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Killers of the Flower Moon, l’excellence irregardable ?

Fervent défenseur du cinéma, Martin Scorsese est encore plus hargneux quand il s’agit de tacler à chaque occasion les films de Super-Héros ou le contenu médiocre des productions Disney. Aujourd’hui, à l’aube de son 81ème anniversaire, le papa du Loup de Wall Street entend rappeler au monde ce qu’est le 7ème art. Dans une année où Oppenheimer, Babylon ou encore Fabelmans existent, le pari a de quoi rendre curieux ! 

Long, bonne ou mauvaise idée ?

206 minutes. Oser. Oui, il faut oser. Qui sort encore, en 2023,  un film de près de 3h30 sans que la population ne viennent y ajouter son grain de sel ? Oui, nous sommes malheureusement dans une époque ou le streaming est roi, où les spectateurs lambdas (et même maintenant les “ passionnés ”) préfèrent regarder un film sur leur télévision, téléphone et télécommande en mains. Sortir un long-métrage plus long qu’une leçon de mathématiques avec votre père un jour d’été, aujourd’hui, il faut oser. Pourtant, comme l’ont démontrées tant d’œuvres depuis les temps anciens du cinéma (Titanic, Il était une fois en Amérique, La liste de Schindler ou le récent et extraordinaire Oppenheimer) long n’est pas synonyme d’ennuyeux. Au contraire, tous les films cités passent à une vitesse folle, quand d’autres longs-métrages de 90 minutes à peine semblent interminables.

Tout le paradoxe de Killer of the Flower Moon est là. Le film démontre un talent inédit à capter l’attention du spectateur tout du long, en le laissant fortement conscient du temps qui passe.  À cela, une évidence se pose : Le nouveau Scorsese se doit d’être vu en salles. Quelqu’un d’avisé vous dira que tous les bons films se voient au cinéma et en VO. Du moins, c’est indispensable pour se forger un avis totalement objectif sur le film, débarrassé des données parasites d’un mauvais doublage/mixage français, du mauvais son d’une télé par rapport à celui d’enceintes de qualité, ou encore des lumières allumées d’un salon. Killer of the Flower Moon, c’est le genre de film qui se voit sur grand écran, parce qu’une grande majorité des gens n’en verraient pas le bout, pas d’une traite, s’ils étaient chez eux.  Ou alors, ils zapperaient quelques scènes, pour ultérieurement se plaindre de ne pas avoir compris certaines choses. Mais, rendons à « Scorsesar » ce qui appartient à « Scorsesar », Killers of the flower moon se voit en salles simplement car c’est un excellent film. Ici et plus que jamais, les longueurs restent question de subjectivité, selon les recherches du spectateur.

Le loup de Fairfax street

Soyons francs, une grande partie du public ira au cinéma pour une raison simple : le retour de Leonardo DiCaprio, revenant en force après une performance dantesque dans Once Upon a Time in Hollywood et un passage timide sur Netflix avec le plus controversé Don’t look up. Pour sa sixième collaboration avec Scorsese, l’acteur de Titanic démontre encore une fois qu’il est le roi, tant pour sa prestance à l’écran que pour l’intensité de son regard. Son personnage d’Ernest est incroyablement riche et complexe. Un peu bonnet, bien loin des hommes à l’intelligence froide habituels du comédien depuis quelques années, le protagoniste fascine autant qu’il répugne. Un monstre attachant, sublimé (et réciproquement) par sa camarade de jeu, Lily Gladstone. L’actrice  incarne à la perfection une Molly Burkhart remarquable, forte et résignée. Véritable fer de lance de l’intrigue, elle apporte une sagesse pleine de retenue et de combativité, tout en s’assurant les éloges de l’Académie en vue des Oscars. Mais, des trois acteurs en tête d’affiche, impossible de ne pas donner la consécration à Robert De Niro, acteur fétiche de Scorsese depuis Mean Streets en 1973. Imperial, dangereux, menaçant d’un simple regard, l’acteur de 80 ans continue de régner sur Hollywood. Non, si vous aviez en tête de voir le film pour son casting, vous en aurez pour votre argent.

