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Pendant ce temps sur Terre : l’appréhension du vide

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Lauréat du Grand prix de la Semaine de la Critique en 2019 et du César de l’animation en 2020, J’ai perdu mon corps a relevé un cinéaste féru de sensorialité à travers une odyssée fantastique. Malgré un manque de radicalité dans sa nouvelle réalisation, Pendant ce temps sur Terre matérialise toute l’audace d’un cinéma français, toujours en quête d’exploration, tant sur le plan technique que thématique et cinématographique. Le second long-métrage de Jérémy Clapin prend ainsi tous les risques en intégrant minutieusement les codes de la science-fiction à un drame intime et familial autour de la résilience. À (re)découvrir en VOD, DVD et Blu-ray dès le 15 novembre 2024.

Synopsis : Elsa, 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck, spationaute disparu mystérieusement 3 ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre. Mais il y a un prix à payer…

Présenté en amont à la Berlinale 2024, le dernier film de Jérémy Clapin laisse dubitatif et pensif, et réitère un sentiment de vertige, dans le bon comme dans le mauvais sens. Avec pour point d’ancrage la science-fiction façon Body Snatchers, le cinéaste nous invite à dénouer le drame existentiel qui le préoccupe, notamment à travers le personnage d’Elsa. Travaillant au plus proche de la mort, cette jeune femme ne peut s’empêcher de se tourner vers le ciel dans l’espoir de retrouver son frère Franck. Également perdue dans l’espace, derrière une étoile ou derrière des prétextes futiles, Elsa agit comme si on lui avait ôté une partie d’elle-même. Un constat d’autant plus valable sachant les précédents courts et longs de Clapin, où la scission entre le corps et l’esprit constitue souvent un point de départ. Et dans son approche minimaliste, il emploie la voix de Dimitri Doré comme un argument fantastique. Une voix rappelant l’ordinateur HAL dans 2001, l’Odyssée de l’espace qui, dans la tête d’Elsa, la met aussitôt à l’épreuve.

Le grand départ

Retrouver son frère à tout prix. Mais à quel prix ? Après qu’une entité inconnue ait trouvé refuge dans sa caboche, Elsa s’interroge peu sur le pacte faustien qu’elle signe par ses actions. Si un grand remplacement n’est pas à craindre, rien ne garantit qu’elle reverra un jour son frère. Cette entité extraterrestre existe-t-elle réellement ? Ou cette voix annoncerait-elle les symptômes d’une folie ? C’est dans cet entre-deux que Clapin oriente notre réflexion. Le deuil que traverse l’aide-soignante prend ainsi la forme d’un compte-à-rebours. Ce changement de ton n’est cependant pas tenu jusqu’au bout, et cette urgence entre fatalement en collision avec l’aspect sensoriel, voire contemplatif, du film. Clapin penche d’ailleurs davantage vers le second point, où il prend le temps d’installer de l’étrangeté dans l’atmosphère. La forêt du Puy-de-Dôme devient alors un catalyseur précieux de tous les maux qui martèlent Elsa, au fur et à mesure qu’elle semble s’approcher de son but. Sans effets visuels outranciers, le réalisateur joue habilement la carte de l’immersion, bien qu’elle ne soit parasitée par d’autres facteurs.

Les insertions des séquences dessinées et animées interrogent toutefois sur le parti pris d’un tel projet, car elles ne gonflent pas davantage le capital émotionnel du récit. Le maigre budget alloué à cette obsédante croisade pourrait expliquer les limites de ce procédé. En voulant créer une sensation d’apesanteur dans l’esprit torturé d’Elsa, oscillant entre le réel et l’imaginaire, le cinéaste réajuste constamment son écriture, hybride et a fortiori schizophrène. Non pas que cela ne rende sa protagoniste inintéressante, car c’est justement ce vide, cet espace imperceptible qui la sépare de son frère qui nous envoûte et nous fascine. Cela démontre toutefois un manque d’équilibre entre la volonté de s’affranchir de la gravité pour s’évader dans l’espace et celle de rationaliser le deuil en gardant les pieds sur terre. Les deux options sont valables, parfois simultanément. C’est ce qui rend ce film complexe assez jouissif à traverser et à analyser.

Il ne manque plus que la musique de Dan Levy, toujours aussi brillant depuis les aventures de la main tranchée, pour compléter le tableau. Sa partition nous guide, tel un phare, autant dans l’errance de l’héroïne que dans la profonde réflexion autour de l’impossibilité du deuil. Le regard effacé de Megan Northam (aperçue dans Les Passagers de la nuit, la série Salade grecque et bientôt dans Rabia) en est sublimé, même si toute la force du récit réside davantage dans les interactions entre les personnages. En somme, Pendant ce temps sur Terre est une œuvre imparfaite, voire incomplète, dont les maladresses sont imputées à un passage au live-action fébrile. Reste que les éléments prometteurs qui la composent nous encouragent à suivre ce cinéaste en rodage de près.

BONUS

Quel que soit le format physique choisi, les plus curieux pourront décortiquer un petit livret contenant des extraits du storyboard, ainsi que des visuels des personnages animés du film et des photos inédites du tournage. Cela peut sembler anecdotique au premier abord, mais le contenu témoigne d’une belle envie de cinéma, comme cela a été analysé plus haut. Jérémy Clapin commente également son film de vive voix dans une des sections des bonus, dans le cas où l’on est intéressé par l’écriture et les anecdotes de tournage.

Si on reste encore sur notre faim, c’est l’occasion idéale pour découvrir le court-métrage Skhizein (présenté à l’ACID 2008, puis nommé aux Césars l’année suivante), afin d’en apprendre davantage sur la mélancolie qui se dégage des œuvres de Jérémy Clapin. Ce récit est d’autant plus surprenant que son concept séduit. Imaginez qu’une météorite de 150 tonnes frappe un type ordinaire comme Henri, qui doit désormais vivre à 91 cm précisément de lui-même… En à peine 13 minutes, Skhizein délivre les notions de morcèlement et de détachement spirituel du corps avec brio.

Pendant ce temps sur Terre Bande-annonce

Pendant ce temps sur Terre – Fiche technique

Réalisation & Scénario : Jérémy Clapin
Interprètes : Megan Northam, Catherine Salée, Sam Louwyck, Roman Williams, Sofia Lesaffre
Image : Robrecht Heyvaert
Montage : Jean-Christophe Bouzy
Casting : Judith Chalier
Première Assistante Réalisateur : Amandine Escoffier
Ingénieur du son : Vincent Piponnier
Décors : Marion Burger
Costumes : Ariane Daurat
Maquillage : Alice Robert
Coiffure : Albane Cousinard
Musique originale : Dan Levy
Directeurs de production : Karine D’Hont, Serge Catoire
Directrice de production : Clotilde Martin
Producteur exécutif : Luc Bricault
Producteur : Marc du Pontavice
Production : One World Films
Pays de production : France
Distribution France : Diaphana Distribution
Durée : 1h28
Genre : Drame, Fantastique
Éditeur : Diaphana Édition Vidéo
Date de sortie en France : 3 juillet 2024
Date de sortie DVD/BLU-RAY/ VOD : 15 novembre 2024

Responsable Cinéma