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Hidden Agenda (1990) de Ken Loach : quoi qu’il en coûte

Premier thriller politique de la carrière du cinéaste britannique, Hidden Agenda fut aussi sa première œuvre marquante après une longue parenthèse où il se consacra à la télévision. Largement inspiré de faits authentiques, le film est une attaque en règle contre les méthodes policières brutales employées par les Britanniques dans leur lutte contre l’IRA. Loin de l’âpreté et du réalisme kitchen sink de ses débuts, Ken Loach y associe avec un talent fou la critique sociopolitique avec une fiction haletante. On retrouve avec bonheur ce film quelque peu oublié dans une nouvelle édition plus que recommandable signée Rimini. 

Pour le cinéaste britannique Ken Loach, l’orée des années 1990 représente son retour sur grand écran, après pas moins de deux décennies d’absence quasi-totale. Son dernier succès au cinéma remonte en effet à 1971, avec Family Life. S’ensuivirent des années de vaches maigres marquées par un désintérêt des producteurs vis-à-vis de cet auteur très engagé politiquement, tendant même vers la censure. Cette époque fut « inaugurée » dès 1971 et un documentaire pour la BBC commandé par l’association caritative Save the Children afin de mettre en valeur son travail. Le résultat fut cependant tout autre, puisque Loach et son producteur Tony Garnett s’employèrent à y dénoncer ce qu’ils estimaient être une attitude « néocoloniale » dans la gestion de certains projets africains de l’association. Cette dernière fut scandalisée par le documentaire, refusa de le payer et s’opposa à sa retransmission. Il fallut alors attendre 1979 pour voir le nom du réalisateur au générique d’un long-métrage de cinéma, même si ce fut dans le style inattendu du film d’aventures pour enfants (Black Jack). Les années 80 furent encore pires pour Loach, qui ne signa durant cette période que deux films – pour autant d’échecs –, Regards et Sourires (1981) et Fatherland (1986).

Pendant toutes ces années, Loach se consacra essentiellement à la télévision, pour laquelle il tourna de nombreux documentaires, dont certains ne furent pas moins controversés que ses films (par exemple Days of Hope, retransmis en 1975). En 1989, il réalisa un court-métrage documentaire intitulé Time to Go dans lequel le cinéaste appelait l’armée britannique à se retirer d’Irlande du Nord. Il développera cet intérêt pour la question nord-irlandaise un an plus tard dans une œuvre de fiction, la première pour le cinéma depuis quatre ans, qui signera son grand retour (il n’a plus quitté le grand écran depuis lors) : Hidden Agenda.

Le film sort la même année que survient la fin de « l’ère Thatcher ». En Irlande du Nord, le mandat de la « Dame de Fer » fut marqué par une nette crispation du gouvernement britannique qui, à l’instar de sa Première ministre, refusa tout compromis avec l’IRA. Attentats à la bombe (dont un visant Thatcher en 1984), assassinats, grèves de la faim scandent le mandat de la Première ministre. Du côté britannique, l’on n’est pas en reste, ainsi que nous l’apprendront plusieurs révélations. C’est l’époque des unités militaires et policières « spéciales », en d’autres termes des barbouzes qui n’hésitent pas à torturer et liquider des républicains, forment des escadrons de la mort, montent de faux attentats, déstabilisent le gouvernement travailliste, etc. C’est précisément le sujet du film scénarisé par Jim Allen (qui collaborera plus tard avec Loach sur Raining Stones et, surtout, Land and Freedom), qui colle au plus près des faits qui se sont déroulés lors de l’impitoyable décennie qui vient de s’achever. Hidden Agenda débute d’ailleurs par deux citations affichées sur fond d’une marche orangiste. La première est de Margaret Thatcher, qui réaffirme l’appartenance de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. La seconde est attribuée à un ancien agent secret britannique : « Deux lois gouvernent ce pays : une pour les forces de sécurité et une autre pour toutes les autres personnes. ». Le ton est donné.

