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Barabbas (1961) de Richard Fleischer : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est le chemin. » (S. Kierkegaard)

En le revoyant aujourd’hui, nous assumons notre subjectivité en affirmant que Barabbas fait aisément partie des trois meilleurs péplums du cinéma parlant. Mais, c’est bien connu, le mieux est l’ennemi du bien. Le propos subtil et l’approche complexe d’un sujet et d’un personnage fascinants, tranchèrent en effet à l’époque avec les canons établis par les classiques du genre (Les Dix Commandements, Quo Vadis, Ben-Hur…). Un film d’auteur exigeant ? Même pas ! Mais son écart des conventions l’a condamné à un sort cruel : l’incompréhension, jadis ; l’oubli, de nos jours. On saura donc gré à Sidonis de nous proposer cette édition très réussie le mettant parfaitement en valeur. L’œuvre est signée Richard Fleischer, un metteur en scène qui, à l’image de son film, mériterait une bien plus grande reconnaissance. 

Dans la cohorte de bêtes noires fameuses dans la mémoire collective, Barabbas peut revendiquer un rôle tutélaire. Car qui peut mériter davantage l’opprobre que cet homme ? Barabbas, le brigand, l’assassin, la brute avinée. Celui dont l’Histoire aurait instantanément oublié le nom parmi celui de tant d’autres crapules anonymes, si le hasard n’avait pas voulu qu’il soit jugé aux côtés d’un certain Jésus de Nazareth. Le rejet que son nom se conjugue avec l’infamie lorsqu’on songe que c’est lui que le peuple juif choisit de sauver, condamnant le Sauveur à la crucifixion. Faire de cet homme-là le « héros » d’un film à grand spectacle n’avait donc rien d’évident… et c’est ce qui en fait l’intérêt.

Pour s’en emparer, il fallait un metteur en scène qui n’avait pas froid aux yeux. Richard Fleischer est de cette race-là. A l’époque du film, l’homme est déjà un vétéran – il a débuté sa carrière au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – et il s’est frotté à peu près à tous les genres cinématographiques. Cette versatilité explique en partie le manque d’estime dont il souffre, Fleischer ne correspondant pas à la définition que l’on se fait d’un « auteur », ce qui ne l’empêche pas d’être un remarquable metteur en scène qui possède à son actif une sacrée brochette d’œuvres majeures. Après des débuts en tant qu’homme de studio auquel furent confiés bon nombre de productions de série B, l’immense succès de Vingt Mille Lieues sous les mers (1954), qui lui est confié par Disney et où il dirige Kirk Douglas, le propulse dans une autre catégorie. Son arrivée à la Fox l’année suivante le voit enquiller les succès, parmi lesquels Les Vikings (1958) – encore avec Kirk Douglas – et Le Génie du mal, qui lui vaut une nomination à la Palme d’Or. Au début des années 60, le cinéaste part pour Paris, où il tourne deux films oubliables pour Darryl F. Zanuck, dans lesquels figure la petite amie du célèbre producteur, Juliette Gréco (Drame dans un miroir/1960 et Le Grand Risque/1961). C’est alors qu’il est contacté par un autre célèbre producteur, européen cette fois, Dino De Laurentiis. Celui-ci lui propose un péplum de grande ampleur, servi par un casting international.

L’œuvre se base sur un roman du Suédois Pär Lagerkvist paru en 1950, qui avait déjà été adapté par Alf Sjöberg en 1953. Le récit est particulièrement intéressant, puisqu’il imagine ce qu’est devenu le brigand Barabbas, un personnage mineur du Nouveau Testament mentionné dans l’Evangile selon Marc, après qu’il eut la vie sauve grâce au privilège pascal (consistant à gracier un condamné à mort) accordé par le préfet romain Ponce Pilate au peuple juif.

Le péplum est un genre cinématographique qui, en particulier dans les grosses productions américaines, a régulièrement traité des sujets bibliques dont l’action se situe lors des premières années du christianisme (Le Roi des rois/Nicholas Ray, Ben-Hur/William Wyler, La Plus Grande Histoire jamais contée/George Stevens, etc.). Un des classiques les plus comparables à Barabbas – curieusement, il n’est pourtant mentionné par aucun des spécialistes dans les suppléments du DVD/Blu-ray (lire plus bas) – est selon nous Quo Vadis. L’œuvre de 1951 mise en scène par Mervyn LeRoy traite en effet d’un protagoniste dépeint négativement (un centurion romain) qui, par ses contacts avec les chrétiens persécutés dans les dernières années de la dynastie julio-claudienne, ouvre progressivement son cœur à la foi nouvelle. Un propos dont Barabbas se présente comme une version plus subtile et ambigüe, ce qui fait de ce film, à notre humble avis, un péplum bien plus intéressant que la plupart des « classiques » du genre.

