Les éditions Bamboo publient Movie Ghosts, de Stephen Desberg et Attila Futaki. Très référencé, amarré à la Cité des Anges, l’album met en scène un enquêteur qui a la particularité de… dialoguer avec les morts.
Billy Wilder, Joseph L. Mankiewicz, David Cronenberg, David Lynch : de tout temps, Hollywood a fait l’objet de descriptions peu à son avantage, de manière directe ou détournée. Stephen Desberg se penche à son tour sur la capitale du cinéma américain et, plus largement, sur la Cité des Anges qui l’accueille. Jerry Fifth, son personnage principal, est un enquêteur traînant son spleen dans ces bars légendaires où Bogart et Gardner descendaient autrefois. Il s’y lamente sur les femmes, s’y épanche sur ses acouphènes et y rencontre un homme, Cornell, qui n’y voit rien de moins que l’expression de ces « esprits arrachés à leurs espoirs ». Car Los Angeles les compte par milliers, ces talents mort-nés, à peine arrivés déjà disparus. Serait-ce donc leurs doléances lointaines que Jerry perçoit de manière indistincte ?
Magnifiquement mis en images par Attila Futaki, dont les teintes penchent souvent vers le rose-mauve, Movie Ghosts mène le lecteur du Millennium Biltmore aux villas de Beverly Hills, du Walk of Fame au Sunset Boulevard, des bars branchés aux cinémas diffusant les vieux films d’Orson Welles (La Soif du mal en l’occurence). Jerry enquête d’abord sur le meurtre de l’ancienne star Louise Sandler, avant de se pencher, à la demande de Louis B. Mayer, sur le carnet secret de la chroniqueuse hollywoodienne Gilda Ghitis. En toile de fond : romance, mœurs, maccarthysme et « une relation particulière avec l’au-delà » qui fait le sel de l’album et fera dire à Jerry, désormais en liaison avec une actrice s’étant suicidée soixante années plus tôt : « Notre relation est le parfait reflet de l’illusion hollywoodienne, l’union indéfinissable de deux êtres séparés par un écran, leurs sentiments filtrés par une toile argentée. »
Un diptyque intitulé Movie Ghosts ne pouvait qu’être le prétexte à un réexamen de l’histoire hollywoodienne. Cela passe par de multiples références, des comparaisons avec Jean Harlow aux affiches de Spielberg, Romero ou Hitchcock, sans compter ces fameuses listes noires auxquelles les studios ont participé de manière discrète du temps du maccarthysme. Stephen Desberg et Attila Futaki plongent Jerry Fifth dans une enquête au long cours, où le milieu du cinéma entre en résonance avec l’anticommunisme forcené. Louis B. Mayer n’est plus alors qu’une fumée diffuse annonçant un incendie ardent. Le dessin flatte l’œil, la cinéphilie pulse à chaque page et l’irruption du fantastique permet de dévoiler une histoire peu reluisante du Hollywood de l’après-guerre. Et au milieu de tout cela : un amour impossible, douloureux, réveillant des passions mais annonciateur d’un échec.
Movie Ghosts, Stephen Desberg et Attila Futaki
Bamboo, avril 2022, 72 pages