Déjà confortablement installé à Hollywood, où il a gravi les échelons jusqu’à devenir l’un des monteurs les plus éminents de son temps – il a notamment travaillé pour la RKO Pictures sur les films d’Orson Welles, dont Citizen Kane –, Robert Wise réalise, deux années avant son fameux West Side Story, un film noir sublimé par l’utilisation du grand angle, la présence au générique du chanteur et acteur noir Harry Belafonte, et comportant une réflexion d’avant-garde sur le racisme.
Entamé au début des années 1940, le cycle originel des films noirs américains entonne peut-être, dès 1959, son chant du cygne. Pour beaucoup en effet, Le Coup de l’escalier se pose en ultime battement de cœur d’un genre qui influence aujourd’hui encore des générations entières de cinéastes. Chef-d’œuvre viscéral aux airs de caper movie, pétri par les mains expertes de Robert Wise, réalisateur de West Side Story (1961) et de La Maison du diable (1963), ce thriller désenchanté, sondant volontiers le racisme de son temps, pose un regard froid et distant sur un triangle humain sous haute tension, composé d’un policier injustement évincé, d’un ancien soldat vieillissant aux penchants négrophobes affirmés et d’un chanteur noir désabusé, tiraillé entre son rôle de père et celui de joueur maladif, aussi criblé de dettes que dépourvu de perspectives.
Reprenons dans l’ordre. Le premier cherche à fomenter un braquage de banque dans l’espoir de s’extirper d’un « grenier » où il se sent à l’étroit ; le second, un militaire peinant à se réinsérer dans la société, essaie de (se) prouver qu’il est « encore trop jeune pour être jeté à la ferraille » ; le dernier subit des pressions financières multiples, tente de régler une lourde ardoise contractée auprès de voyous sans pour autant négliger la pension due à son ex-femme, qui s’avère tout à fait prompte à la lui réclamer, avocats à l’appui si nécessaire. Scénarisé avec malice et une minutie d’orfèvre, Le Coup de l’escalier fait écho à la faiblesse et aux contradictions des hommes, installe ses intrigues dans un climat de violence émotionnelle permanente, décline la condition humaine sous toutes ses formes, même les plus cyniques et intolérables. « On n’est plus au temps de la guerre de Sécession », lancera ainsi le vieux policier au soldat réactionnaire, lequel taxe sans sourciller de « négrillonne » une gamine croisée dans la rue, et affirme un peu plus tard n’accorder aucune confiance « à un type de couleur ». Un racisme ordinaire très en phase avec l’époque, qui conduira à des altercations aux conséquences variables.
Dès son ouverture, Le Coup de l’escalier trace les lignes cardinales d’un monde clos entièrement privé d’espoir. On y filme d’abord une flaque d’eau sur laquelle flottent toutes sortes de déchets, puis des avenues peu avenantes, presque sordides, avant de surexposer un visage marqué par le temps, las et contrarié. Les plans s’attardant ensuite sur des autoroutes dédaléennes et désincarnées, comme les séquences de tension galopante dans les bistrots, participent eux aussi de cette mécanique appuyée du désenchantement. Jean- Pierre Melville, qui tenait en haute estime l’œuvre de Robert Wise, y puisa sans doute de quoi conforter ses propres obsessions, peut-être dans l’usuel « dernier coup » qui vire au désastre ou dans les effets de symétrie confrontant précisément les différents protagonistes.
Filmé au cordeau et remarquablement distribué – Shelley Winters et Robert Ryan sont deux monstres sacrés du film noir –, Le Coup de l’escalier apparaît aujourd’hui encore indémodable et magistralement exécuté de bout en bout : reflets faisant sens, plongées vertigineuses, plans saisis à travers des stores, mouvements d’ombres sur un manège, caméra papillonnant tout en capturant l’horizon, zooms étourdissants, prises de vue normatives à même le sol, dilatation et rétractation du temps… Nul doute qu’il y a du génie, et autant de désespoir, dans ce cinéma-là.
TECHNIQUE & BONUS
Très convaincante sur le plan technique, et notamment dans la gestion des contrastes et la stabilité de l’image, cette édition comporte en outre deux suppléments très intéressants, à travers lesquels le prolifique Jacques Demange, critique de cinéma, analyse le temps dans le film de Robert Wise, et Olivier Père, responsable cinéma d’ARTE France, recontextualise et problématise une œuvre d’une richesse longtemps insoupçonnée. Le premier va notamment mettre en opposition les cinq minutes de flottement (volontaire) précédant le braquage – ainsi que les procédés techniques qui les appuient – et l’accélération du rythme, du montage et du mouvement qui va leur succéder. Le second revient plus abondamment sur la carrière de Robert Wise et souligne ce qui fait l’étoffe du Coup de l’escalier, film hybride – noir, sociétal, de braquage – adulé par Jean-Pierre Melville et se caractérisant par l’emploi, encore rare, d’un comédien noir, Harry Belafonte.
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Fiche technique
Audio : Français DTSHD-MA 2.0mono, Anglais DTSHD-MA 2.0mono
Sous-titrage : Français
Master HD au format 1.37 utilisé par le British Film Institute pour leur sortie Blu-ray
Boîtier Digipack 2 volets avec étui
Contient :
– le Blu-ray du film (96′)
– le DVD du film (92′)
– le livret « Le Sommeil de la raison engendre les monstres » conçu par Christophe Chavdia (28 pages)
« Le Temps selon Robert Wise » : analyse de Jacques Demange, critique à la revue Positif (9′)
« La Griffe Robert Wise » : interview d’Olivier Père, directeur de l’Unité Cinéma d’ARTE France (29’38 »)
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