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LCJ Editions

Les Enfants terribles de Jean-Pierre Melville en mediabook : un film, deux auteurs

Ce mediabook ultra collector (disponible en DVD et en Blu-ray), publié par LCJ Editions pour le 70e anniversaire de ce classique de Jean-Pierre Melville, est ce qu’on peut appeler une « sortie-événement ». Non seulement le spectateur a-t-il droit à un magnifique nouveau master haute définition de l’œuvre, mais encore celle-ci est-elle accompagnée de plus d’une heure de suppléments intéressants, le tout présenté dans un superbe coffret accompagné d’un livret de 52 pages. Vraiment, on chercherait en vain un reproche à adresser à cette édition de toute beauté. 

Sorti en salles en 1950, Les Enfants terribles n’est que la deuxième réalisation de Melville, après Le Silence de la mer (1947). Cela explique les moyens financiers limités dont disposa le metteur en scène, mais aussi l’influence qu’il accepta de subir de la part de Jean Cocteau, l’auteur du roman adapté. Il faut dire que contrairement à Melville, Cocteau était à cette époque un artiste incroyablement célèbre, dont la réputation n’était plus à faire et dont la carrière était, à vrai dire, en grande partie derrière lui (il décèdera en 1963). Si son œuvre littéraire était déjà particulièrement fournie (près d’une vingtaine de recueils de poésie et six romans, sans parler de ses contributions au théâtre, à la critique, etc.), il était aussi plus expérimenté que Melville dans le septième art. Le poète avait en effet déjà écrit cinq scénarios et réalisé trois longs-métrages : La Belle et la Bête (1946), L’Aigle à deux têtes (1948) et Les Parents terribles (1948). Le quatrième et plus célèbre, Orphée, sortira à peine quelques mois après Les Enfants terribles. Melville lui-même ne cachait d’ailleurs pas son admiration pour le grand artiste français, une admiration qui finira par entraîner la cannibalisation du projet par Cocteau. Résultat : la presse française, qui par ailleurs éreinta l’œuvre jugée scandaleuse pour l’époque, ignora presque complètement Jean-Pierre Melville pour ne se concentrer que sur Cocteau. Désespéré, le cinéaste faillit mettre un terme prématuré à sa carrière à la suite de cette expérience…

Paru en 1929, le roman de Jean Cocteau relate l’histoire de Paul et Élisabeth, des jeunes frère et sœur livrés à eux-mêmes et entretenant une relation fusionnelle. Comme dans une véritable histoire d’amour, le mariage d’Élisabeth avec Michaël, puis l’introduction de deux nouveaux personnages épris de l’un et l’autre, vont entraîner frère et sœur vers une issue tragique.

Revoir le film aujourd’hui permet de réaliser à quel point l’influence de Cocteau y est prégnante. Et pour cause : la présence du poète sur le plateau de tournage fut pour le moins invasive. Ce n’était pas la première fois qu’il procédait ainsi. Avec L’éternel retour (Delannoy/1943) et Ruy Blas (Billon/1948), il fut déjà un scénariste imposant ses vues au réalisateur bien au-delà de ses prérogatives. Étant cette fois l’auteur du roman adapté, Cocteau alla plus loin sur Les Enfants terribles, s’immisçant dans la plupart des choix de Melville, décidant d’une partie de la distribution (lire suppléments ci-dessous) et marquant le film de son empreinte jusqu’à en enregistrer la voix off. Sans surprise, cette situation donna lieu à des confrontations de plus en plus houleuses entre l’artiste accompli et l’ego croissant du jeune Melville. On notera d’ailleurs que cette relation sur le plateau s’apparenta à celle entre les deux personnages principaux du film, qui ne cessent de se chamailler malgré leur amour sincère…

Si les traces du futur style « Melville » y sont rares, Les Enfants terribles n’en est pas moins un grand film, un classique au sens noble du terme. Irrigué par la poésie de l’enfance de Cocteau, le récit ne ressemble à nul autre, avec ses personnages sans âge qui rejouent une tragédie antique. Enfermés dans des décors réduits et quasi exclusivement intérieurs (la chambre du frère et de la sœur, ensuite l’hôtel particulier que Michaël laisse à sa veuve), ils se révèlent tantôt puérils, envieux et intransigeants. Odieux, enfin, lorsque Élisabeth fait tout pour empêcher la naissance d’un amour sincère, adulte, entre son frère et Agathe, tandis qu’elle-même est courtisée par Gérard. Si la relation incestueuse entre les deux personnages principaux, qui scandalisa une bonne partie de la critique de l’époque, est omniprésente dans l’esprit du spectateur, elle n’est jamais explicite, ni dans les paroles ni dans les actes. Évitant le terrain de l’amour et encore davantage de la sexualité, le drame se joue sur le registre du secret et de la féroce exclusivité qui caractérisent les relations dans l’enfance. L’autre représente un monde, le seul qui existe à nos yeux. La trahison le plonge tout aussi brusquement dans l’inexistence, car l’enfant ignore la nuance et le compromis, il ne nourrit que des sentiments entiers, parfois extrêmes. La mort de l’autre se révèle alors aussi une petite mort (voire plus, dans le cas de ce film) de soi…

