Je m’abandonne à toi : dans la forêt des hommes

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Capture écran bande-annonce du film Je m'abandonne à toi de Cheyenne-Marie Carron

Je m’abandonne à toi, le film intranquille et fervent de Cheyenne-Marie Carron, se situe dans un territoire aride et non-complaisant où le cinéma français est questionné, mouvementé et soufflé.

Synopsis : Paul, Padre à la Légion Étrangère, est immergé dans les souffrances que draine la guerre. Tour à tour, il est sollicité par des familles de mourants, des soldats tourmentés. Toujours présent aux côtés des autres, Paul tente aussi de réconforter un être qui lui est cher : sa mère.

Je m’abandonne à toi ressemble au nom de son personnage principal : Padre.

Bonté, générosité, douceur, proximité éclairée et spiritualité empathique, toutes ces vertus éclairent le film animés d’un vrai principe de délicatesse. 

Padre, c’est le nom donné à l’aumônier dans la légion étrangère.

Et le film de Cheyenne-Marie Carron prend sa source dans une idée magnifique: un prêtre aumônier à la légion étrangère accompagne- tel un sage stoïcien- de sa présence thaumaturge, de ses mots curateurs ses compagnons : soldats blessés au front, familles exposées, et sa propre mère qui « s’enfonce dans  un monde sans lumière ».

Au rythme de  voyages en train,  on suit ce héros interprété avec une humanité lumineuse par Johnny Amaro dans ses différentes visites à ses pairs en souffrance. On le voit écouter la douleur, s’y pencher avec toute la miséricorde de sa foi, on le voit offrir son cœur à la douleur des autres. Et l’on voit les autres se confier. Toute cette âme du film est forcément touchante. Même si elle peut donner l’impression de filmer un évangile sans jamais évoquer la colère, les conflits haineux, la violence destructrice. Ou plutôt si, ces passions tristes sont toutes réconciliées par l’extrême compassion du Padre.

Je m’abandonne à toi est un film singulier, profondément habité par la foi et ses vertus rédemptrices, un film traversé par l’espérance et la croyance en l’autre. C’est un film bâti surtout sur la foi dans la parole guérisseuse, le verbe est souvent matière narrative et cœur du plan. « Dis une parole, et je serai guéri. » 

Cette puissance accordée aux paroles sont à la fois la colonne vertébrale du film et sans doute aussi ce qui à un certain endroit affaiblit sa grâce .

Pris par les influences sous-jacentes de Pialat (Sous le soleil de Satan), nous ne pouvons pas ne pas penser à la silhouette en soutane de Depardieu lorsqu’on regarde ici l’acteur principal, le film assume cette comparaison sans trop en souffrir car c’est ailleurs qu’il va chercher ses références les plus notables. Cet ailleurs, c’est le dernier tiers du film lorsque Je m’abandonne à toi s’abandonne vraiment, se laisse aller à un cinéma plus pictural et minimaliste que loquace.

On est alors dans la forêt (toutes les scènes dans la nature, auprès des arbres prennent une envergure autre), on est essentiellement dans le poème de Dieu, dans son absence-présence, on est dans la peinture (second métier de la cinéaste), on touche ce que le film aurait davantage pu être si la réalisatrice s’abandonnait vraiment au cadre, lui faisant plus confiance qu’aux paroles. De fait dans ces scènes, le dialogue se raréfie, la beauté, l’énigme du Christ, les déchirures des hommes passent alors par un plan filmé de très loin, par deux hommes qui partagent le chagrin assis sur un tronc d’arbre. Avec une économie de paroles, on est dans la parole du Christ.

On sent ici poindre la beauté du cinéma en devenir de Cheyenne-Marie Caron. Il faut le souligner ces scènes, dont celle avec le berger, sont traversées de la bonté ascétique et de la sobriété sidérante de tout le cinéma de Bruno Dumont !

Nous ne pouvons qu’espérer que la cinéaste fasse le pari de la forme, celle de la peinture son autre métier pour la confier et pour ainsi dire la transposer de manière plus radicale au cœur de ses films à venir.

Bande-annonce : Je m’abandonne à toi

Fiche technique : Je m’abandonne à toi

Réalisatrice : Cheyenne-Marie Carron
Scénariste : Cheyenne-Marie Carron
Avec Johnny Amaro, Anne Sicard, Laurent Borel…
Assistante Réalisatrice : Chloé DI GREGORIO
2nde Assistante Réalisatrice : Lydie ASLANOFF
Scripte : Milena SALLERIN
Directeur de la Photographie : Julien GUERAUD
Assistant Caméra : Antonin TANNER
2Nd Assistant Cam (Nîmes) : Elias ABRIC
2Nd Assistant Cam (Paris) : Gabriel NENY
Ingénieur du son : Jérôme SCHMITT
Perchman : Baptiste GRUEL
Cheffe Décoratrice : PATTY
Costumière : Marina MASSOCCO
Chefs Régie : Olivier DELELIS, Benjamin TAUPENOT
Régisseur Adjoint : Marie-Anne SAINT PRIX, Lola BORNE (Paris)
Monteur Image : Yannis POLINACCI
Mixeur : Mikaël BARRE
Etalonneur : Michel REYNAERT
Production : HESIODE Productions
22 mars 2023 en salle / 1h 35min / Drame

Note des lecteurs5 Notes
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