Le 24 mai 2019 est sorti un coffret cult’edition méritant une certaine attention. En effet, l’éditeur ESC a consacré leur nouvelle édition collector Blu-ray à Zombie / Dawn of The Dead de George A. Romero. Attention, ça va saigner de plaisir.
Synopsis : Soudain, sans qu’aucun signe précurseur ne l’ait annoncé, un phénomène inexpliqué se produit : les morts se redressent et s’attaquent aux vivants pour les dévorer. Une pandémie à l’échelle de la planète touche la civilisation qui sombre alors dans le chaos. Quatre survivants de Philadelphia quittent la ville dans un hélicoptère. Alors le carburant commence à manquer, l’équipe décide de faire une halte dans un gigantesque centre commercial.
Zombie : « un grand film politique »
– Bertrand Bonello –
Bien des commentaires ont été faits sur le film de George A. Romero. On ne cesse encore d’entendre, même dans les compléments de l’édition, que le film est un pamphlet social et politique conséquent, à la logique subversive plus explicite que dans le précédent volet de la saga, La Nuit des Morts-Vivants, réalisé par Romero en 1968, dix ans avant sa suite. Dans l’un des bonus du premier Blu-ray l’édition, Bertrand Bonello déclare à Jean-François Rauger et à l’assemblée présente à l’occasion de la projection du film à la cinémathèque, que Zombie est « un grand film politique avant d’être un film gore, de genre, ou peu importe ». Encore une fois, l’engagement politique est mis en avant. Cependant, comme on peut le constater dans bien des commentaires de films de genre (horreur, gore, science-fiction), le message politique et la critique sociale ont tendance à définir davantage la grandeur d’un film plutôt que le métrage en lui-même. Comme si l’expérience cinématographique comptait moins que son discours qui existe bel et bien grâce au récit filmique. Certes, Zombie/Dawn of the Dead est un long métrage qui ne mâche pas ses images et encore moins ses mots lorsqu’il s’agit de mettre à mal les gloires nord-américaines. Toutefois, cela en fait-il un grand film politique ?
Zombie(s)
Avant de s’enfoncer dans la diatribe enchantée de ce coquin de Romero et son film de zombies, ne devrait-on pas d’abord se poser la question de la version ? Non, il ne s’agit pas du problème qu’a posé Blade Runner (1982-2007), encore moins celui de La Soif du Mal (1958-1998). Zombie n’est pas une œuvre au long processus créatif « finalisé » quelques années ou décennies plus tard par son réalisateur, un technicien, ou une équipe de passionnés. Le long métrage de Romero a été en grande partie porté par le cinéaste Dario Argento (Les Frissons de l’angoisse, Suspiria) en tant que producteur, conseiller sur le scénario, aide à la composition musicale, scénographe… Bref, Dario et son équipe de production italienne n’ont pas croisé les bras et ont porté le projet de l’ami Romero avec passion. L’important engagement financier (la moitié d’un budget pas grandiloquent, soit 650 000 dollars) et humain de la bande italienne lui permet d’obtenir les droits de distribution en Europe, en Afrique et en Asie, tandis que le producteur américain garde les droits d’exploitation pour les US et l’Amérique du Sud. Afin de soutenir au mieux la sortie en salles du film en Europe, notamment en Italie, Argento propose plus que de prêter son nom à différents postes cruciaux. Le cinéaste développe, en accord avec Romero, une version européenne avec quelques caractéristiques propres au réalisateur d’Inferno. D’abord, on remarque de suite la présence de Goblin à la composition musicale. Ensuite, on note l’efficacité d’un montage plus court, plus resserré. Argento explique que la majorité des coupes sont produites pour passer sous les radars de la censure. Cependant, les deux modifications du cinéaste italien sont bien plus que des simples usages propres à la distribution du métrage. Argento a magnifié le long métrage de son ami, en trouvant un équilibre entre humour, action, horreur et farce politique. En effet, la version américaine est loin d’être un grand film engagé tant il sombre sans subtilité dans la farce sociale et politique. Dawn of the Dead, soit Zombie dans sa version américaine, est hyper-explicite, l’œuvre étant plongée – quand elle n’est pas noyée dans la critique sociale poussive – dans une forme de série B ne laissant aucune place au mystère. On retrouve d’ailleurs dans la bande-son ces notes musicales propres aux mort-vivants qu’on retrouvera dans sa plus belle et récente itération, Shaun of the Dead (2003, Edgar Wright). À ce propos, on notera que la bande-son américaine a repris et mixé quelques extraits de la bande-son européenne qui vient servir ici les lignes directrices de Romero.