Et ceux qui viennent pour la leçon de cinéma, promise depuis la projection du film à Cannes, qu’ont-ils ? Difficile à dire, dans un monde ou une série comme Ahsoka ou des films comme Avengers : Endgame sont considérés par certains comme de parfaits représentants du 7ème art. Mais, blague à part, hormis la longueur dont on pourrait débattre de l’utilité, difficile de reprocher quoi que ce soit à Killers of the Flower Moon. Si, on pourrait éventuellement parler de l’histoire globale, prévisible au possible et qui empêche donc ces 3h30 de passer comme une lettre à la poste. Mais dans la mesure ou elle s’est réellement déroulée, est-ce pénalisable ? Si l’on prend en compte les nombreux twists d’Oppenheimer, qui parvenait à surprendre continuellement, on serait tenté de dire que oui. Certains points de l’intrigue auraient pu être révélés plus tard, par exemple. Non, quand quelqu’un meurt, on sait qui a fait le coup (à une exception près). Quand un personnage trahit l’autre, on le voit également très vite. Scorsese choisit de montrer chronologiquement et sans ambiguïté le meurtres des indiens Osage, contrairement à ce qu’auraient fait un Nolan ou un Fincher.

L’art de mettre en scène

Oui, le film choisit de plonger le spectateur dans cette magnifique ambiance satyrique, perdant au passage ceux qui s’attendaient à un western explosif ou à une histoire au rythme aussi effréné que Le Loup de Wall Street. Ne dit-on pas que c’est le voyage qui compte, et non pas la destination ? Scorsese prend son bébé et ne lui fait faire qu’un avec ce dicton. Il sait ou il va, et plus important, a parfaitement conscience que nous le savons également. Le réalisateur va donc utiliser tout son savoir, pour mettre en scène son histoire. Décors impeccables, montage image/son aux petits oignons, photographie somptueuse et nombreuses scènes fortes, jusqu’à son troisième acte très réussi (mais là encore sans surprise). Le spectateur vit, respire presque, aux cotés de ces personnages. L’immersion et le partage de la culture du peuple, telles sont les vraies protagonistes de l’œuvre.  Et, là ou ces 3h30 sont agaçantes, c’est qu’il est difficile de dire ce que l’on aurait coupé pour de rendre l’expérience plus digeste, quand bien même on en a ressentit la durée. Peut-être une vingtaine de minutes, en additionnant tous les plans un peu trop long que l’on aurait pu couper ? Et, là encore, au vu du degré de perfectionnisme, il est évident de penser que chaque seconde à l’image est volontaire.

Résultat ? Killers of the Flower Moon aurait pu être parfait. Pour certains et pour beaucoup, il le sera. Pour d’autres (ceux qui restent jusqu’au bout, les autres ne méritent pas de donner un quelconque avis), beaucoup moins. Est-il destiné à devenir culte dans les années à venir ? Indiscutablement. Mais peut-il  trôner parmi les plus grandes œuvres du cinéma ? Le temps nous le dira. Si, objectivement et cinématographiquement parlant, on tient l’un des meilleurs film de l’année, il est fort concevable, possible même, qu’une partie du public n’y trouve pas son compte. Mais, on se disait tous la même chose du film de Nolan,  désormais réputé comme le meilleur biopic de tous les temps, et plus grand biopic au box office de l’histoire. Alors, qui sait ?

Bande-annonce : Killers of the Flower Moon

Fiche technique : Killers of the Flower Moon

Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Eric Roth / Martin Scorsese
Genre : Historique/Drame
Casting : Leonardo DiCaprio / Robert De Niro / Lily Glastone / Jesse Plemons / Brendan Fraser
Musique : Robbie Robertson
Photographie : Rodrigo Priero
Montage : Thelma Schoonmaker
Production : Imperative Entertainment/Appian Way/Apple Studios/Sikelia Productions
Distribution : Paramount Pictures
Durée : 206 minutes
Sortie : 18 Octobre 2023 en salles

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4.3