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Halloween (1978), de John Carpenter : le parangon du slasher

Tout a déjà été dit et écrit à propos de ce film auquel l’adjectif « culte », utilisé aujourd’hui à tort et à travers, mérite assurément d’être associé. Et pourtant on ne peut s’empêcher de le revoir et de le disséquer une fois de plus, preuve que sa remarquable simplicité a résisté à l’usure du temps. Son succès dépasse l’aspect purement commercial, même si celui-ci est phénoménal. Halloween est un classique qui donna au slasher, un genre jusque-là considéré comme du simple cinéma d’exploitation, ses lettres de noblesse.

Naissance de la Bête

Le principe du slasher est pour le moins simple, les mauvaises langues diront même « simpliste ». Dans ce sous-genre du cinéma d’horreur, l’action se concentre sur le meurtre de plusieurs individus par un tueur, le plus souvent au moyen d’une arme blanche (dans le cas qui nous occupe, un couteau à la lame démesurée). Tirant ses influences notamment du giallo italien et du cinéma d’exploitation, le slasher connut son âge d’or de la fin des années ’70 au milieu de la décennie suivante, l’autre grand classique qu’est Massacre à la tronçonneuse (1974) jouant le rôle de précurseur de cette ère. Sorti en 1978, Halloween et son succès foudroyant – 70 millions de dollars au box-office, pour un budget d’à peine 300.000 $ ; film indépendant le plus rentable jusqu’en 1990 – donneront le coup d’envoi de cette période prolifique.

La prouesse mérite d’être saluée, alors que le cinéaste âgé de 30 ans réalise là seulement son troisième long-métrage. Son succès est encore plus impressionnant lorsqu’on se remémore qu’à l’époque, le cinéma d’horreur, qui le consacrera comme un de ses grands maîtres, est un style dans lequel John Carpenter n’a… aucune expérience. Rien n’était écrit à l’avance pour ce jeune homme pour lequel l’horreur n’était qu’un des sujets de prédilection parmi d’autres, et qui commença sa carrière par deux films inscrits dans des genres différents, la science-fiction et un thriller inspiré de Howard Hawks, une de ses idoles de jeunesse.

L’aventure débute au moment où les producteurs Irwin Yablans et Moustapha Akkad découvrent Assaut (1976), le second long-métrage de Carpenter. Impressionnés, les deux hommes contactent le réalisateur afin de lui proposer une fiction traitant d’un psychopathe qui assassine des baby-sitters. Obtenant de ses producteurs un contrôle créatif total, Carpenter écrit le script avec sa compagne Debra Hill en dix jours et en compose également la musique, qui deviendra sans doute la bande originale d’un film d’horreur la plus connue à ce jour. Il est amusant de préciser que c’est Yablans qui suggéra de situer l’action pendant la nuit d’Halloween, ce qui n’était pas prévu jusqu’alors. Tous les tropismes du slasher se trouvent dans le script : un psychopathe (ici rendu complètement mutique, une des meilleures idées du duo de scénaristes) aux motivations obscures, des vues subjectives de l’antagoniste (qui permettent au spectateur de rentrer « dans la peau » de l’assassin), des victimes adolescentes et sexuellement actives, et une héroïne « pure » et vierge qui finira par vaincre le mal. Black Christmas de Bob Clark, sorti en 1974, est une influence assumée de Carpenter. Il faut dire que ce dernier aurait eu du mal à s’en cacher : le film de Clark traitait d’un psychopathe anonyme et dérangé harcelant puis tuant des étudiantes… durant la saison de Noël ! Carpenter en tournera en quelque sorte le pendant celtique.