Un son culte attaché à la figure du mort-vivant/zombie romeronien
Concernant le récit, le montage de Romero est poussif à tel point qu’on ne peut s’inquiéter du sort de ses protagonistes qui sont finalement, comme semble le signifier le final suivi de son générique grand-guignolesque, des personnages de cartoon. Dawn of the Dead, soit Zombie dans la version américaine, est une farce totale qui s’empresse de tout montrer pour mieux hurler au monde son mépris de la civilisation occidentale. Un grand film politique ? Non, l’œuvre parait même plus transgressive ici que subversive. Romero ne laisse pas de place à l’implication émotionnelle du spectateur pour mieux la questionner et la détourner. Dawn of the Dead se regarde avec une distanciation qui pourra séduire nombre de spectateurs qui penseront jouir d’un film empli d’un riche sous-texte ancré dans une forme exubérante. Mais le film de Romero semble s’arrêter ici à une série B emplie de grandes idées mises à mal par une farce politique beaucoup trop présente ainsi que par son lourd récit manquant d’efficacité, au service de la comédie de mœurs survivalistes que Dawn of the Dead semble attaché à être. Certains pourraient répondre à ce texte que le premier volet, La Nuit des Morts-Vivants, épousait la même forme que celui-là, avec moins d’ampleur. Mais il n’en est rien, comme l’explique dans un complément Julien Sévéon, journaliste-cinéma et auteur d’une monographie sur George A. Romero : La Nuit des Morts Vivants est « un pur film de terreur » qui a été « considéré à tort comme un film politique ». Il s’agissait en réalité pour Romero et son équipe de faire un film à faible budget qui leur permettrait de dégager assez de recettes pour produire des œuvres plus personnelles. Dès la conception du deuxième volet, Romero « se pose comme un cinéaste politique ».
Une musique plus que joyeuse pour le final de Dawn of the Dead
Zombie
Zombie, soit la version d’Argento, n’est pas élagué des dialogues explicitement critiques de la société nord-américaine propre à Romero. La farce n’est pas en mal, toutefois, le long métrage fonctionne sur un jeu d’équilibriste entre la blague politico-sociale, le film d’action, le survival (formidable), et le genre apocalyptique. La musique de Goblin et le montage nerveux du cinéaste italien permettent au film de Romero d’obtenir un réel suspense. Ainsi sera-t-on pris aux tripes par la tension des nombreuses scènes d’action, rigolera-t-on de joie face aux succès de notre groupe humain, sera-t-on dérangé par le sort de deux d’entre eux (le cadrage sur la séquence de décès du premier gagne en tension et en émotion par rapport à la version américaine qui semble dénuée de tout effort en ce sens). Aussi rira-t-on de temps à temps vis-à-vis des dialogues réflexifs tant ils sont poussifs, des déclarations de personnages telles que Romero en pondra jusque dans ses derniers films (Land of the Dead, entre autres). On pense notamment à ce dialogue : « mais pourquoi viennent-ils dans ce centre commercial ? », l’autre répond : « ils viennent par instinct. C’est le souvenir d’un endroit qu’ils aimaient qui les anime jusqu’ici. » Notez la subtilité du discours, la possibilité de son caractère méta, et surtout, la disparition du caractère allégorique du mort-vivant/zombie.
Zombie s’apparente davantage à « un grand film politique » grâce à l’investissement d’Argento. Le caractère engagé du long métrage n’est pas tant lié à ses quelques dialogues traités précédemment qu’au traitement davantage sérieux de son récit de survie. Ainsi les enfants zombies qu’on doit abattre éveillent de l’effroi chez le spectateur. La séquence dans le logement occupé par une communauté afro-américaine est terrorisante vis-à-vis de l’action fasciste et raciste qui semble inarrêtable. Et les moments télévisuels politiques en deviennent véritablement glaçants. Bien sûr, le survival n’est pas en reste puisque, comme le note Bonello, la survie du petit groupe dans le centre commercial constitue un miroir de la société contemporaine : de l’organisation militaire à l’ingéniosité humaine en n’oubliant la consommation à outrance, quitte à en oublier l’extérieur et ses horreurs. Cet écho social est d’autant plus fort que la version européenne permet au spectateur de s’investir dans le récit, et donc de céder ou de remettre en question les pulsions et choix du microcosme. Cela, à l’inverse de la version de Romero à la distanciation problématique tant tout semble n’être que farce et vilenie dans ce monde dans lequel rien ou presque ne compte.
Dario Argento’s Zombie, a film by George Romero
Oui, Zombie est un grand métrage politique. Mais il n’est pas que ça. Du fun, de la finesse, un rythme soutenu, une puissance d’évocation et une force d’originalité et d’imagination portent cet objet filmique grandiose.
