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« Tout Truffaut » : quand Anne Gillain effeuille un héraut de la Nouvelle Vague

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

« Vingt-trois films pour comprendre l’homme et le cinéaste » : voilà la promesse, sous forme de sous-titre, adressée par Anne Gillain à l’ensemble de ses lecteurs. Pour la concrétiser, elle se livre à un exercice de mise à nu d’une pertinence rare. C’est toute la filmographie de François Truffaut qui se voit détaillée par le menu, unie après un décryptage minutieux par des thèmes ou des procédés communs, liée pour partie par des obsessions aussi tenaces que peut l’être la déconvenue d’un Antoine Doinel ou d’un Guy Montag.

Les films de François Truffaut sont comme des pièces de puzzle qu’Anne Gillain emboîte les unes avec les autres. Dès Les Mistons, qualifié de « maquette de l’œuvre à venir », elle identifie certaines récurrences formelles et thématiques en gestation. En examinant dans l’ordre chronologique les films du héraut de la Nouvelle Vague, l’auteure et universitaire interroge une filmographie renfermant autant d’obsessions que de plans mémoriels, préférant aux séquences démonstratives des jeux subtils sur le langage, le corps, l’espace, le temps, l’objet ou le mouvement. La « création comme cycle », déterminée par trois phases autobiographiques successives – la bâtardise, la gloire, la dépression –, voisine dans ce troisième ouvrage consacré au cinéaste français avec une analyse fine de mises en scène et de séquences-clés.

Dans Les 400 coups par exemple, la bâtardise traumatique de François Truffaut se voit troquée contre un adultère éventé place Clichy. C’est l’occasion pour Anne Gillain de sonder la construction dramatique de la scène, son timing, mais aussi la composition des plans ou le mouvement, voulu inconfortable, des enfants dans l’espace. Plus loin, ce sont la sexualité, l’écriture, les personnages féminins, la figure du père ou les douleurs inhérentes au personnage d’Antoine Doinel qui seront scrutés avec une extrême précision du regard. Quelques chapitres plus tard, on retrouve La Peau douce, son découpage hors norme – 1000 plans, le double d’un film standard –, son récit anti-Jules et Jim ou son évocation d’un adultère attenant au cauchemar. Anne Gillain s’intéresse aux plans d’objets et de mécanismes, décortique une scène se déroulant dans l’intimité d’une chambre à coucher, ainsi que la dichotomie entre le regard du personnage truffaldien et sa mire.

Viennent ensuite Fahrenheit 451 et les parallélismes entre son héros, Guy Montag, et celui des 400 coups. Si la dystopie adaptée de Ray Bradbury se range parmi les grands récits de science-fiction, les deux héros font identiquement face à une crise existentielle soudaine et subissent malgré eux ce qu’ils considèrent comme des règles arbitraires et inextricables. Dans l’hitchcockien La Mariée était en noir, Anne Gillain entrevoit quelques signes annonciateurs de L’Homme qui aimait les femmes, mais étudie surtout les séquences de meurtres, les plans-séquences installant les personnages masculins ou le rôle de la musique. Avec L’Enfant sauvage, on épuise la notion de « binarité obsédante », articulée autour des éléments suivants : enfant/adulte, nature/culture, forêt/maison, arbre/escalier, corps/écriture, mais aussi intime/universel. Est aussi abordé le point cardinal de l’apprentissage du langage, éclairé selon les théories du pédopsychiatre américain Daniel Stern.

Tout Truffaut est sans conteste une somme vertigineuse. Il mêle la critique à la biographie, les fréquences à l’inédit, le versant hitchcockien du cinéma truffaldien à l’influence du « troisième père », à savoir Ernst Lubitsch. La Femme d’à côté y est épinglé comme le film favori d’Anne Gillain, peut-être « le plus parfait », mais l’auteure n’occulte pas pour autant les nombreux niveaux de lecture du Dernier métro ou la mise en abîme à double fond (au moins) de La Nuit américaine – ni, dans ce dernier, les questions liées au rythme, ou le rôle prépondérant des photographies, voire les « liens intimes » avec La Chambre verte, envers lequel l’universitaire se montre prolixe. Elle y décèle en effet « la majesté d’un requiem », mais aussi de nombreux ponts avec le reste de la filmographie de François Truffaut : L’Homme qui aimait les femmes, Les 400 coups, Jules et Jim, La Peau douce ou encore Le Dernier métro. Le propos est si judicieux, l’argumentaire tellement étayé que cet essai en devient presque indispensable à l’appréhension d’un cinéaste dont l’œuvre, foisonnante d’idées et de subtilités, mérite d’être réexaminée ponctuellement.

Fiche technique du livre Tout Truffaut – 23 films pour comprendre l’homme et le cinéaste

Auteur : Anne Gillain
Editeur : Armand Colin
Date de parution : 06/03/2019
Collection : Hors collection
Format : 15cm x 21cm
Poids : 0,4400kg
EAN : 978-2200624521
ISBN : 2200624522
Nombre de pages : 296

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