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Obsessions, un Julien Duvivier trois en un

Parmi la fournée de raretés rendues accessibles en cette fin d’année par le remarquable travail éditorial d’ESC Distributions, Obsessions (Flesh and Fantasy) n’est pas la moins atypique. Réalisé en 1943 par Julien Duvivier pendant sa deuxième  parenthèse américaine, Obsessions est un nouveau film à sketches du réalisateur, et constitue un exercice de style rappelant à notre bon souvenir le grand formaliste qu’il était.

Duvivier y raconte trois histoires empruntant chacune à des genres différents. La première suit une femme laide et acariâtre à la Nouvelle-Orléans, amoureuse ingrate d’un homme qui ne la voit pas et qui un soir se voit remettre par un mystérieux inconnu un masque qui transforme son visage. Le second (adapté d’une nouvelle d’Oscar Wilde) narre la déchéance d’un avocat sur le point de se marier et à qui tout réussit, jusqu’à ce qu’un médium lui annonce qu’il va prochainement se rendre coupable de meurtre. Enfin, le troisième segment est consacré à un funambule dont la vie se met à basculer dès lors que l’angoisse de tomber s’insinue en lui à travers des rêves récurrents. Le tout lié par une conversation entre deux hommes causant surnaturel, fatalité et autodétermination…

Sans nécessairement occuper une place dans le haut du panier de la filmographie pléthorique du réalisateur de Marie-Octobre, Obsessions constitue le parfait terrain de jeu pour Duvivier, qui laisse libre cours à ses élans formalistes. Particulièrement dans la seconde histoire, où le cinéaste emploie tous les outils à sa disposition pour faire partager au spectateur l’enfer psychologique dans lequel plonge le grand Edward G. Robinson, artisan de sa propre chute. Grand moment de mise en scène ultra expressive jouant de façon presque sadique avec son personnage principal, le segment s’impose comme le meilleur des trois. Peut-être parce que l’amertume cynique de son déroulement renvoie au propre pessimisme du réalisateur qui trouve dans l’issue de cette fable sur les prophéties autoréalisatrices de quoi apporter de l’eau à son moulin.

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Aime t-il le masque, où la personne cachée dessous ?

Résolument plus optimiste et bienveillant vis-à-vis de leurs personnages, les deux autres sketches réservent néanmoins leurs motifs de satisfaction. La première histoire notamment, qui parvient à nous faire croire à la transformation de l’héroïne à partir d’un argument fantastique pourtant minimaliste. Elle ne fait que revêtir un masque, pourtant le réalisateur parvient à nous faire croire au changement qui s’opère, plongeant dans une ambiance de conte païen dès lors que le film bascule dans la féérie. Surtout, il met en exergue la condition éminemment cinématographique du masque, qui cache moins qu’il ne révèle le visage du personnage dans le regard des autres. A l’instar de l’image filmique qui n’existe qu’à partir de ce que l’on y projette, le masque s’anime à partir de la personnalité de l’héroïne, auparavant enfouie sous le vernis de sa laideur. Les masques ne sont pas forcément ceux que l’on croit.

Plus convenue, la dernière histoire offre néanmoins une certaine démonstration de la maestria du réalisateur, qui manque de nous faire attraper le vertige au travers de quelques séquences extériorisant l’angoisse du héros pourtant en pleine action. On ne sait si Robert Zemeckis avait revu le film pour les besoins de son formidable The walk, mais force est de constater que le film du cinéaste de Forrest Gump a un précédent dans le filmage d’une discipline aussi anxiogène que méditative à l’écran.

A noter qu’Obsessions devait s’ouvrir sur un long segment durant lequel un tueur poursuivait une femme aveugle dans sa maison alors qu’une tempête de neige faisait rage au dehors. Malgré l’excellent accueil du sketch lors des previews, Universal décida de le couper, et engagera plus tard le réalisateur Réginald LebOrg pour tourner de nouvelles scènes afin d’en faire un long-métrage autonome. Le film sortira un an plus tard sous le titre Destiny, sans que Duvivier ne soit crédité au générique.

Vous l’aurez compris, Obsessions a tout de l’exercice de style pour son réalisateur, qui aborde davantage la chose sous l’angle du défi formel et moins par conviction pour son discours (en gros : « il n’y a de fatalité que celle que l’on s’impose »). Ce qui constitue une raison amplement suffisante de se ruer sur une édition nous rappelant à quel point le cinéma français fut un temps une terre de conteurs-aventuriers de l’image, pour lesquels le récit s’indexait sur les moyens présidant à son articulation visuelle.

DVD-Obsessions-film-duvivier-julien-ESC-Distributions-Flesh-and-FantasyOBSESSIONS (Flesh and Fantasy)
Un film américain de Julien Duvivier
Nouveau master restauré

Résumé : Un homme obsédé par un rêve, le raconte à un ami. Intéressé, ce dernier décide de lui lire trois histoires au caractère onirique similaire. Le premier, une jeune fille profite d’un bal masqué pour conquérir l’homme qu’elle aime. Dans le second, un homme devient assassin malgré lui et enfin, dans le dernier, un acrobate rêve qu’il tomberait à la vue d’une femme brune.

Obsessions fait partie des 5 films réalisés par Julien Duvivier aux USA, durant la seconde guerre mondiale. Ce film a été co-produit par l’acteur Charles Boyer et une partie des décors a été réalisée par l’autre acteur du film : Edward G. Robinson !

Avec Edward G. Robinson (Les dix Commandements, La Maison des étrangers (ECS distribution), Key Largo, Assurance sur la mort…), Charles Boyer (Hantise, Madame de, Fanny, Casbah (remake USA de : Pépé le Moko…) et Barbara Stanwyck (Assurance sur la mort, La grande vallée, l’homme de la rue…).
Scénario : Ernest Pascal, Samuel Hoffenstein, Ellis St Joseph.
Directeur de la photo : Stanley Cortez et Paul ivano
Musique : Alexandre Tansman

Réalisateur : Julien Duvivier (1896 – 1967) : Pepe le moko, La Belle équipe, Le petit monde de Don Camillo, Un carnet de bal, La fin du jour, La Bandera, L’imposteur, Pop bouille ….

Année de production : 1943 – noir et blanc – Langue : Anglais – Sous-titres : Français – Format image : 1.33 16/9 compatible 4/3 – Format audio : dolby digital mono 2.0
Durée du film : 94 mn

Bonus inédits :
. Analyse du film par Christophe Gans, réalisateur des films : « Le Pacte des loup », La belle et la bête » Silent hill »…. Et ancien directeur du magazine Starfix.
« A la lisière du fantastique », entretien avec Eric bonnefille auteur de « Julien Duvivier, mal aimant du cinéma français »

Rédacteur LeMagduCiné