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Alamo (1960) de John Wayne : la geste texane

En 1960 et en pleine gloire, John Wayne décide de concrétiser un vieux rêve : mettre en scène un film sur le siège de Fort Alamo, un événement majeur de la révolution texane et, donc, de l’histoire étatsunienne. Parce qu’il s’agit d’un événement fondateur, mais aussi parce que ce dernier est l’occasion pour le Duke d’exprimer son positionnement politique et une certaine idée de l’Amérique, Alamo mobilise des moyens considérables et un casting costaud pour un métrage initial excédant les trois heures. Depuis sa sortie, l’œuvre a été vertement critiquée par les spécialistes pour ses qualités de document historique. Qu’importe ! Il nous reste un western épique impeccablement mis en scène, qu’on prend énormément de plaisir à revoir et qui témoigne d’un indéniable talent de Wayne derrière la caméra. Il n’y a pas à dire, les Américains savent comment donner vie à leur roman national ! 

On peut s’étonner qu’un événement aussi célèbre que la bataille de Fort Alamo, véritable mythe fondateur étatsunien, n’ait fait l’objet que d’une dizaine d’adaptations cinématographiques. Martyrs of the Alamo, réalisée par Christy Cabanne et produite par D.W. Griffith, en fut historiquement la première. Une des plus célèbres, même si elle est focalisée sur le soldat, trappeur et homme politique Davy Crockett, fut produite par Disney en 1955 (Davy Crockett: King of the Wild Frontier, de Norman Foster) et remporta un succès notable. La palme de l’originalité revient à la comédie Viva Max (Jerry Paris/1969), qui imaginait l’armée mexicaine reconquérant le fameux fort à l’époque moderne ! La dernière adaptation en date est signée John Lee Hancock et fut tournée en 2004. Montrant les points de vue de tous les belligérants (tant mexicains qu’américains), ce film présente sans doute la version des faits la plus historiquement correcte… mais fut un échec retentissant. Une preuve supplémentaire que réalité historique et roman national ne font pas toujours bon ménage.

Il est peu de dire que le projet de Alamo a mis du temps à voir le jour, John Wayne ambitionnant de réaliser ce film dédié à une page importante de la « geste texane » depuis 1945. Fait rarissime : le scénario écrit à l’époque par James Edward Grant (qui collabora avec Wayne sur une douzaine de films) sera bien celui qui sera finalement filmé quinze ans plus tard. Il est également à noter que le fils de John Ford, Patrick, fut initialement engagé pour assister Grant dans ses recherches historiques liées au sujet du film, même si l’on ignore si cette contribution fut conservée dans le script. John Wayne tenta de faire réaliser le film par Republic Pictures mais essuya un double échec : le studio refusa et, pire encore, Wayne perdit les droits du script, qui fut adapté par Frank Lloyd en 1955 dans une version très différente, focalisée sur le personnage de Jim Bowie (Quand le clairon sonnera). Frustré de constater que le scénario de Grant avait été détourné de son sens initial, le Duke conserva l’espoir de concrétiser sa vision, et établit dans ce but avec Robert Fellows sa propre société de production, Batjac, en 1952. Mis en confiance par une première expérience pour laquelle il ne fut pas crédité (L’Allée sanglante de William Wellman, en 1955), Wayne décida de mettre le film en scène lui-même, sans jouer dedans. Il échoua cependant à rassembler le financement nécessaire, les investisseurs exigeant que Wayne, alors au faîte de la gloire, intègre le casting, ce que l’intéressé se résolut à accepter. Pour l’anecdote, précisons que la star voulait initialement se réserver le rôle mineur du général Sam Houston afin de pouvoir se concentrer sur son rôle de metteur en scène, mais des pressions supplémentaires le poussèrent à incarner finalement Davy Crockett. Rater l’opportunité de voir le Duke arborer le bonnet en peau de raton laveur du célèbre trappeur eut été sacrément dommage !