La série de jeux vidéo Dead Rising doit ainsi tout ou presque au duo de génies derrière Zombie plutôt qu’au « seul » auteur de Dawn of the Dead. En effet, n’oublions pas l’impact de ce cocktail rock sur l’histoire du cinéma, et plus encore sur la pop culture. Œuvre au croisement de deux cinéastes à leur firmament, Zombie est un brillant film pop, et, pour reprendre l’expression de Julien Séveon, un grand « comic book live » aux flamboyantes « libertés visuelles ».
Zomblu-ray
La Cult’Edition de Zombie est une réussite pour ESC Edition. Son grand intérêt consiste en la présence des quatre versions de l’œuvre, soit celle des deux films, Zombie et Dawn of the Dead, présentés dans leurs deux versions: la version européenne, la version européenne en Full Frame ; la version américaine en Director’s Cut et en version longue (la même qui fut présentée au Marché du film du Festival de Cannes).
La version européenne, au nouveau master 4K supervisé par le chef opérateur Michael Gornick, règne ici en maître. Couleurs bien vivaces, lumières, sauvegarde du grain d’origine et stabilité sont au rendez-vous. On nuancera toutefois sur le rendu colorimétrique qui ne semble pas avoir été bien géré par l’éditeur au niveau de l’encodage malgré une excellente source. La version Full Frame, qui présente le film dans un format 4/3 avec une image complète et non recadrée en haut et en bas, souffre d’instabilité. Le phénomène est régulier, et devient particulièrement gênant lorsque le cadre de l’image s’agite et/ou change de couleur. Aussi, les recadrages sont davantage visibles dans cette version.
Les versions américaines semblent être le produit soit d’anciens scans, soit de scans de copies abimées, ou encore le fruit d’une restauration limitée. La résolution est, de façon générale, moyenne. Quelques scènes, bien éclairées, réussissent à convaincre. Toutefois le rendu colorimétrique manque de puissance, au point de proposer un rendu terni par une forme de clouding permanent. Les copies souffrent d’instabilité. Le grain est géré de façon aléatoire. A vrai dire, sa présence, plus ou moins importante, est liée à l’état de la copie. Celle-ci est loin d’avoir été nettoyée et restaurée comme les versions européennes. En effet, de nombreux plans sont poussiéreux et porteurs de griffes. Le rendu général de ces versions est ainsi plutôt médiocre, tant au niveau visuel que sonore. De meilleures sources n’ont peut être pas encore été trouvées, à l’inverses des éléments européens. Ou alors, peut-être est-ce dû à l’âge de ces masters ? D’ailleurs, depuis quand ceux-ci existent-ils ?
Du côté des compléments, ESC n’y est pas allé chichement. Certes, certains se répètent, on pense à l’entretien-maison avec Dario Argento qui tend à redire nombre d’éléments déjà déclarés dans l’entretien avec Dario et Claudio Argento, Afredo Cuomo et Claudio Simonetti. Bien sûr, il y a quelques anecdotes qui viennent différencier le premier du deuxième, et il y a le plaisir de voir Argento, aujourd’hui bien âgé, revenir sur le film. La « présentation du film » par Argento a probablement été filmée dans le même temps. Celle-ci s’avère plus touchante qu’elle ne présente d’informations. On retrouve aussi au programme les fidèles hérauts d’ESC, Linda Tahir et Christophe Champclaux. Le duo de cinéphages propose un complément, produit par leur société Rose Night, consacré à Romero. Le document, à l’introduction bricolée avec amusement, revient sur son goût pour le fantastique et la science-fiction développé dans sa jeunesse, les films de morts-vivants qui l’ont inspiré pour sa version, soit le modèle moderne du zombie, et sa carrière. Le retour biographique est guidé par des extraits d’une intéressante interview de 2001.
On se doit de saluer la présence du journaliste et spécialiste de Romero, Julien Sévéon, sur deux modules d’une vingtaine de minutes chacun. On appréciera aussi l’entretien avec Bonello et Jean-François Rauger, qui revient sur le récent Nocturama de Bonello et sur l’une de ses grandes inspirations, Zombie. Si vous n’avez pas vu Nocturama, rassurez-vous, il ne s’agira pas d’une séance d’autosatisfaction soutenue par quelques propos sur une vieille œuvre de genre sortie pour l’occasion. Le rapprochement est fort à propos et vous serez certainement intrigués par les dires des deux bonhommes sur le film de Romero et d’Argento. Outre les différents et intéressants entretiens, on note la présence sur les Blu-ray 2 et 3 de matériels promotionnels et d’un document un peu plus léger, la visite du centre commercial Monroeville Mall avec l’acteur Ken Foree. Enfin on appréciera de retrouver des commentaires audio conséquents des Blu-ray 1, 2 et 4, avec entre autres, Michael Gornick, Tom Dubensky (assistant caméraman), George A. Romero et Tom Savini (responsable des effets spéciaux et acteur), ou encore celui de Claudio Simonetti (compositeur du groupe Goblin).
