Un voyage d’affaires, des projets de vacances, un déménagement à l’étranger ? Il existe de nombreuses raisons pour pousser les portes de l’aéroport et s’envoler vers d’autres horizons. Pourtant, l’incertitude règne dans ce lieu de transit, dernier bastion avant de passer la frontière, américaine dans ce contexte. Dans une ambiance anxiogène qui reflète des sentiments bien réels, Border Line nous confine dans les coulisses de cet établissement, aménagé comme un pénitencier qu’on ne souhaiterait visiter pour rien au monde.
Synopsis : Projetant de démarrer une nouvelle vie aux États-Unis, Diego et Elena quittent Barcelone pour New-York. Mais à leur arrivée à l’aéroport, la Police des Frontières les interpelle pour les soumettre à un interrogatoire. D’abord anodines, les questions des agents se font de plus en plus intimidantes. Diego et Elena sont alors gagnés par le sentiment qu’un piège se referme sur eux…
Pour un premier long-métrage, il faut avouer que le duo de cinéastes originaires de Caracas, au Venezuela, a décidé de secouer le public jusqu’au bout du suspense. Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vasquez évoquent l’immigration comme une passerelle qui affole tous les douaniers, chargés d’identifier et de rentrer dans l’intimité des voyageurs. Si le cas des États-Unis de Trump sonne comme une évidence, le sujet peut s’extrapoler à d’autres territoires, tout aussi méfiants à l’heure où les déplacements sont contrôlés et la vérité discutée. L’interrogatoire d’un couple vire rapidement à une humiliation psychologique, qui rappelle que les étrangers ne sont jamais pleinement les bienvenus. Chaque geste des agents et chaque question indiscrète deviennent un motif de stress supplémentaire pour les personnages, comme pour les spectateurs, qui n’auront pas de mal à s’impliquer émotionnellement.
Un après-midi de chien
« Que faites-vous aux États-Unis ? » Peu importe le ton employé à la douane, cette question reste de nature passive-agressive envers les étrangers de passage ou qui souhaiteraient s’y installer définitivement. Malgré un rituel bien connu des voyageurs, Diego (Alberto Ammann) s’attendait à subir un interrogatoire moins virulent et claustrophobique que chez ses beaux-parents. Il est pourtant bel et bien cuisiné à la même sauce que sa compagne Elena (Bruna Cusí). Entre les mains fouineuses des agents de la douane, le couple est rapidement passé au scanner, jusque dans l’intimité de leur vie privée. Jamais dans la surenchère, les interactions sont aussi crédibles que glaçantes. Ce qui aurait pu sombrer dans le cliché gagne en complexité au fur et à mesure que la nature de l’interrogatoire ne révèle l’impensable.
Sans effets de style remarquables, les cinéastes ont opté pour une sobriété esthétique en faveur de leurs propos. Forts de leurs expériences passées, leur témoignage est sans appel : « Il n’y a pas de rêve américain, il y a un cauchemar ». Les promesses d’une terre de fortune et paradisiaque ne sont plus d’actualité depuis un moment. Il suffit de revoir l’inventaire des situations de crise que le pays a dû gérer dans les dernières années pour justifier la névrose et la xénophibie ambiantes qui règnent. Malheureusement, cette investigation n’évolue pas dans le sens d’une éventuelle menace de ce genre. Le récit analyse froidement un système mis en place qui déshumanise les agents, quel que soit son pays d’origine. La solidarité, la fraternité ou la sororité sont des valeurs qui leur échappent au moment des contrôles. En cela, l’agent Vásquez (Laura Gomez) incarne cet état robotique et végétatif. Il n’y a fondamentalement plus rien d’humain dans son regard, on la confondrait volontiers avec Robocop ou Terminator, ce qui n’est loin d’être un compliment.
Rien à déclarer ?
Si les dialogues ont une importance capitale dans l’étude sociale que l’on fait des États-Unis, il ne faut pas négliger la finesse du montage, mettant en avant les non-dits et le malaise qui se propagent au-delà de la toile. La physicalité d’Elena transparaît donc dans un bras de fer psychologiques avec ses matons, sadiques et sans une once de respect pour sa profession artistique. Tantôt témoins et tantôt complices par impuissance, les spectateurs sont tenus en laisse par les angles des caméras et la photographie, au service du point de vue des personnages. Face aux agents chargés de l’interrogatoire ou face au couple, rapidement désarmé par les circonstances ou un léger soupçon, le sentiment de culpabilité ne peut que croître, parfois sans raison, vis-à-vis de ce tribunal officieux où même la pure vérité ne peut constituer un argument fondé. Plongé dans cette zone d’incertitude, coincé dans un établissement mal éclairé et à l’abri de tous les regards, ce casting pour entrer aux États-Unis devient peu à peu le théâtre de l’absurde. Passé un certain degré de nuances, on ne rigole plus. Le film atteint alors un tel niveau de vraisemblance que tout le stratagème du huis clos parvient à nous immerger de bout en bout. Nous sommes ainsi menottés à Diego et Elena, à leurs contradictions, leurs vulnérabilités et à leurs geôliers.
Déjà remarqué à Reims Polar 2023, puis sacralisé au Festival Premiers Plans d’Angers, Border Line n’épargne donc personne dans son huis clos, d’une transparence et d’une efficacité redoutables. Le film prend soin de détailler, dans un seul et même lieu, tout un manuel de procédure et, a fortiori, de torture pour un jeune couple hispanique dont les projets de vie sont malmenés. Sans avoir besoin de murs bétonnés à chaque parcelle de la frontière américaine, nombre de voyageurs se heurtent encore à une politique anti-migratoire, de plus en plus présente dans l’inconscient collectif. Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vasquez en tirent un thriller merveilleusement rythmé, d’une grande précision chirurgicale, sans détours ni correspondances.
Bande-annonce : Border Line
Fiche technique : Border Line
Titre original : Upon Entry (La llegada)
Réalisation et Scénario : Juan Sebastián Vásquez, Alejandro Rojas, Gabriela Lazarkiewicz
Image : Juan Sebastián Vásquez
Musique : Raquel Torras
Décors : Zelso de García
Costumes : Alice Bocchi
Son : Sordi Cirbian, Xavi Saucedo
Montage : Emanuele Tiziani
Casting : Gerard Oms
Producteurs : Sergio Adrià, Alba Sotorra, Carles Torras, Xosé Zapata
Production : Zabriskie Films, Basque Films, Sygnatia
Pays de production : Espagne
Distribution France : Condor Distribution
Durée : 1h17
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 1er mai 2024