Le financement du film fut enfin finalisé en 1956, Wayne y contribuant avec un million et demi de dollars de ses propres deniers. La production imposante s’explique surtout par la construction de décors énormes, baptisés plus tard « Alamo Village », qui furent utilisés par bien d’autres productions cinématographiques et qui sont devenus aujourd’hui une attraction touristique. Concernant le casting des trois rôles principaux, outre celui de Davy Crocket qu’il dut se réserver, Wayne engagea l’acteur britannique Laurence Harvey, qui avait connu le succès l’année précédente aux côtés de Simone Signoret dans Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton, pour incarner le colonel William Barrett Travis auquel Harvey conféra la « classe britannique » voulue par le Duke. Le rôle du célèbre colonel Jim Bowie fut confié à Richard Widmark. Excellent dans le film, le comédien ne se sentit pourtant pas à l’aise et il fallut le menacer de poursuites légales pour l’empêcher de quitter le tournage. Inspiré par l’exemple de Rio Bravo (1959) pour lequel Howard Hawks avait engagé la star de la chanson Ricky Nelson afin d’attirer – avec succès – le public jeune, John Wayne recruta la teen idol Frankie Avalon pour interpréter Smitty, le plus jeune défenseur du fort. Enfin, le cinéaste confia plusieurs rôles à des amis et membres de sa famille, dont son fils Patrick et sa fille Aissa.

Alamo fait partie de ces œuvres restées dans la mémoire des cinéphiles pour leur côté « larger than life » : une légende aux commandes d’un casting de stars, une production énorme, des décors grandioses, un tournage dans un cadre sauvage, sans parler d’un fait divers tragique émaillant le tournage, puisqu’un comédien dans un rôle mineur fut assassiné par son épouse dans le cadre d’une dispute conjugale ! Le mentor de John Wayne, John Ford, fit même une apparition inopinée sur le plateau. Son influence ne plaisant pas au cinéaste débutant qui souhaitait garder le contrôle sur son film, il envoya le maître tourner des prises secondaires… qui ne furent pas montées dans le film. Malgré l’ampleur du projet et les conditions difficiles dans lesquelles il fut concrétisé, force est de reconnaître que Wayne a fait un travail remarquable en ne négligeant aucun aspect du film. Au bout d’un long tournage, pas moins de 566 scènes avaient été tournées, pour une durée de montage initial de près de trois heures et demie !

Si l’œuvre a mobilisé autant de moyens et de stars, ce n’est pas seulement grâce au pouvoir d’attraction de John Wayne. C’est aussi parce qu’elle traite d’un mythe fondateur des États-Unis. L’histoire est aujourd’hui connue bien au-delà des frontières américaines : en 1836, environ 200 défenseurs texans retranchés dans le fort Alamo (à l’époque un avant-poste religieux datant de l’époque espagnole) périssent sous les coups des 3.000 soldats mexicains du général Santa Anna, après avoir résisté héroïquement à un siège de treize jours. L’épisode tragique fut un tournant important dans la révolution texane, qui débuta en octobre 1835 lorsque les Texians (les immigrants américains peuplant l’état mexicain du Coahuila y Texas) engagèrent les troupes mexicaines afin de s’opposer à l’évolution centralisatrice que connaissait alors le Mexique. Les autorités mexicaines accusaient pour leur part les Texians de sécession, leur reprochant une absence d’assimilation à la culture mexicaine. La répression fut très dure, Santa Anna considérant les rebelles comme de simples flibustiers, c’est-à-dire des criminels qui ne devaient pas bénéficier des égards militaires dus à des troupes régulières. Alors que Santa Anna escomptait un affaiblissement de la révolte, la chute de Fort Alamo et le fait que les survivants avaient été passés par le fer, provoqua l’effet inverse du côté texan. Les recrues affluèrent, le moral gonfla et, à peine un mois et demi après les événements à Alamo, l’armée mexicaine fut défaite à la bataille de San Jacinto lors de laquelle de nombreux soldats texans crièrent « Remember the Alamo ! », preuve du pouvoir mobilisateur de ce qui était déjà devenu un mythe. Jamais plus les Mexicains ne reprendront le dessus, et l’armistice fut conclu en juin 1843. Deux ans plus tard, le Texas fut intronisé 28e État américain.