Des moyens limités comme atout

Le budget ridicule du film ne permettait évidemment pas de réunir une brochette de stars, ce qui n’était de toute façon pas dans les habitudes d’un Carpenter encore peu expérimenté. Le cas de l’acteur britannique Donald Pleasence, qui incarne le docteur Loomis, le psychiatre de Michael Myers, est intéressant car Halloween donna une tournure déterminante et inattendue à une carrière jusque-là assez conventionnelle (il joua dans quelques classiques comme le James Bond On ne vit que deux fois, La grande évasion, THX 1138 ou le terrible Réveil dans la terreur). Pour le meilleur mais aussi pour le pire, l’homme se perdant de plus en plus dans le cinéma bis jusqu’à la fin de sa vie… Pleasence n’était pas le premier choix de Carpenter. La légende Christopher Lee refusa notamment le rôle, décision que l’intéressé qualifia plus tard de « plus grosse erreur » de sa carrière. Pour Jamie Lee Curtis, vingt ans à l’époque, ce fut la première prestation dans un long-métrage. Elle non plus n’était pas le premier choix du cinéaste, qui ne la connaissait pas. Le fait qu’elle fut la fille de Janet Leigh, la star du Psychose d’Alfred Hitchcock, semble avoir pesé lourd dans la balance. La genèse des films de légende sont faits de curieux hasards. Le film propulsa la carrière de la jeune actrice, qui évita d’épouser la même trajectoire que Donald Pleasence en tournant dans des registres variés, même s’il faut bien admettre que sa filmographie ne compte que peu de chefs-d’œuvre…

Halloween a été tourné en vingt jours à peine et la plupart des prises de vue ont été réalisées avec une Steadicam, une caméra très récente à l’époque – elle fut introduite à peine trois ans plus tôt. Ce choix est crucial et joue un rôle prépondérant dans l’impact du film. La liberté de mouvement permise par la Steadicam ajoute en effet une solide dose de tension aux prises subjectives et aux déplacements des protagonistes dans un cadre que le spectateur sait menacé par le tueur dissimulé. Mieux encore, elle permet de rendre la présence de Michael évidente, presque palpable, sans même qu’on le voit à l’image. Halloween est ce qu’on peut appeler une expérience viscérale, objectif que tout film d’horreur vise mais rares sont ceux qui l’atteignent d’une manière aussi simple et efficace. C’est un des traits de génie de John Carpenter : utiliser à son profit la limite qui lui est imposée par des moyens très réduits, en resserrant l’intrigue sur l’essentiel et en suscitant l’angoisse par des choix techniques précis et redoutablement efficaces.

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La peur au ventre

Avec un recul de plus de 40 ans, il est fascinant de constater à quel point presque toutes les scènes de ce film pourtant simple et efficace – il faut le répéter – sont devenus des archétypes du genre. Il ne s’agit pas ici d’affirmer que John Carpenter inventa avec Halloween une nouvelle grammaire cinématographique, lui-même n’ayant jamais caché ses influences et n’étant pas à proprement parler un inventeur de formes. Mais tout de même : l’association du tueur au mal absolu, le tournage en caméra subjective, la musique angoissante, la façon d’accroître la tension, le portrait de l’héroïne… tout constitue un modèle du genre, un condensé de ses codes qui – on peut évidemment le déplorer – seront souvent copiés, rarement dépassés.

Un exemple parmi d’autres afin de s’en convaincre : l’impact visuel de la scène qui se déroule 15 ans après le crime originel de Michael Myers, lorsque le Dr. Loomis et une infirmière se rendent au sanatorium où leur patient est enfermé depuis son crime afin de l’escorter au tribunal. Arrivant de nuit, sous une pluie battante rendant la visibilité difficile, ils se rendent compte en arrivant à la grille d’entrée que quelque chose ne tourne pas rond. Des patients en blouse blanche errent dans le jardin (dans l’obscurité, ils ressemblent aux zombies de La Nuit des morts-vivants de Romero) et, alors que le Dr. Loomis sort de la voiture pour évaluer la situation, sa collègue est agressée par un Michael à la force herculéenne (il brise la vitre de sa main), surgi de nulle part, qui vole le véhicule pour retourner à Haddonfield, là où tout a commencé (pour l’anecdote, si dans le film l’action est située dans l’Illinois, Haddonfield est le nom d’un patelin du New Jersey où Debra Hill est née). Tout le génie de John Carpenter est résumé dans cette scène. Un cinéaste disposant d’un budget dix fois supérieur aurait tourné une scène totalement différente. Carpenter transforme ses handicaps (effets spéciaux chétifs, visibilité nulle, nombre de prises réduites) en autant d’avantages, le réalisme et l’aspect cru de la scène démultipliant son effet visuel et la peur qu’elle suscite.

