Il y a des œuvres qui nous emportent dès la première image pour ne plus nous lâcher jusqu’au générique de fin. Le temps d’aimer fait assurément partie de celles-là. Un beau film sur des sujets qui le sont beaucoup moins, à base d’amour impossible et de fuite en avant pour cacher ce que l’on est ce qu’on a fait. Sertie dans une belle reconstitution d’époque, cette fresque romanesque peut également compter sur un très beau duo de comédiens. Les passions du film nous emportent deux heures durant et nous touchent le cœur… C’est en effet le temps d’aimer. Ce film en tout cas.
Synopsis : 1947. Sur une plage, Madeleine, serveuse dans un hôtel-restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François, étudiant riche et cultivé. Entre eux, c’est comme une évidence. La providence. Si l’on sait ce qu’elle veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre avec le temps ce que François tente de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien…
Le long-métrage débute avec des images d’archives en noir et blanc nous montrant le sort réservé à celles que l’on nommait « Les putes des boches », ces femmes qui flirtaient ou couchaient avec les soldats allemands durant la guerre. Rasées, humiliées ou encore chassées, elles ont subi une véritable chasse aux sorcières à la libération. Grâce à un habile fondu entre ces images et de nouvelles pour le film, on reconnaît le visage d’Anaïs Demoustier parmi elles, au détour d’un de ces reportages d’archives. Nous sommes en 1945 et son personnage, Madeleine, était l’une d’entre elles. Puis le noir et blanc fait place à la couleur et nous emmène quelques années plus tard. Une ouverture forte et de toute beauté, malgré l’horreur de ce qui se joue dans ces images.
Cette ellipse, adroitement négociée, nous amène donc en 1952. Madeleine, mère d’un jeune bambin de sept ans, est désormais serveuse dans une brasserie normande. Elle fera la rencontre de François, joué par Vincent Lacoste, sur une plage. Les deux ne se quitteront plus malgré leurs secrets respectifs. Lui également porte un lourd fardeau que l’on ne peut percevoir grâce aux apparences. On devinera vite de quoi il en retourne, mais cela n’enlèvera rien au plaisir que l’on va prendre durant plus de deux heures. Car Le temps d’aimer est définitivement une belle fresque romanesque et tragique qui ne s’interdit pas de belles envolés romantiques.
Sur près de trente ans, jusque dans les années 80, on va suivre ce couple en fuite de lui-même. Fuir le passé, fuir sa différence, fuir une société qui évolue mais reste arc-boutée sur des valeurs qui forcent certains à se déguiser, à jouer à être quelqu’un d’autre, à cacher qui ils sont vraiment aux yeux de tous, embarrassés par la honte. D’un appartement miteux en passant par un bar pour soldats américains jusqu’à un grand appartement bourgeois parisien, Madeleine et François vont s’aimer à leur façon, se soutenir et se couvrir sur plusieurs lieux et plusieurs époques. Soudés envers et contre tous, en dépit de moultes sursauts et crises. Une histoire d’amour pas comme les autres qui nous déchire, nous étreint et nous happe à travers « Le temps d’aimer ».
La cinéaste Katell Quillévéré, découverte avec Un poison violent et Suzanne, puis célébrée avec le beau mélodrame mais pas aussi poignant qu’on l’aurait voulu Réparer les vivants, réalise là sans conteste son meilleur ouvrage. Sans jamais forcer, sans sombrer dans un pathos de mauvais aloi, Le temps d’aimer nous embarque dans le tumulte de ses passions pour ne plus nous lâcher. Chaque période ou partie du film nous offre des moments de liesse, des instants de bonheur en toute simplicité mais qui ne durent jamais bien longtemps. En effet, le poids des traditions et des bonnes mœurs ainsi que le passé rattrapent toujours les protagonistes, ne leur laissant que peu de temps et d’espaces pour souffler, pour vivre et s’épanouir.
Ce quatrième long-métrage de la réalisatrice bretonne peut bien sûr compter sur un duo d’acteurs qu’on n’aurait pas imaginés ensemble dans un film comme celui-là. Et pourtant la toujours très bonne Anaïs Demoustier trouve là l’un des plus beaux rôles de sa jeune carrière, exprimant tendresse, rejet ou frustration avec égale intensité. Et nous fait aimer son personnage, pourtant pas toujours très aimable (son comportement avec son fils notamment). À ses côtés, Vincent Lacoste étonne dans un rôle délicat à jouer et s’en tire avec les honneurs et beaucoup de justesse. Quant à la reconstitution de la France des années 50, 60, 70 puis 80, elle est de toute beauté, et ce en tout simplicité.
On n’en dira pas plus pour ne pas déflorer les surprises d’un récit chargé, mais dont chaque aspect nous stimule et nous convainc. L’émotion est prégnante à chaque instant. De beaux tableaux surgissent et marquent nos esprits tout le long du film comme cette courte romance complice à trois avec un soldat américain de couleur. Ou encore celle de disputes conjugales qui laissent paraître quelques traits d’humour bienvenus et qui adoucissent un peu la dureté du propos. Vraiment, Le temps d’aimer est un beau film à l’ancienne sans que cela soit péjoratif. Car s’il se déroule dans le passé, il n’en demeure pas moins très moderne dans ce qu’il raconte. Il peut sans hésiter se mesurer à certains de nos plus grands mélos du genre. Un petit bijou de cinéma, un grand film d’amour, quel qu’il soit.
Bande-annonce – Le temps d’aimer
Fiche technique – Le temps d’aimer
Réalisation : Katell Quillévéré.
Scénario : Katell Quillévéré et Gilles Taurand.
Production : Les films Pélléa et les films du bélier.
Pays de production : France.
Distribution France : Gaumont Distribution.
Durée : 2h04.
Genre : Drame.
Date de sortie : 29 novembre 2023.