Même si Alamo respecte la trame des événements, le film ne reflète en aucun cas la vérité historique, le scénario ne s’embarrassant pas de contextualiser les faits et reflétant une image très pro-américaine de la célèbre bataille. L’objectif était ailleurs. John Wayne, notablement patriote et conservateur, farouchement anticommuniste, ambitionnait d’utiliser ce haut fait historique comme une métaphore politique. Ceci ressort clairement de références appuyées aux notions de liberté et de droit des individus, et certains dialogues sont sans équivoque, notamment celui où Davy Crockett s’exprime sur la beauté de la notion de république. Aujourd’hui, sur le plan historique, le film en dit donc plus sur l’époque où il fut réalisé que sur celle qu’il prétend dépeindre.

Si l’œuvre peut soulever des objections politiques ou historiques, selon les goûts et les centres d’intérêt de chacun, en tant que western elle se déguste en revanche avec un plaisir non dissimulé. Le trio de comédiens, au sein duquel le Duke ne tire nullement la couverture à lui, est impeccable grâce à une interaction amusante : Bowie le bagarreur indomptable, Travis en officier rigide mais courageux, et Crockett le héros sympathique et conciliant qui doit sans cesse intervenir dans les querelles des deux autres. La mise en scène, mobilisant dans certaines séquences une myriade de figurants (dont la fameuse bataille finale), est impressionnante de maîtrise, tout comme la photographie, notamment dans plusieurs scènes nocturnes de toute beauté. Même si la durée du film est très longue, le montage de Stuart Gilmore en gère parfaitement le rythme et, si la confrontation finale n’intervient que dans les vingt dernières minutes, l’alternance classique du western entre scènes d’action et moments de camaraderie forme une assurance contre l’ennui. Le scénario de James Edward Grant ajouta à cette formule éprouvée plusieurs dialogues à connotation politique, d’un idéalisme simpliste qui schématise allègrement les faits et n’exclut pas quelques anachronismes, mais le film ne verse que rarement dans la caricature pure et simple dans laquelle Wayne se vautrera quelques années plus tard avec Les Bérets verts (un film qu’il co-dirigera). Last but not least, même si on connaît d’avance la fin de l’histoire, il reste très surprenant de voir un western américain de cette époque, avec de nombreuses stars, se terminer par la mort des protagonistes au combat. De quoi achever de conférer à cette œuvre un parfum unique.

Alamo fut un succès en salles et il fut nommé pour sept Oscars (grâce au lobbying intense de Wayne, il faut le souligner), remportant celui du meilleur son. Néanmoins, les moyens financiers mobilisés furent tellement importants que le Duke ne rentra pas dans ses frais, et il finit par vendre ses droits à United Artists. Le studio en profita pour éditer sévèrement le long-métrage, qui passa d’un montage initial de 3h20 à un métrage de 2h47. Le film est proposé dans ces deux versions dans le coffret double Blu-ray édité par ESC Distribution, ce qui n’est pas le cas du double DVD, qui n’inclut que la version « courte ».

Synopsis : En 1836, après la rébellion de la province mexicaine du Texas, 185 Américains, dont les colonels William Travis, Davy Crockett et Jim Bowie, se réfugient dans le monastère d’Alamo transformé en fort et résistent jusqu’à la mort aux milliers de soldats mexicains commandés par le général Santa Anna… 

SUPPLÉMENTS

ESC Distribution a concocté un menu très spécial pour cette sortie événement, en proposant deux disques gavés de suppléments, autant sur la version DVD que Blu-ray. Hélas, n’ayant reçu qu’un disque simple ne comportant rien de plus que le film (en version « courte » de 2h47), nous sommes dans l’incapacité de commenter les bonus… Une vraie déception, car ceux-ci sont alléchants, comme vous pouvez le constater ci-dessous. 

Suppléments de l’édition 2 DVD :

  • John Wayne mon père : entretien avec Patrick Wayne (33 min)
  • Passion Alamo : entretien avec le journaliste Jean-François Giré (40 min)
  • Un musée pour John Wayne
  • Bande-annonce

Suppléments de l’édition 2 Blu-ray : les mêmes que l’édition double DVD, mais aussi

  • La version longue du film (3h22)
  • Making-of (1h)
  • Galerie photos

Note concernant le film

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