de vivre comme un frère et une sœur, de se parler, de se regarder et de se libérer l’un de l’autre.  Noémie Merlant dessine dans le film des petites touches subtiles qui la conduisent vers une nouvelle lumière, une nouvelle façon aussi de se mouvoir, plus impériale, moins renfermée. Quant à Benjamin Voisin, il offre un personnage blessé, à vif, presque un animal frondeur dont les sentiments le dépassent, l’enchaînent et qui apprend, lui aussi, à se mouvoir autrement, à dire d’autres mots et accepter un « non », à construire différemment.

En s’intéressant aux corps, aux regards, à cette relation fusionnelle qu’il ne condamne jamais mais raconte par des gestes, des souvenirs inutiles car seul l’avenir comptent, André Téchiné offre un bel écrin à ses deux personnages, à ses deux acteurs, mais peine à faire réellement décoller son film, à trouver un vrai rythme, un vrai souffle. La faute à des personnages secondaires qui ne parviennent pas à exister franchement face à ces âmes sœurs qui écrasent tout ce qui existe en dehors d’elles et surtout à un scénario qui peine à prendre de la hauteur, et se veut parfois trop démonstratif, malgré de beaux moments libres et sauvages.

Les Âmes sœurs: Bande annonce

Les Âmes sœurs : Fiche technique

Synopsis : David, lieutenant des forces françaises engagées au Mali, est grièvement blessé dans une explosion. Rapatrié en France, il souffre d’amnésie et commence une longue convalescence sous le regard dévoué de sa sœur Jeanne. Dans la maison familiale des Pyrénées, entre montagnes et lacs, Jeanne tente de raviver sa mémoire, mais David ne parait pas soucieux de se réconcilier avec celui qu’il était.

Réalisation : André Téchiné
Scénario : André Téchiné, Cédric Anger
Interprètes : Noémie Merlant, Benjamin Voisin Audrey Dana, André Marcon
Photographie : Georges Lechaptois
Montage : Albertine Lastera
Production : Curiosa Films, Arte France Cinéma, Legato Films
Distributeur : Ad Vitam
Durée :  1h401
Gendre : Drame
Date de sortie : 12 avril 2023

France – 2022

Reporter LeMagduCiné