Retour Lonely Fifteen et son édition signée Spectrum Films. Au programme : une chronique d’adolescentes en crise, un master HD exclusif aux français mais au résultat en demi-teinte et une partie bonus à retenir.
Synopsis : suite à des tourments familiaux, éducatifs et consuméristes, un groupe de jeunes filles dérive vers l’industrie du sexe, la drogue et la violence.
Fifteen candles
Lonely Fifteen offre une vision incarnée de la jeunesse Hongkongaise. Cette représentation mobilographique de ces adolescentes ne surprend pas tant par son contenu que par sa mise en scène. Le drame ancre ses personnages dans l’espace avec un tournage en décor naturel et une prise sonore en direct ensuite synchronisée. Premier film hongkongais à ne pas façonner toute sa bande-son en post-production – dixit le réalisateur David Lai –, Lovely Fifteen s’offre ainsi une vision dramatique marquée par l’imagerie documentaire qui a pris naissance dans le travail de recherche du réalisateur, par ailleurs anciennement journaliste et des producteurs Michael et Johnny Mak. Lonely Fifteen est ainsi précis, dans les gestes, dans le détail.
Malgré une bande-son émouvante et cette immersion dramatique dans une réalité tangible, le film de David Lai manque à nous émouvoir. Il ne s’agit pas du manque de « surprise » pour un spectateur de 2020 face aux sombres aventures des protagonistes qui ont plus ou moins été depuis représentées et mises en scène ici et ailleurs. Au contraire, l’expérience presque sensorielle de cette Hong Kong du début des années 80 permet de redécouvrir des concepts connus sous un nouveau jour, par exemple, la boîte de nuit qui fut pour le pire comme pour le meilleur au cœur de la jeunesse des eighties, aux désirs de liberté, de badinage et d’exploration des sens contraires aux vieux mœurs hongkongais. Si Michael Mak explique dans un complément la volonté de capter des scènes de vie adolescentes, Lonely Fifteen tient du métrage à sketches dont les scénettes s’imbriquent de façon plus ou moins organique – ou à contrario artificielle – au fur et à mesure du récit principal porté par la formidable Becky Lam (qui ne poursuivit pas sa carrière cinématographique, malgré un prix). Enfin les scènes de bagarre en extérieur (ainsi qu’en appartement), surprenantes tant elles sont marquées par le cinéma d’exploitation, participent au manque de fluidité et d’unité narrative du film.
Lonely Fifteen – l’édition Blu-ray
Le film de David Lai débarque dans une édition solide mais malmenée par quelques gros problèmes au niveau de la présentation du film ainsi qu’un léger souci concernant les compléments.
On s’attendait à être ravi par le Blu-ray à la lecture de ces quelques mots encrés par l’éditeur sur le boitier comme sur la page internet du film : « Le Master HD a été réalisé à partir d’un scan 2K du négatif original. Cette restauration, unique au monde, est exclusivement destinée à la France. » Sans vouloir offusquer l’éditeur et la société française, Kino, responsable de la restauration comme du mastering de Lonely Fifteen, de gros problèmes gênent l’expérience du film. La HD est au rendez-vous dans l’ensemble, le frame rate est respecté et l’étalonnage se tient relativement bien malgré quelques variations colorimétriques et un contraste parfois trop appuyé par rapport au négatif (dont on peut voir le travail de restauration dans un bonus). Toutefois, c’est au niveau de la gestion du grain et de la précision que des problèmes adviennent. En effet, un usage de filtre anti-grain et surtout du DNR est hélas clairement visible. Du Edge Enhancement a été utilisé pour accentuer des contours, de façon beaucoup trop appuyée. La séquence du cimetière a été tellement numériquement bidouillée que les figures sont à peine inscrites à l’écran, les contours à peine définis sont suivis par leurs fantômes. Cet aspect baveur de l’image est accompagné par une importante perte de définition. Deux possibilités : soit la restauration a été difficile sur cette séquence comme sur d’autres ? Soit, comme le suppose Rétro-HD, elle ne provient pas du négatif mais d’un autre matériel, peut être une source vidéo datée ? Cependant, on note, malgré un grain parfois bien géré, que la restauration et le mastering ont finalement produit un rendu visuel schizophrène. Enfin, si l’on est prêt à oublier les quelques poussières et traces d’endommagement de la pellicule source, on est toutefois surpris par le problématique letterbox (soit l’encadrement du film). Le film, proposé dans son format 1.94 est ainsi compris entre des bandes noires présentes en haut et en bas afin remplir votre écran 16/9. Cependant, on a pu remarquer que la bande noire supérieure est plus importante que l’inférieure, offrant ainsi un rendu asymétrique. Si des testeurs ont noté un gain d’information comparé au format plus resserré du Blu-ray HK (présenté en 1.78), une légère perte de la partie supérieure de l’image est à noter.
Il y a heureusement peu à redire du côté du son. Même si elle est marquée par les stigmates du temps – et d’une conservation possiblement peu heureuse –, tels qu’une tendance à manquer de clarté et de panache, la piste sonore reste efficace : le son en prise directe, puis synchronisé, participe réellement à l’immersion dramatique du spectateur dans la réalité adolescente mise en scène.
