Empire du soleil s’inscrit dans la lignée des films de guerre de Steven Speilberg, à l’instar de 1941, La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan ou encore Cheval de Guerre. Mais ici, Spielberg y incorpore un autre de ses thèmes fétiches : celui de l’enfance. En choisissant de raconter un épisode sombre de l’Histoire à travers les yeux d’un jeune garçon, il tombe alors dans le récit d’apprentissage teinté d’aventure et opte pour faire de la guerre une sorte de terrain de jeu à ciel ouvert. Un postulat ennuyeux.
Synopsis : Fils de riches citoyens britanniques expatriés à Shanghai, James Graham, jeune garçon de 13 ans, mène une existence privilégiée au milieu de toute la haute société anglaise installée en Chine. Mais, en décembre 1941, alors que le Japon déclare la guerre aux Etats-Unis et ses alliés, Shanghai bascule soudain dans l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale. Lors d’une émeute particulièrement violente, James perd ses parents de vue et se retrouve seul. Rapidement, il est arraché à son confort puis fait prisonnier. L’enfant doit désormais apprendre à survivre dans un monde hostile, ravagé par la guerre.
Les limites de la démesure
Empire du Soleil s’impose d’emblée comme une fresque guerrière à l’ambition épique et spectaculaire. La démesure des décors et des paysages par rapport à la petitesse d’un enfant, -centre de gravité de l’intrigue-, nous plonge rapidement dans une atmosphère apocalyptique qui nous dépasse, et qui défie même les limites du rationnel. Souvent, il semble que la question de l’échelle se pose : le petit avion en métal avec lequel Jim joue, se retrouve soudain comparé à la carcasse géante, grandeur nature, d’un avion bombardé. La confrontation entre ces deux objets résume à elle seule un des principes fondateurs du film (à mon sens) : le choc de deux mondes. D’un côté, celui de l’enfance, de l’innocence, où tout semble joyeux, léger, petit et sans conséquence ; de l’autre, celui de la guerre et de la cruauté qui ne s’explique pas, ce phénomène de destruction massive dont l’ampleur ne s’inscrit dans aucune logique. Cela ne rentre pas dans le cadre : c’est hors limite, ça ne peut pas être appréhendé. Souvent, Christian Bale est filmé seul, au milieu du chaos. Qu’il s’agisse d’un terrain vague encerclé par des soldats japonais, d’un mouvement de foule qui engloutit tout sur son passage, ou d’un ciel ravagé par les bombes, l’univers dans lequel s’engouffre Jim est terrifiant, et bientôt, les frontières de ces deux mondes s’effacent. Tandis qu’au début, Jim restait dans des zones sécurisées, délimitées par des lignes, des portes, des clôtures, des barrières, tout finit par voler en éclats, et plus rien n’a de forme, de contours. Plus rien n’a de sens ou de raison.
Problème : si, sur le principe, cette intention est louable voire fameuse, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Première raison, l’enfant, rarement attachant, si ce n’est jamais, en fait. En grande fan de Christian Bale, j’ai réellement tenté de ressentir de l’empathie pour ce jeune garçon déboussolé dont les certitudes volent en éclats en même temps que son monde disparaît. Vraiment. Pour un premier rôle, pour un jeune comédien de 12/13 ans, c’est un défi de taille que de faire tenir un film d’une telle envergure sur ses épaules, transmettre un souffle épique, faire passer une évolution, véhiculer, dans sa prestation, l’idée d’un bouleversement identitaire profond, violent et irréversible. C’est démesurément ambitieux, peut-être trop. Car très vite, on se dit que ce garçonnet est un fils de riches capricieux qui n’a aucun sens des réalités, et qu’une piqûre de rappel ne lui ferait pas de mal. Triste à dire, mais vrai. Dès le départ, son caractère ingrat pose le spectateur en antagoniste. On ne pleure pas pour lui, jamais. Par la suite, on se lasse de ses « aventures » de guerre, la manière dont il tente de survire dans ce monde régi par des adultes, où l’individualisme règne en maître. On se fatigue de le voir courir, s’agiter, grimacer, crier, gesticuler, s’exciter en vain. C’est assez usant. Dommage, quand on sait que le périple de cet enfant est le socle narratif de tout le récit. Les émotions ne passent pas : ni quand il tente, impuissant face à la mort, de réanimer frénétiquement une femme (prise de conscience importante voire décisive) ; ni quand il pleure le visage de sa mère dont il ne se souvient plus, et non plus lorsqu’il reçoit enfin l’affection de Miranda Richardson, substitut de figure maternelle dans cet enfer. On est indifférent. Jamais on ne vibre, jamais on ne s’attendrit, jamais on ne ressent.