A la réflexion, la terreur psychologique maniée à la perfection par le cinéaste est également un « avantage collatéral » des moyens matériels limités et du tournage très court. Halloween n’a pas besoin de jouer la surenchère d’hémoglobine et d’effets effrayants pour toucher au but. John Carpenter a parfaitement intégré un principe en or : le tueur assassine peu de victimes, ce qui donne à chacune d’elles plus de valeur et d’intérêt. Les scènes de meurtre sont interminables, toujours précédées d’une traque silencieuse, de tentatives avortées, de faux espoirs, de hasards heureux pour la victime, avant que la mort ne frappe enfin, comme une fatalité divine. On ne le répétera jamais assez : c’est à côté de l’impact psychologique de cette économie de moyens que passe la vaste majorité des films d’horreur. La peur est un sentiment primaire qui se voit tristement diluée dans la débauche d’effets et la recherche d’innovation à tout prix.

Mythologie de l’exploitation

L’importance donnée dans le film à la genèse du mal explique en partie sa réussite et son exploitation dans la future franchise. Comme dans tout bon slasher, la combinaison du sexe et d’un traumatisme d’enfance est à l’origine du choc psychologique qui transformera l’homme en monstre luciférien. A six ans, Michael Myers est confronté à la vie sexuelle de sa sœur après l’avoir espionnée. Son premier assassinat sera donc un fratricide (le « plan nichon » de Judith Myers avant sa mort renvoie évidemment à sa sexualité, son amant venant de quitter les lieux, tandis que la gratuité de l’image s’inscrit pleinement dans la logique du cinéma d’exploitation – demandez à Brian De Palma ce qu’il en pense). Tous les accessoires associés à ce péché originel sont signifiants. L’arme du meurtre, un grand couteau, suppose tant la proximité physique du meurtrier et de sa victime que la proximité de sang du frère et de la sœur. Le masque dont s’affuble Michael a auparavant été utilisé par le partenaire de Judith dans ce qu’on pourrait assimiler à un jeu sexuel. Dans l’esprit dérangé de Michael, ce masque renvoie dès lors à la faute de la sœur qui justifie sa punition, tandis que la symbolique du masque est utilisée pour signifier la transformation de Michael qui, dans une logique purement théâtrale, s mue de petit garçon en meurtrier sanguinaire. Le masque, accessoire « placé entre soi et le monde » deviendra indissociable de la persona de Michael : il n’ôtera la vie qu’en le portant sur son visage.

Haddonfield, le meurtre originel, le couteau et le masque deviendront des éléments indissociables du Michael psychopathe. Ainsi, les premiers actes qu’il accomplira après s’être échappé de l’hôpital psychiatrique, quinze ans après y avoir été enfermé, consistent en un retour à Haddonfield, la profanation de la tombe de Judith et le vol dans un magasin d’un couteau et du fameux masque qui lui sera désormais associé – il faut préciser qu’il ne s’agit pas du même masque que celui qu’il porta lors de l’assassinat de sa sœur. S’y ajoutera une nouvelle obsession à l’issue du film : Laurie Strode (Jamie Lee Curtis). Cette obsession peut s’expliquer par le fait que Laurie, à la fin du film, parvient à arracher le masque du visage de Michael, fait rarissime dans la franchise Halloween – la suite de 2018 s’amusera ainsi avec malice à ne jamais montrer le visage de Michael. Abattre ce rempart qui camoufle la nature humaine enfouie de Michael est sans doute la pire blessure qu’on peut infliger au monstre. En fait, Michael est autant la némésis de Laurie que l’inverse : tout comme Michael est le mal qu’on ne peut éradiquer, Laurie est la victime qu’il ne parvient pas à tuer. Il y a comme une relation de dépendance morbide entre les deux personnages, un lien intelligemment exploité dans la suite mise en scène en 2018.

La terreur que suscite Michael Myers, et qui a fait son succès comme un des ultimate villains du septième art, est la même que celle que peuvent inspirer les tueurs en série : l’absence totale d’émotions, le dévoiement de la conscience, l’impassibilité devant la violence et la mort. C’est ce que résume le Dr. Loomis lorsque, explorant l’ancienne maison des Myers désormais abandonnée, il décrit Michael juste après le meurtre de Judith : « Je fis la rencontre de cet enfant âgé de six ans, avec un visage blanc, pâle, inexpressif et des yeux noirs. Les yeux du diable. » Le Mal à l’état pur.

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Michael Myers, le psychopathe puritain

Eros et Thanatos sont les divinités grecques mobilisées par Freud pour décrire les deux pulsions fondamentales, sexuelle et morbide, qui s’affrontent en permanence en chaque être humain depuis l’enfance. Le cinéma d’horreur exploitant par définition les pulsions primaires de l’Homme, rien de plus logique que ce concept célèbre y soit traduit en images. Dans Halloween, ce principe doit être doublé d’une lecture chrétienne, selon laquelle le péché de la chair est un péché mortel. La punition est logiquement infligée par le Diable, ce que semble confirmer la nature immortelle de Michael Myers.

