Les Editions Rimini nous proposent de voir un film rare, Le Temps du Châtiment. Deuxième réalisation de John Frankenheimer pour le cinéma (après une carrière déjà importante à la télévision), le film s’inscrit avec intelligence et émotion dans le cadre des drames sur la délinquance juvénile.
Nous voilà dans un quartier pauvre et délabré de New York (on apprendra par la suite qu’il s’agit de Harlem). Tout semble calme jusqu’à ce que trois jeunes personnages entrent dans le champ. Par leur démarche, par la musique qui les accompagne, par les cadrages et le montage, on comprend tout de suite qu’il s’agit de personnages dangereux. Ce qui sera très vite confirmé : ils renversent tout sur leur passage, bousculent femmes et enfants, et sortent des couteaux à cran d’arrêt, dont ils se serviront pour assassiner un jeune homme.
Le début du film est fulgurant. Il cloue littéralement le spectateur sur son siège. Et si le rythme se calme par la suite, Le Temps du Châtiment restera suffisamment dense pour nous passionner tout du long.
Car le film va se plaire à approfondir tous les aspects de l’affaire, sans céder à la facilité, au pathos ni à un manichéisme primaire. Hank Bell, l’assistant du procureur (joué par un Burt lancaster absolument impeccable) va mener une enquête à charge dont le but initial est clairement affiché : obtenir une condamnation à mort. La tentation de la justice comme vengeance restera présente tout au long du film. Cette scène d’ouverture, avec la marche des tueurs qui aboutit à ce déchaînement de violence, n’est pas sans rappeler des scènes typiques des westerns. La mère de la victime résume toute cette ambiguïté : elle dénonce les Etats-Unis comme un pays violent et inhumain, tout en réclamant elle-même plus de violence (elle propose de faire aux tueurs la même chose que ce qu’ils ont fait à son fils).
Le fait que le film se déroule à Harlem est très significatif. Les premiers plans nous montrent des rues délabrées, encombrées de détritus et de gravas, symboles forts d’une société dont la morale est en ruines. Car le film pose clairement la question : cette jeunesse délinquante n’est-elle pas à l’image de la société américaine dans son ensemble ? Ou, comme on l’entend lors d’une conversation entre Hank Bell et son épouse, est-ce que Harlem est dangereux parce qu’il y a ces jeunes criminels, ou alors sont-ils devenus de jeunes criminels parce qu’ils ont grandi dans un Harlem dangereux ?
Le Temps du Châtiment reprend certains procédés du film noir. Ici, l’enquête ne sert pas à savoir qui est le coupable, puisque nous les connaissons dès le début. Mais plus l’enquête avance, plus nous en apprenons sur la société occupant les rues de Harlem, et plus la question de la morale prend une place prépondérante dans le débat. Morale des criminels, mais aussi morale de la victime et même celle de Hank Bell.
Le film va devenir très déstabilisant puisqu’il montre à quel point la justice, étant pratiquée par des êtres humains, reste forcément soumise aux émotions, aux passions, au vécu de ceux qui la font. Ainsi, tout au long du film, on comprend que l’enquête, si elle avait été menée par quelqu’un d’autre que Hank Bell, aurait été différente. Bell est profondément impliqué dans une histoire qui le replonge dans son passé, un passé trouble où l’on devine qu’il n’a pas été loin de faire lui aussi partie d’une de ces bandes qui s’approprient la rue. Sa connaissance intime de la mère d’un des délinquants joue aussi forcément un rôle dans cette histoire et influe le cours de l’enquête.
Ainsi, en plus du polar et de l’aspect social, Le Temps du Châtiment découvre un côté psychologique dans la description de son personnage principal. Hank Bell est rattrapé par son passé, ses anciens réflexes affleurent encore sous le vernis du respectable homme de loi.
Avec intelligence, le déroulement du film prend le contre-pied du fonctionnement habituel du polar. Au début, nous savons avec certitude qui sont les criminels, mais plus le film avance, plus le doute s’installe. A travers Le Temps du Châtiment, John Frankenheimer interroge notre conception de la justice et dresse le portrait d’une société qui laisse sa jeunesse dériver. Le film ne prend aucun parti, mais sa mise en scène proche du documentaire fait souvent froid dans le dos dans sa manière de mettre à nu les défaillances de la société.
Le film est présenté dans une très belle copie qui rend un juste hommage aussi bien à l’image qu’au son. Côté compléments de programme, les Editions Rimini nous proposent un entretien avec un professeur de cinéma, qui présente la carrière de John Frankenheimer. C’est ici l’occasion de se pencher à nouveau sur un cinéaste très sous-estimé qui pourtant a signé quelques très grands films, du Prisonnier d’Alcatraz au Train, en passant par Sept jours en mai (tous les trois avec Burt Lancaster) ou le très bon et mal-aimé French Connection II. Christian Viviani rappelle très justement le rôle qu’a joué la télévision dans la carrière de Frankenheimer.
En plus de cet entretien fort instructif, l’édition nous propose aussi un livret de 28 pages, Graine(s) de violence, dans lequel Christophe Chavdia revient sur la naissance du film lui-même.
Tout un écrin très intéressant qui accompagne ce fort beau film, que l’on a ici l’occasion de découvrir.
Caractéristiques du Blu-ray :
Durée : 102 minutes (Blu-ray).
Images : noir et blanc, 1920 X 1080 HD, 1.75, 16/9
Son : anglais mono DTS HD, français mono DTS HD
Sous-titres français
Compléments de programme :
Le Nouvel Hollywood de John Frankenheimer, entretien avec Christian Viviani (16 minutes)
Graine(s) de violence, livre de 28 pages rédigé par Christophe Chavdia