Et si on jouait à la guerre ?
Second problème de taille, le traitement de la guerre, qui semble toujours vouloir éviter le sérieux et le drame. Le fait de voir ces événements atroces à travers les yeux d’un enfant transforme rapidement l’action en aventure, où tout est prétexte à faire de ces paysages en ruines et ces camps de prisonniers un terrain de jeu géant. Difficile de comprendre où Spielberg a voulu en venir. A l’instar de La vie est belle de Benigni, le cinéaste américain traite la guerre avec désinvolture, de manière décalée, et adopte un ton qui ne convient pas à ce qu’il porte à l’écran. Quand la tentative d’évasion du camp prend des allures de parcours ludique, ou que chaque objet que récolte Jim prend des airs de chasse aux trésors, on se demande où l’on va… Même constat pour les personnages secondaires, dont les motivations restent floues. A quoi sert exactement John Malkovich ? On aurait pu penser qu’il ferait office de guide pour Jim, mais ça n’a pas l’air d’être le cas. Gentil ? Méchant ? On en vient à se poser des questions bêtes et réductrices pour tenter d’identifier et de cerner les personnages, qui n’ont pas de but ni d’intérêt réel dans cette histoire où tout sonne creux. Finalement, tous les protagonistes sont réduits à être ou non « les amis » de Jim, dans sa quête de survie, et encore, même si Christian Bale fait l’effort de paraître plus négligé, échevelé, maigre et sombre au fil du film, on se demande dans quelle mesure il est véritablement atteint par les horreurs de la guerre. Il s’amuse, joue à faire semblant d’être mort, rampe, court, se cache… Même sa sauvagerie finale (la faim et la souffrance l’on transformé en bête) est poussée à l’extrême pour un résultat sans âme. On ne sait pas où le film veut en venir. Du moins, ce n’est pas (à mon sens une fois de plus), le récit d’apprentissage puissant et déchirant que cela aurait pu être.
En conclusion, Empire of the Sun est un film d’une facture impressionnante qui est écrasé par le poids de ses ambitions et qui se fourvoie. Long, ennuyeux, vain, parfois invraisemblable voire ridicule, le métrage souffre d’un traitement qui ne fonctionne pas et d’un héros auquel on ne s’attache pas, sans parler d’un manque cruel d’émotion. Ce film de guerre grandiloquent, à la croisée d’A.I. (pour la quête identitaire de l’enfant seul qui se confronte aux ruines d’un monde) et d’Indiana Jones (pour le côté aventure), n’a pas l’étoffe de la démesure qu’il nous promet.
Empire du soleil : Bande-annonce
Empire du soleil : Fiche Technique
Titre original : Empire of the sun
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Tom Stoppard et Menno Meyjes, d’après le roman de J. G. Ballard
Casting : Christian Bale (James « Jim » Graham) ; John Malkovich (Basie) ; Miranda Richardson (Madame Victor) ;
Nigel Havers (Dr. Rawlins) ; Joe Pantoliano (Frank Demerest) ; Leslie Phillips (Maxton) ; Masatô Ibu (Sergent Nagata)
Photographie : Allen Daviau
Montage : Michael Kahn
Décors : Norman Reynolds
Costumes : Bob Ringwood
Musique : John Williams
Producteur(s) : Kathleen Kennedy, Frank Marshall et Steven Spielberg
Production : Warner Bros. ; Amblin Entertainment
Distributeurs : Warner Bros.
Genres : Guerre, drame
Durée : 2h 34 min
Date de sortie en France : 16 mars 1988
Nationalité : États-Unis