Soutenue par cinq photographies collector, l’édition est enfin complétée par un livre écrit par Marc Toullec, un habitué des éditions ESC. Après une introduction d’une dizaine pages (moitié moins si on retire les images) revenant sur la portée allégorique et le caractère engagé de l’oeuvre de Romero ainsi que son intérêt pour sa créature, le riche ouvrage consacre ses 140 autres pages à sa saga des morts-vivants, de la genèse et l’exploitation de La Nuit des Morts-Vivants à celles de Survival of the Dead (2009) en n’oubliant pas Land of the Dead (2005) ou encore Diary of the Dead (2007). On notera la qualité du travail éditorial, autant dans le choix et la qualité des photographies que dans la mise en page du texte passionné et passionnant signé par Toullec.
Dawn of the Blu-ray
Certains ont déjà probablement crié leur déception vis-à-vis de l’édition sur les réseaux sociaux, notamment à cause des masters des versions US. Toutefois, le coffret d’ESC mérite un énorme « bravo ». Le travail éditorial est formidable. On pense au travail soigné sur les menus, à la possibilité d’avoir toutes ces versions dont deux magnifiquement remasterisées et une, celle de Cannes, très rare. Et on compte bien sûr l’importante dose de compléments à déguster.
Bande-Annonce – Zombie
Zombie – Coffret Cult’Edition 40èmeAnniversaire
Coffret Collector 40ème Anniversaire avec 4 versions du film, un livre de 152 pages et 5 tirages photo collector :
– Blu-ray 1 : Version Européenne de 120′ (montage supervisé par Dario Argento avec la BO de Goblin), dans un nouveau master restauré en 4K produit en 2019 par ESC Editions sous la supervision du directeur de la photo Michael Gornick (VF 5.1 et VOST 5.1 et 2.0 mono)
– Blu-ray 2 : Version Director’s Cut US de 127′ – nouveau master Haute définition (VOST 5.1 et 2.0 mono)
– Blu-ray 3 : Version longue présentée au Marché du Film du Festival de Cannes 1979 de 139′ – nouveau master Haute définition (VOST 5.1 et 2.0 mono)
– Blu-ray 4 : Version Européenne en Full Frame (ratio 1.33 – VF 5.1 et VOST 5.1 et 2.0 mono)
– un livre de Marc Toullec de 152 pages
– 5 tirages photos collector
COMPLÉMENTS
– Blu-ray 1 (Version Européenne) :
Présentation du film par Dario Argento
Commentaire audio du directeur de la photographie Michael Gornick, Tom Dubensky (assistant caméraman) et Lee Karr (historien du cinéma et auteur) produit et réalisé par Jim Cirronella
Entretien autour du film avec Dario Argento (20′)
George A. Romero, l’homme aux Zombies par Julien Sévéon (27′)
Discussion publique entre Bertrand Bonello et Jean-François Rauger à la Cinémathèque Française (60′)
Entretien avec Dario Argento, Claudio Argento, Alfredo Cuomo, Claudio Simonetti… (30′)
– Blu-ray 2 (Director’s Cut US) :
Commentaire audio de George A. Romero et Tom Savini
Document sur les décors du film avec le commentaire audio de Robert Langer (13′)
Visite du centre commercial Monroeville Mall avec l’acteur Ken Foree (10′)
Documentaire : « The Dead Will Walk » de Perry Martin (2004, 75′)
– Blu-ray 3 (Version Cannes) :
« Les Zombies de Romero » par Linda Tahir et Christophe Champclaux (26′)
Les effets spéciaux de Zombie décryptés par Benoit Lestang (Maquilleur effets spéciaux) (18′)
Entretien avec Jean-Pierre Putters (Fondateur et ancien rédacteur en chef du magazine Mad Movies) (18′)
Matériels promotionnels
– Blu-ray 4 (Version Full Frame) :
Commentaire audio du compositeur Claudio Simonetti
Commentaire audio des 4 principaux acteurs
Documentaire : « The Definitive Document of The Dead » de Roy Frumkes (102′)
La musique de Zombie par Julien Sévéon (19′)
Prix de vente conseillé : 69,99 € TTC