L’originalité du film tient peut-être, avant tout, à la combinaison de ses atouts, le remarquable scénario écrit par un fervent chrétien, le poète et dramaturge Christopher Fry (qui co-écrira, quelques années plus tard, La Bible réalisé par John Huston), et la mise en scène de l’athée Richard Fleischer. Cette rencontre a produit une œuvre profondément imprégnée par la thématique de la foi mais qui garde toujours une distance avec son sujet. Fleischer sut aussi utiliser intelligemment les « ficelles » habituelles du péplum, appréciées du public, afin de poser un sujet subtil et de dérouler un récit tout sauf linéaire. Cette approche non-conventionnelle explique probablement le succès modeste de Barabbas qui, comme nous le raconte Patrick Brion dans les bonus, affecta beaucoup Richard Fleischer. On retient ainsi, d’une part quelques scènes épiques parfaitement mises en scène, comme celle de la crucifixion du Christ (filmée durant une réelle éclipse solaire totale, le 15 février 1961, pour un résultat extraordinaire !), les travaux forcés dans l’enfer des mines de cuivre, le massacre des chrétiens dans les arènes ou la confrontation de Barabbas et Torvald (séquences tournées dans les arènes de Vérone). Autant de moments de bravoure qui n’ont strictement rien à envier à la course de chars de Ben-Hur ou à l’incendie de Rome dans Quo Vadis, cette dernière scène étant d’ailleurs également représentée dans Barabbas. En parallèle, Fleischer frustre néanmoins les attentes avec ce film au rythme globalement lent et au refus de certaines évidences, comme l’illustre le plaisir avec lequel le cinéaste maintient le personnage de Jésus hors-cadre dans les premières séquences, au profit de son protagoniste dont l’existence crapuleuse ne mérite apparemment pas ce traitement de faveur… De manière plus fondamentale, comme le souligne le regretté Bertrand Tavernier dans les suppléments, l’œuvre traite de la foi non à travers l’apparition de signes tangibles (on pense au Buisson ardent dans Quo Vadis), mais au contraire comme un travail sur soi, une réflexion intérieure faite de doutes et de négations, une tâche ingrate et progressive. C’est par la souffrance et le renoncement que Barabbas, petit à petit, accepte le caractère divin du Christ et lui confie enfin sa foi. Ce qui donne lieu à une dernière séquence crépusculaire et magistrale de la crucifixion de Barabbas, qui fait écho à celle de Jésus au début du film, dans une obscurité identique.

Le casting est heureusement à la hauteur des ambitions de ce péplum. Anthony Quinn remplaça un Yul Brynner longtemps pressenti, et le comédien d’origine mexicaine, en ascension presque continue depuis dix ans (Viva Zapata/Elia Kazan) et qui a déjà collaboré avec De Laurentiis lors d’une première virée européenne (Ulysse/Mario Camerini), se pose comme un choix évident. Jouant de son physique imposant, il propose une variation très réussie de la veulerie et de la brutalité de son personnage de Zampanò dans La Strada (Federico Fellini/1954). Contrastant avec cet anti-héros ténébreux, Vittorio Gassman interprète le personnage solaire du marin chrétien Sahak, dont la foi parviendra, à travers sa mort ignominieuse, à percer la carapace d’indifférence et de sècheresse de Barabbas. On notera aussi la présence de Silvana Mangano, l’épouse du producteur De Laurentiis, dans le rôle de Rachel, la maîtresse de Barabbas devenue chrétienne, le premier « martyr » (elle finit lapidée) sur le long chemin de la foi. Enfin, Jack Palance joue – comme souvent – le rôle d’un beau salaud, celui du gladiateur Torvald, avec une délectation sadique communicative. Que du beau monde, dans ce qui constitue sans nul doute un chef-d’œuvre du genre, à redécouvrir d’urgence !

