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« La Télévision selon Alfred Hitchcock » : derrière le cinéaste, le producteur et présentateur de télévision

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Professeur émérite en sciences de l’information et de la communication, Gilles Delavaud publie aux Presses Universitaires de Rennes La Télévision selon Alfred Hitchcock, un ouvrage consacré à la production télévisuelle du maître du suspense entre 1955 et 1965, période durant laquelle sa société Shamley Productions fut notamment impliquée dans les séries Alfred Hitchcock Presents et The Alfred Hitchcock Hour.

De la fin des années 1940 à la moitié des années 1950, la télévision gagne peu à peu sa place dans les foyers américains. En 1955, une famille sur deux est équipée d’un poste. Les networks (ABC, CBS, NBC et DuMont) ont eu le temps de se faire la main en diffusant des programmes durant ce qu’on qualifie aujourd’hui d’« âge d’or » des grandes anthologies américaines. C’est le moment que choisit Alfred Hitchcock pour se lancer dans la production de films destinés au petit écran. Il s’entoure de l’auteur James Allardice (qui écrit les textes de ses interventions, notamment pour introduire et clôturer les programmes), du producteur et réalisateur Norman Lloyd, mais surtout de sa fidèle collaboratrice, et par ailleurs productrice, Joan Harrison (qui connaît ses goûts par cœur, le seconde, participe aux décisions artistiques, sélectionne les scripts et les comédiens…). D’abord mis en scène en studio et diffusés en direct depuis New York, les fictions télévisées vont migrer, vers la moitié des années 1950, vers Hollywood, où tous les grands studios décident d’un même élan de produire pour la télévision. Fin 1957, la capitale du cinéma américain compte plus de cent séries télévisées en cours de production ou de diffusion. En 1959, près de 80% des programmes que les networks présentent en soirée sont produits à Hollywood. La bascule est aussi soudaine que vertigineuse.

Gilles Delavaud prend le temps de contextualiser l’arrivée d’Alfred Hitchcock dans un paysage télévisuel en pleine mutation. Si des stars du grand écran se sont affirmées sur la petite lucarne, à l’instar de Sidney Lumet, Arthur Penn, Grace Kelly ou Paul Newman, Alfred Hitchcock opère le chemin inverse : il quitte momentanément les salles obscures pour prendre place dans les foyers américains. L’auteur explique cependant que cette appétence télévisuelle a été annoncée, de manière indirecte, par le film La Corde, dont les partis pris de réalisation faisaient déjà écho aux conditions de tournage de la télévision. À sa manière, Fenêtre sur cour produisait en outre un méta-discours sur le zapping, faisant de James Stewart le spectateur volage d’un voisinage perçu à travers des fenêtres-écrans. Mais là où La Télévision selon Alfred Hitchcock s’avère le plus substantiel, c’est dans l’effeuillage d’Alfred Hitchcock présentateur, cherchant à interagir avec les spectateurs, s’appropriant le médium télévisuel, se positionnant par rapport à la publicité ou la censure, usant de son humour habituel pour choquer ou amuser un public qu’il n’hésite jamais à interpeller. Gilles Delavaud évoque aussi les contraintes en temps occasionnées par la télévision : les interventions d’Alfred Hitchcock sont chronométrées, les films de sa série découpés en tranches de 11 minutes et entrecoupés d’annonces publicitaires, ce qui ne manque jamais de faire réagir le cinéaste-présentateur, parfois de manière amère, souvent avec une légèreté mesurée.

Les programmes produits par Alfred Hitchcock n’ont pas échappé aux discours critiques sur la culture de masse. Le psychiatre américain Fredric Wertham, adversaire acharné des comics, voyait en la télévision une nuisance de nature à corrompre la jeunesse. En prenant souvent appui sur le meurtre et en mettant généralement en scène des familles dysfonctionnelles, les téléfilms d’Alfred Hitchcock se sont signalés à tous ceux qui ont emboîté le pas à Fredric Wertham ou à la sous-commission sénatoriale alors chargée d’enquêter sur la délinquance juvénile. Plusieurs épisodes de The Alfred Hitchcock Hour se verront ainsi mis en cause. Pourtant, comme le rappelle avec pertinence Gilles Delavaud, Alfred Hitchcock a souvent cédé à la suggestion ce qu’il sacrifiait à l’horreur. Autre élément porté au crédit du cinéaste britannique : ses programmes ont exploité des thématiques plus sérieuses, allant de l’alcoolisme aux armes à feu en passant par la guerre et ses contrecoups. La Télévision selon Alfred Hitchcock ne serait par ailleurs pas complet sans quelques études de cas plus fines. Gilles Delavaud déconstruit ainsi certains épisodes, tout ou partie, pour en extraire des lois générales, ou en tout cas des traits constitutifs du travail télévisuel d’Alfred Hitchcock. Ce dernier demeure en tout cas passionnant, sur petit comme sur grand écran.

La Télévision selon Alfred Hitchcock, Gilles Delavaud
PUR, septembre 2021, 278 pages

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