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Cassandre d’Hélène Merlin : au cœur d’une famille dysfonctionnelle

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

De retour de son école militaire, Cassandre a 15 ans et vient passer l’été dans la demeure bourgeoise de ses parents. Tout dérange dans cette atmosphère et Cassandre semble s’en accommoder jusqu’à ce qu’elle se retrouve confrontée à une autre réalité et ouvre les yeux sur son statut de victime pour mieux le renverser, voire le transcender. Un conte tragique et initiatique inspiré de l’histoire personnelle de la réalisatrice, Hélène Merlin.

A la manière de Constantin Alexandrakis avec son livre Hospitalité au démon, à l’origine du projet de Cassandre, il y a les images qui obsèdent Hélène Merlin et la reproduction d’un schéma de violence qu’elle veut briser. Elle nous plonge donc dans l’esprit de Cassandre (celle qui a refusé les avances d’Apollon dans la mythologie), une « héroïne sans voix » et Hélène Merlin décide que : « puisque sa voix n’a pas été entendue, il faut entrer dans sa tête afin de voir ce qu’elle a vu » (voir Elles dormaient sous le sable, Floriane Joseph, 2024). Nous voyons donc à travers les yeux de Cassandre et sa voix off nous entraîne au cœur de son histoire. Le procédé peut paraître artificiel, mais Cassandre est un conte tragique autour d’une histoire vécue.

L’ogre, c’est le père, impeccable Eric Ruf aussi autoritaire qu’empêtré dans son rôle. Il faut attendre que le patriarche rompt le pain avant de commencer à manger. La mère (Zabou Breitman pimpante, inquiétante, touchante), participe à cette toute-puissance du père, elle qui fût autrefois féministe et lectrice d’Hara-Kiri, elle singe une existence, tout en couvant son fils comme une mère maquerelle. Et puis, il y a le frère, Philippe, dont le père exploite la moindre trace de virilité pour mieux l’écraser, et qui se réfugie dans les jupons de sa mère. Philippe adore sa petite sœur, d’ailleurs quand le film commence, elle le rejoint et il lui offre un rap de sa composition pour glorifier son retour. Plus tard, ce sera une cassette audio contenant une compilation. Cassandre l’interrompt, on va bientôt passer à table. Pour compléter ce tableau de famille, il y a les deux grandes sœurs absentes du foyer depuis leur émancipation à 18 ans, et que la mère a découpées… des photos familiales.

Cassandre semble ne pas vraiment maîtriser son corps dans ces premières images : sa mère l’épile à la cire au milieu du salon, fait des commentaires sur ses sous-vêtements, tout le monde se balade vaguement à poils. Le frère évoque sa sexualité soi-disant débridée aux États-Unis, mais qu’on sent inventée, sans aucun complexe. Tout le génie de Cassandre sera de la faire reprendre le pouvoir sur ces micro-agressions quotidiennes. Le glissement va se faire progressivement, d’abord par des instants où Cassandre, dissociée, sidérée, semble sortir de son corps et vouloir cogner, s’échapper. On est dans le fantasme de la rébellion, dans ce que le corps et l’esprit vivent juste après l’agression physique (on parle ici d’inceste), puis peu à peu, Cassandre va décider, mettre en scène pour contre-attaquer ou du moins choisir où et quand elle sera possédée. Cette mise en scène de soi comme victime qui choisit dérange, bouscule et elle est voulue par la réalisatrice, comme une possibilité d’échapper au statut de marionnette éternelle d’agressions incestueuses. On voit d’ailleurs la jeune ado devenue adulte (interprétée par Agathe Rousselle) jouer sans paroles un spectacle avec une marionnette comme un double de celle qu’elle était et qu’elle veut réparer. Au présent, Cassandre sait que l’agression arrivera, elle veut choisir quand et comment. Elle ne pense pas encore à partir.

Pour opérer ce glissement, la réalisatrice fait sortir Cassandre de l’enfer familial. À la faveur d’un élément déclencheur, Cassandre prend des cours d’équitation dans un petit centre équestre. Elle y rencontre des aidants, des personnages qui ne « crient jamais », c’est ce que la petite Maëlle dit à propos de son père Fred, le moniteur des lieux. Cassandre y rencontre surtout Laetitia qu’elle invite dans le manoir familial et très vite, sans que Laetitia ait besoin de beaucoup parler, l’indécence de ce que Cassandre vit va lui sauter aux yeux.

Cassandre est un film d’été mais sa cruauté et son décalage permanent, comme un déni de réalité qui explose, en font un drame à part entière. Pourtant, l’incongruité des situations crée également l’humour du projet avec des dialogues ciselés, improbables mais pourtant vrais. Tout est ici affaire de contrastes, de mots et de corps. Surtout, tous les objets, les sons, les lumières, participent à comprendre l’univers mental de Cassandre. Ce conte parfois simpliste (l’enfer au manoir, le paradis au centre équestre) porté par l’énergie bravache de Billie Blain (déjà aperçue dans Le règne animal) cache en vérité un grand secret, celui d’agressions perpétrées sur plusieurs années, de générations sacrifiées. Soudain, le vent Cassandre se lève et elle va tenter de vivre.

Cassandre : Bande annonce

Cassandre : Fiche technique

Synopsis : Été 1998. Campagne. Cassandre a 14 ans. Dans le petit manoir familial, ses parents et son frère aîné remarquent que son corps a changé. Heureusement, Cassandre est passionnée de cheval et intègre pour les vacances, un petit centre équestre où elle se fait adopter comme un animal étrange. Elle y découvre une autre normalité qui l’extrait petit-à-petit d’un corps familial qui l’engloutit…

Réalisation : Hélène Merlin
Scénario : Hélène Merlin, Anne-Claire Jaulin, Clara Bourreau
Casting : Billie Blain, Florian Lesieur, Laïka Blanc-Francard, Zabou Breitman, Eric Ruf, Guillaume Gouix, Shanna Keil
Photographie: David Cailley
Montage : Nassim Gordji Tehrani
Distributeur : Zinc Film
Production : Une Fille Productions, Zinc Film, France 2 Cinéma, Daylight Films
Durée : 1h43
Genre : Drame
Date de sortie : 2 avril 2025

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Reporter LeMagduCiné