Michael est le « tueur puritain » par excellence, répliquant son meurtre originel en n’assassinant que des jeunes filles, soit sexuellement actives, soit simplement identifiées comme « êtres sexuels ». Ainsi, Annie (la fille du sheriff), la première victime après le retour de Michael à Haddonfield, est espionnée par la porte vitrée de la cuisine, alors qu’au téléphone elle tente de convaincre Laurie de sortir avec un garçon. Ensuite elle se déshabille après avoir taché ses vêtements – un prétexte racoleur. De fait, Michael passe du statut de peeping tom (voyeur) à celui d’assassin, un schéma strictement identique à son crime initial. Après avoir prolongé la tension plus que de raison avec un savoir-faire délicieusement sadique, Carpenter et Hill font mourir Annie précisément au moment où elle comptait se rendre chez son petit ami pour s’y adonner au plaisir de la chair. Un destin similaire frappera les victimes suivantes, Lynda et Bob, suppliciés après s’être envoyés en l’air. On notera le dénudement une fois de plus gratuit de Lynda devant Michael qui s’est couvert d’un drap blanc et se fait passer pour Bob. Le schéma habituel est respecté… et le quota de poitrines augmente afin d’attirer dans les salles de cinéma les adolescents à la testostérone en ébullition qui constituent le public-cible du film ! Et Annie, pendant ce temps ? Elle garde les enfants de ses copines parties s’amuser ! Une fille aussi sage et innocente ne mérite assurément pas le même sort… Halloween est-il une critique de l’immoralité de la jeunesse américaine de cette fin de décennie 1970 ? L’hypothèse n’est pas neuve mais, en dépit des protestations de John Carpenter qui ne voit dans son œuvre qu’un film d’exploitation réussi, elle demeure séduisante.

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Une postérité difficile à assumer

Le classique de Carpenter de 1978 sera le premier d’une franchise pléthorique comprenant romans, comics, jeux vidéo et, bien sûr, d’autres long-métrages. Pas moins de dix films ont ainsi succédé à l’original, dont deux sont d’ores et déjà prévus pour 2021 et 2022. On retrouve Donald Pleasence dans quatre de ces fictions et Jamie Lee Curtis dans six d’entre elles. Si Halloween II (1981) parvint vaguement à surfer sur le succès du chef-d’œuvre originel, tous les autres remakes, sequels et autres prequels s’abîmeront dans la série B bas de gamme, jusqu’au sursaut d’Halloween, film mis en scène en 2018 par David Gordon Green (Joe, Manglehorn), qui prit le parti d’écrire une fiction dans la suite directe de celle de 1978, ignorant donc tous les autres films sortis depuis lors (les Anglo-Saxons utilisent à cet effet le néologisme « retcon », pour retroactive continuity). Une belle réussite qui fait enfin justice au chef-d’œuvre de Carpenter. Cette suite ayant battu le record commercial pour un slasher, on peut néanmoins douter de la pertinence purement artistique des deux nouvelles suites déjà annoncées… Dans tous les cas, John Carpenter aura eu la sagesse de ne mettre en scène aucun autre film de la franchise après le grand cru inaugural qui, comme souvent, s’avère indépassable malgré les quatre décennies qui nous séparent de sa naissance.

Synopsis : Quinze ans après avoir assassiné sa sœur la nuit d’Halloween, le psychopathe Michael Myers s’échappe d’un hôpital psychiatrique et retourne à Haddonfield pour y poursuivre son œuvre sinistre.

Halloween – Bande-annonce

Halloween – Fiche technique

Réalisateur : John Carpenter
Scénario : John Carpenter, Debra Hill
Interprétation : Jamie Lee Curtis (Laurie Strode), Donald Pleasence (docteur Loomis), Nancy Kyes (Annie), P.J. Soles (Lynda), John Michael Graham (Bob)
Photographie : Dean Cundey
Montage : Charles Bornstein, Tommy Lee Wallace
Musique : John Carpenter
Producteurs : Debra Hill
Maisons de production : Compass International Pictures, Falcon International Productions
Durée : 91 min.
Genre : Horreur
Date de sortie :  14 mars 1979
États-Unis – 1978