Synopsis : Gracié par le peuple de Jérusalem qui choisit de faire crucifier Jésus, Barabbas reprend sa vie de bandit. Condamné à perpétuité dans les mines de soufre de Sicile, il échappe miraculeusement à un tremblement de terre avec Sahak, le chrétien qui partage ses chaînes. De plus en plus touché par la foi de son compagnon, Barabbas affronte désormais l’épreuve de l’arène du Colisée de Rome…

SUPPLÉMENTS 

Sidonis/Calysta propose souvent de belles éditions incluant des bonus de qualité, et ce n’est pas ce Barabbas rendant justice à son géniteur qui nous fera dire le contraire. On y retrouve tout d’abord deux habitués en commentaire. Le regretté Bertrand Tavernier, très inspiré, y livre une excellente analyse d’une œuvre qu’il jugé nuancée et inhabituelle pour ce type de productions – comment ne pas lui donner raison ? –, avec sa progression lente et son « anti-héros absolu ». Le cinéaste et écrivain juge sévèrement le manque de génie de l’adaptation suédoise de 1953 du roman de Lagerkvist, alors que le scénario de Christopher Fry et le brio de la mise en scène de Fleischer (qui aime les sujets difficiles et les contre-emplois, comme en témoignent par exemple Le Génie du mal en 1959, L’Etrangleur de Boston en 1968 ou L’Etrangleur de la place Rillington en 1971) font de Barabbas un péplum de grande qualité, bien que hélas très mésestimé. Tavernier livre un tableau d’ensemble très enrichissant, couvrant tous les aspects du film : la genèse du projet, la richesse du scénario ou encore la prestation des comédiens principaux.

On retrouve ensuite un autre « vieux briscard », l’historien du cinéma Patrick Brion, pour une seconde présentation plus courte mais complémentaire. Il souligne d’abord les grandes qualités de Fleischer, énumérant quelques chefs-d’œuvre dont il fut, si pas « l’auteur » au sens parfois pédant du terme, en tout cas le remarquable metteur en scène. Brion contextualise aussi le véritable tour de force que constituent les impressionnantes scènes de foule, rappelant qu’à l’époque du film, il fallait enrôler, vêtir de costumes et diriger des milliers de figurants pour tourner ces moments de bravoure. Il révèle ensuite quelques anecdotes croustillantes, notamment celle d’une Jeanne Moreau pressentie pour le rôle de Rachel, un choix que De Laurentiis écarta au profit de sa compagne, Silvana Mangano.

Enfin, l’édition contient un long documentaire dédié à Anthony Quinn. Un peu daté (il a été réalisé au début des années 1990) et formaté « à l’américaine », il se laisse toutefois regarder avec un réel plaisir, d’autant plus qu’il couvre l’essentiel de la carrière du comédien (les dix dernières années ne comprennent de toute façon que des rôles mineurs). Comme souvent dans ce type de productions, c’est la qualité des intervenants qui en fait tout le sel : Gina Lollobrigida, Martin Ritt, Stanley Kramer, J. Lee Thompson, les enfants de Quinn, etc. Et puis surtout il y a Quinn lui-même, irrésistible de charme et d’humour lorsqu’il rejoue devant la caméra, avec un plaisir évident, des scènes de sa vie. Un sacré bonhomme ! Toutes ces célébrités reviennent sur le parcours improbable de cet homme né au Mexique d’une mère mexicaine et d’un père à moitié irlandais (qui aurait combattu aux côtés de Pancho Villa !), qui émigra ensuite aux États-Unis et entama la carrière que l’on sait. Cantonné initialement aux rôles « ethniques », il joua régulièrement des Indiens, notamment dans Une aventure de Buffalo Bill (1936) de DeMille, où il rencontra la fille du célèbre cinéaste qu’il épousa. Refusant ce destin d’éternel second couteau dans lequel on voulait le cantonner, il partit pour New York et reprit des cours de théâtre à l’Actors Studio, une décision courageuse qui lui permit de s’imposer, en quelques années, non seulement comme un premier rôle mais comme une véritable star. Quinn lui-même insiste sur l’importance de Viva Zapata! (1952) où il put franchir un cap important sous la direction de Kazan et aux côtés de Brando, mais aussi et surtout La Strada (1954) de Fellini. L’évocation de ce chef-d’œuvre nous donne l’occasion de revoir avec émotion le Maestro lui-même confier ses impressions, ainsi que son épouse Giulietta Masina. LE grand moment du documentaire, assurément ! Enfin, et ce n’est pas la moindre qualité de ce supplément, il nous donne sacrément envie de revoir certains titres dont il est question : La Vie passionnée de Vincent van Gogh (Vincente Minnelli/1956), Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy/1956), L’Orchidée noire (Martin Ritt/1958), Requiem pour un champion (Ralph Nelson/1962), La Pluie de printemps (Guy Green/1970) ou encore, bien sûr, l’irrésistible Zorba le Grec (Michael Cacoyannis/1964) ! De quoi occuper quelques merveilleuses soirées cinéma !

Suppléments de l’édition combo DVD/Blu-ray :

  • Présentation par Bertrand Tavernier
  • Présentation par Patrick Brion
  • Documentaire sur Anthony Quinn
  • Bande-annonce

Note concernant le film

4.5

Note concernant l’édition

4.5