Nous vous présentions récemment l’intégrale de Black Hole, qui comporte quelques-uns des thèmes de prédilection de Charles Burns : l’adolescence, l’irruption du fantastique dans la vie réelle, une description fine de l’Amérique moyenne. Dédales s’inscrit dans une lignée semblable, quelque part entre David Lynch et John Carpenter.
Charles Burns est une personnalité importante de la bande dessinée états-unienne. Chacune de ses publications est attendue avec l’impatience réservée aux grands maîtres. Il a ceci de particulier qu’il parvient perpétuellement à se réinventer tout en brodant autour des mêmes thématiques.
Alter ego
Illustrateur, auteur et… personnage. Charles Burns est partout à la manœuvre dans Dédales. Brian, son jeune héros, n’est autre que son alter ego. Un adolescent fasciné par le cinéma fantastique – il pleure devant L’Invasion des profanateurs de sépultures – qui a réalisé ses premiers courts métrages horrifiques dès quatorze ou quinze ans. Les premières planches donnent le la : alors qu’une fête bat son plein, Brian préfère se retirer pour dessiner son autoportrait dans une pièce voisine.
Deux précisions doivent déjà être ajoutées : d’une part, on assiste à un premier jeu de reflets (dans un grille-pain) dans une bande dessinée qui en comporte plusieurs ; d’autre part, l’autoportrait a quelque chose d’étrange et d’inquiétant, puisque ce sont des formes organiques surréalistes (et extraterrestres ?) qui remplacent le visage du jeune dessinateur. « Je suis un alien compressé, assis à une autre table, dans un autre monde. » Difficile de ne pas y déceler une allusion aux fuites intérieures, imaginaires d’un adolescent mal dans sa peau.
Quand Laurie, une rousse sculpturale vient engager la conversation avec lui, Brian semble sortir d’une longue torpeur. Il met un moment avant de répondre à celle qui va prendre une place prépondérante dans le récit (déstructuré et comportant des changements de narrateur). Charles Burns manie la narration de manière à laisser toujours quelque chose de grinçant en suspens, tout en dévoilant certaines étapes emblématiques de l’adolescence : l’éveil à l’autre, la naissance de certaines obsessions, la formation des goûts culturels, la place à trouver en toutes circonstances…
Le David Lynch des planches ?
Les planches, très soignées, sont découpées de manière classique, mais comportent toutefois plusieurs niveaux de restitution : il y a les illustrations du récit, les représentations des films entrecoupant l’histoire et les dessins de Brian. Cette multiplicité entre en résonance avec celle de Dédales, qui s’ouvre à différentes lectures sans en exclure aucune. Jusqu’à quel point le quotidien de ces jeunes adultes est-il lié au cinéma fantastique ? Qu’est-ce qui se joue dans l’inconscient de Brian et Laurie et dans leur vie réelle ? Si David Lynch, que l’on compare souvent à Charles Burns, a contaminé la réalité par le fantasme dans Mulholland Drive, Dédales produit quelque chose qui s’y rapproche beaucoup, et qui fait tout le sel de cette bande dessinée.
Dédales, Charles Burns
Cornélius, octobre 2019, 68 pages