« Derniers jours d’un médecin de campagne » : un oasis d’empathie dans un désert médical

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Derniers jours d’un médecin de campagne n’est pas qu’un témoignage poignant : c’est une réalité appelée à se faire jour dans la plupart des communes rurales de France (et de Belgique). Ce documentaire raconte les déserts médicaux par le truchement du docteur Patrick Laine, médecin généraliste candidat à la retraite, mais cependant incapable de trouver un successeur et d’abandonner ses patients.

Le docteur Patrick Laine, soixante-huit ans, arpente Saulnot, une petite commune de Haute-Saône, dans son SUV blanc. Il enchaîne les rendez-vous, fait une infiltration à une jeune patiente, revoit le traitement d’une dame plus âgée, répond aux questions et apaise les craintes de sa patientèle. Comme de nombreux confrères exerçant en milieu rural, il subit tous les contrecoups des déserts médicaux : un agenda surchargé, la nécessité de faire un peu de cardio ou de rhumato pour éviter des délais très longs en ville, une position inévitable d’auxiliaire du SAMU et de principal – voire unique – interlocuteur médical pour trois ou quatre générations d’une même famille. Et derrière la médecine, le lien social, l’empathie. « Le spécialiste soigne l’organe, nous on soigne l’humain. » C’est à ce titre que ce généraliste candidat à la pension reste en activité : il peine à trouver un successeur et refuse de laisser ses patients sans recours en cas de départ à la retraite. On le lui rend cependant bien, avoue-t-il. Et de fait, tout au long de ce documentaire, les patients ne cesseront de louer sa gentillesse et sa disponibilité.

Le docteur Laine pointe deux difficultés dans l’exercice quotidien de son métier : la gestion du temps et, corollaire obligé, l’impossibilité matérielle de satisfaire à toutes les demandes. Il a conscience d’être parfois la « seule visite mensuelle » de certains patients âgés. Il recueille leurs confidences, leur explique patiemment les synergies entre médicaments, les rassure et leur permet de maintenir un lien social avec l’extérieur. Lui-même, en tant que praticien, craint de perdre ce contact privilégié avec les autres. Ce n’est de toute façon pas à l’ordre du jour, puisqu’il n’y a aucun repreneur hypothétique pour le cabinet. Le docteur Laine a d’ailleurs fait le buzz en cherchant un successeur sur… Leboncoin ! Sans succès toutefois. Et quand il s’agit d’en désigner les responsables, il évoque le numerus clausus, la féminisation de la profession (avec les temps partiels), le manque d’attrait de la médecine libérale (couverture sociale réduite à sa portion congrue), la quantité limitée de maîtres de stage ou la volonté des jeunes médecins d’être salariés à l’hôpital, de mieux concilier vie privée et professionnelle ou de travailler en équipe dans des centres de santé.

À terme, un quart des généralistes de France pourraient disparaître. Le docteur Laine imagine un futur fait de « super-infirmiers », tandis que le médecin traitant serait plutôt un « trieur » envoyant les patients vers les différents spécialistes. En attendant que cette prophétie peu amène se réalise (ou pas), les infirmiers d’aujourd’hui craignent que le départ du docteur Laine ne les conduise à la mobilité forcée, puisqu’ils dépendent de ses prescriptions pour les remboursements de la sécurité sociale… Dans son documentaire, Olivier Ducray révèle l’extrême humanité d’un praticien en même temps qu’il conjugue toutes les peurs – celles du patient, du généraliste, des infirmiers, et celles induites par un modèle qui semble courir à sa perte. Le document est précieux, mais l’effort de réflexion va-t-il suivre ?

BONUS

« Un an plus tard ». Douze mois ont passé et le docteur Laine est toujours de service. Dans une longue interview, il revient sur sa médiatisation récente, ainsi que sur ses combats, annonce que la liberté de s’installer des nouveaux médecins doit être régulée, se prononce sur la notion d’empathie et envisage des futurs généralistes diplômés en cinq ans et placés sous l’autorité de médecins coordinateurs, probablement mieux formés et plus aguerris…

« La vie des gens ». Film annonce.

Fiche technique

Derniers jours d’un médecin de campagne, un documentaire d’Olivier Ducray édité par Tamasa.
Son : 5.1 & Stéréo / Sous-titres : anglais
VF – 16/9 – 1,77 respecté – 5.1 – 1h23

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