La réussite indéniable de Hidden Agenda tient avant tout au fait que le film constitue un mélange parfait entre une authenticité des situations et des personnages qui définissent à eux seuls le cinéma de Ken Loach (on pense notamment à ces premières images de personnes témoignant de tortures subies de la part de policiers, qu’on jurerait tirées d’un documentaire), et un scénario solide et à suspense, plus surprenant de la part du cinéaste, qui fait du film tout simplement le premier thriller politique de la carrière de Loach. Le scénario se concentre en effet sur un duo de représentants américains de la Ligue internationale pour les droits civils qui, une fois arrivés à Belfast, enquêtent sur les accusations de bavures policières et militaires. Alors qu’il se trouve en voiture en compagnie d’un militant de l’IRA, Paul Sullivan (Brad Dourif) est abattu par des policiers dans un guet-apens. Son assistante Ingrid Jessner (Frances McDormand, comme toujours excellente) ne ménage pas ses efforts pour tenter de découvrir la vérité, en compagnie d’un enquêteur inflexible envoyé par Londres, Peter Kerrigan (Brian Cox, très convaincant dans le rôle). Ces deux personnages droits dans leurs bottes et qui veulent découvrir la vérité, mettent alors les pieds dans un monde complexe de règlements de comptes, d’intrigues et d’officines en tout genre téléguidées par un monde politique qui ne recule désormais plus devant rien pour écraser le terrorisme en Irlande du Nord…

Mené par des comédiens – McDormand et Cox en tête – très solides, le film adopte certes une position particulièrement critique vis-à-vis des agissements britanniques durant les années 80, ce qui lui valut l’hostilité d’une partie de la presse britannique à sa sortie. Comme à son habitude, Loach assume ses positions ; qu’on les partage ou non, il se dégage de Hidden Agenda un tel degré de réalisme dans l’écriture et la mise en scène (Loach tourna même la scène de l’enlèvement final en caméra cachée) que le film s’impose comme un thriller politique de haut niveau, particulièrement bien écrit et sans effet de manche ni recherche du spectaculaire. Des qualités qui justifièrent en 1990 un Prix du jury cannois, et qui aujourd’hui n’ont rien perdu de leur impact.

Synopsis : Paul Sullivan et sa fiancée Ingrid Jessner se rendent à Belfast pour enquêter sur des allégations d’atteintes aux droits de l’homme commises par les forces de sécurité britanniques. Paul est assassiné dans des circonstances mystérieuses et est qualifié de complice de l’IRA. Mais Ingrid et l’enquêteur britannique Paul Kerrigan mettent en doute les conclusions de l’enquête et viennent à découvrir un complot mettant en cause des personnalités haut placées… 

SUPPLÉMENTS

En guise de supplément principal, Rimini propose en entretien d’une grosse demi-heure avec Agnès Blandeau, Maître de Conférences en Anglais à l’Université de Nantes, qui s’était déjà livrée à cet exercice pour l’édition Blu-ray/DVD de Black Jack de Ken Loach, publié par le même éditeur en avril 2021. On retrouve avec bonheur ses commentaires, qui consistent davantage en une contextualisation historique mais aussi par rapport à la carrière de Loach, plutôt qu’une analyse cinématographique proprement dite. Blandeau resitue ainsi avec justesse le thriller politique comme le premier du genre à être traité par Loach, qui parvient à en adopter les codes et à s’éloigner de certains des standards de son début de carrière (notamment via l’utilisation d’une majorité de comédiens professionnels, ainsi qu’une actrice américaine) tout en restant fidèle à son cinéma engagé. Alors que ses premières œuvres traitaient essentiellement de problématiques sociales, Hidden Agenda est en effet son premier succès important pour un récit foncièrement politique – et s’intéressant à un sujet très sensible à l’époque. L’enseignante s’attache ensuite au contexte historique et rappelle les contours de la question nord-irlandaise, tout en ne cédant jamais à la tentation du cours d’histoire mais en illustrant au contraire ses propos par des personnages ou des situations du film. L’occasion de vérifier une fois de plus l’authenticité et le sens du détail du scénario.

Les deux autres suppléments proposés sont nettement plus anecdotiques. Il s’agit de deux extraits d’archives de la chaîne de télévision nationale belge RTBF (à l’instar de ce que Rimini avait fait pour l’édition de Black Jack) : une interview du cinéaste et une de Frances McDormand. L’ennui est que ces extraits ne durent qu’une poignée de minutes, ce qui ne permet évidemment pas d’aborder beaucoup de sujets de façon approfondie… Si on aurait apprécié quelques bonus supplémentaires apportant une réelle plus-value au film, voici une édition qui ne démérite pourtant pas, principalement en raison du plaisir que l’on éprouve en revoyant cet excellent opus du maître anglais.

Suppléments de l’édition Blu-ray/DVD :

  • Interview d’Agnès Blandeau, Maître de conférences en Anglais à l’Université de Nantes (2022, 32 min)
  • Interview de Ken Loach (archives RTBF, 1991, 4 min)
  • Interview de Frances McDormand (archives RTBF, 1991, 3 min)
  • Bande-annonce originale

Note concernant le film

4

Note concernant l’édition

3