Côté bonus, Spectrum Films a mis les petits plats dans les grands. On remarque de prime abord trois interviews exclusives, celles intéressantes du réalisateur David Lai, du coproducteur Michael Mak (qu’on retrouvera à la réalisation de Sexe and Zen et Le Bras armé de la violence 2 & 3) et la dernière plus anecdotique d’Irene Wan. Les deux premiers reviennent sur leurs parcours respectifs, du journalisme à la télévision puis au cinéma en tant qu’assistant de Johnny Mak pour le premier, et beaucoup de télévision avant le cinéma en tant qu’assistant de Tsui Hark pour le deuxième. Les deux bonhommes se rappellent l’important travail de recherche effectué avec le producteur Johnny Mak (à qui l’on doit l’unique et brillante réalisation du Bras armé de la loi – 1984), le choix de jeunes acteurs inexpérimentés plutôt que de têtes de figures trop âgées et trop dans l’interprétation, l’intérêt du film pour la culture du club qui était une source de danger pour les jeunes de l’époque, ou encore sa bonne réception publique et critique, de même que les films produits dans la continuité des genres qu’il a (r)éveillés, ceux du métrage sur la jeunesse et du prostitution movie. La troisième se souvient avec plaisir (et ego, probablement) de sa participation au long métrage et de son apport à son réalisme, de sa relation fraternelle avec le cinéaste et du fait qu’elle n’a pas revu Becky Lam, première actrice du film, depuis le tournage.
Vient ensuite la bande-annonce et le module sur la restauration, cité plus haut, un peu trop concentré sur les meilleures séquences et présentant des images fixes. On trouve ensuite quatre documents vidéo consacrés à la présentation et l’analyse du film. Si on salue comme d’habitude l’énergie passionnée d’Arnaud Lanuque, on peut regretter la répétitivité notée ici et là dans les trois autres modules, notamment celui intitulé « Un autre regard sur la jeunesse de Hong Kong » par Julien Sévéon. Ce dernier prend le contrepied de l’inscription de Lonely Fifteen dans la nouvelle vague hongkongaise par ses congénères. Toutefois les arguments sont minces et tiennent surtout de l’évocation plus ou moins faussée : les trois figures derrière le film n’auraient pas de lien avec la nouvelle vague hongkongaise même si on trouve parmi le fameux parcours d’étude à l’extérieur du pays pour revenir bosser à la télévision (deux d’entre eux se sont d’abord lancés dans les études journalistiques et même pharmaceutiques). Et le film n’appartient pas à ce mouvement dans le sens où il ne serait pas un film d’exploitation. Pour le premier argument, les interviews et la présentation d’Arnaud Lanuque relativisent le propos, Johnny Mak sera quand même derrière l’un des grands modèles du polar hongkongais avec Le Bras armé de la loi, même s’il a été conçu dans l’épilogue de la nouvelle vague. Michael Mak a fait ses armes avec l’une des figures de proue de la nouvelle vague qu’est Tsui Hark. Et concernant l’exploitation touch du film, Arnaud Lanuque explique si David Lai est dans un cadre dramaturgique marqué par le documentaire, il n’empêche qu’une séquence comme celle de cimetière – et on rajoutera celle du combat contre les voyous dans les escaliers de la ville – tient de l’exploitation. Le retour sur le film par Frédéric Monvoisin est probablement celui qui arrive à proposer un autre regard sur Lonely Fifteen, en évoquant non pas les autres films du genre déjà cités par Lanuque et Sévéon – qu’il s’agisse de métrages passés et des films post-Lonely Fifteen –, mais en allant du côté des personnages de jeunes paumés à l’avenir tragique dans le cinéma Hongkongais des années 70 et 80 et notamment du côté de Wong Kar-wai. Podcast On Fire revient le temps d’une bonne heure sur le film, son contexte, sa conception, ses anecdotes ou encore sur l’expérience spectatorielle de la nouvelle vague hongkongaise et en particulier de Lonely Fifteen par ses deux chroniqueurs anglophones. Si le contenu est intéressant, le contenant manque de rythme et d’un peu plus de vivacité. Au-delà de la répétitivité, on remarque surtout que Sévéon, Monvoisin et les gusses de Podcast On Fire n’ont pas la même information concernant les nominations du film aux HK Film Awards. On peut entendre respectivement, huit, sept puis six nominations. Aussi Sévéon explique que le film n’a pas été un vrai succès public, à l’inverse des deux autres et notamment du dernier qui a eu la bonne idée d’évoquer le box-office de l’année 1982 et la belle place de Lonely Fifteen dans celui-ci, en plus des nominations. Que les points de vue divergent suite à une différence d’interprétation d’une donnée n’est pas un problème, mais que des détails répétés ne soient pas les mêmes, cela pose légèrement problème.
Ainsi même si le master divisera et en gênera plus d’un, l’upgrade de la restauration devrait ravir ceux qui s’étaient contenté de la très moyenne édition HK. Enfin, malgré une certaine répétitivité, l’important travail de Spectrum sur la non moins conséquente quantité de suppléments – tous d’intérêt – devrait permettre aux fans de poursuivre l’expérience de Lonely Fifteen avec le sourire.
Bande-annonce – Lonely Fifteen de David Lai (1982)
CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES Blu-ray
Master Haute Définition – 1080p – format 1.94 avec letterbox en format 1.85 – Encodage Mpeg-4 AVC – Spectrum Films – Son : Chinois Master Audio DTS-HD 2.0 – Sous-titres français – Drame – HK – Durée : 1h36
COMPLÉMENTS
Présentation du film par Arnaud Lanuque
Interview du réalisateur David Lai
Interview de l’actrice Irène Wan
Interview du producteur Michael Mak
« Un autre regard sur la jeunesse de Hong Kong » par Julien Sévéon
Lonely Fifteen par Frédéric Monvoisin
Podcast On Fire spécial Lonely Fifteen
Module sur la restauration
Bande-annonce
Sortie le 26 juin 2020 – Prix public indicatif : 25,00€