Synopsis : Paul et Élisabeth sont frère et sœur. Entre eux existe un lien étrange et exclusif, qui peut les amener à refuser la présence des autres. Dans la demeure familiale, ils ont un bien à eux : leur chambre. Celle-ci est un véritable sanctuaire où trône un « trésor » chargé d’une signification connue d’eux seuls. Élisabeth rencontre Michaël et l’épouse, mais, le jour suivant, il meurt lors d’un accident… 

SUPPLÉMENTS 

Pour souffler dignement les 70 bougies de l’œuvre de Melville et Cocteau, l’éditeur ne s’est pas loupé en proposant ce splendide mediabook ultra collector qui ravira tous les amoureux des Enfants terribles.

Au rayon des suppléments vidéo, il nous est d’abord proposé un court-métrage documentaire réalisé par Cocteau himself en 1952, La Villa Santo Sospir. Présent à l’image et via la voix off, le célèbre poète français fait la visite guidée de la villa susnommée, sise à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Si elle appartient à la mécène Francine Weisweiller (rencontrée lors du tournage des Enfants terribles, ce qui justifie la présence du documentaire dans les bonus de ce DVD/Blu-ray), la villa fut richement décorée par Cocteau de fresques – qu’il qualifie lui-même de « tatouages ». L’artiste touche-à-tout était très attaché à ce lieu dans lequel il fit de nombreux séjours jusqu’à la fin de sa vie, et qu’il filma également dans Le Testament d’Orphée (1960). Depuis 1995, la villa est inscrite au titre des monuments historiques et est ouverte au public, même si elle n’appartient plus à la famille Weisweiller. Pour en revenir à la forme du documentaire, on y retrouve quelques effets de style dont Cocteau était friand, comme ces plans montés à l’envers.

Le second bonus consiste en un entretien avec Carole Weisweiller, la fille de la mécène et amie de Cocteau, qui a financé cette magnifique restauration du film. Celle-ci nous parle essentiellement de ses souvenirs d’enfance dorée avec Cocteau, Picasso, Jean Marais et Édouard Dermit. Même si le registre est d’ordre anecdotique, on se prend vite au jeu car on y découvre un Cocteau intime, vis-à-vis duquel Carole Weisweiller ne tarit pas d’éloges. Inutile de dire que les deux suppléments renforcent encore le poids de Cocteau dans le film qui nous est proposé, formant ainsi un ensemble parfaitement cohérent.

Last but not least, on trouve dans le coffret un très joli livret de 52 pages, écrit par le journaliste Marc Toullec et agrémenté de nombreuses clichés de Cocteau et Melville, de photos de plateau, de storyboards et artworks d’affiches de Cocteau, etc. Bref, un régal intellectuel et visuel. Marc Toullec y retrace notamment en détails la genèse et le « making of » de l’œuvre, insistant notamment sur la relation compliquée entre Cocteau et Melville. Les multiples désaccords entre les deux hommes concernaient la période (Melville voulait situer l’action dans les Années folles, comme dans le roman, ce que refusa Cocteau), la conclusion du film, le choix de la musique (il est amusant de noter que le choix de Melville de Vivaldi et Bach prévalut et que Cocteau fit appel aux deux mêmes compositeurs pour son court-métrage documentaire inclus dans les suppléments, réalisé deux ans plus tard), la mise en scène (Cocteau réalisa d’ailleurs certaines scènes en l’absence de Melville, tout comme l’assistant Claude Pinoteau), etc. La principale pierre d’achoppement fut sans nul doute le choix d’Édouard Dermit pour interpréter le rôle de Paul. Dermit, ancien mineur de fond sans formation d’acteur, pas très convaincant (dans un rôle difficile, qui plus est), fut imposé par Cocteau avec lequel il eut une longue relation sentimentale… Les tensions entre les deux artistes empoisonnèrent jusqu’aux relations avec les comédiens, notamment Nicole Stéphane, qui était par ailleurs une lointaine cousine du banquier Alec Weisweiller, dont l’épouse se lia d’amitié avec Cocteau et qui contribua au financement – difficile – du film. L’évocation du rôle de Francine Weisweiller rejoint alors les autres suppléments proposés. La boucle est bouclée ! 

Suppléments des éditions DVD et Blu-ray :

  • La Villa Santo Sospir de Jean Cocteau (1952 / 36 min)
  • Rencontre avec Carole Weisweiller (36 min)
  • Livret exclusif de 52 pages écrit par Marc Toullec

Note concernant le film

4

Note concernant l’édition

5