Camille Royer, autrice du très beau et très onirique Mon premier rêve en japonais, a accepté de répondre à nos questions dans une interview où elle se confie sur son enfance, le poids des rêves et de l’imaginaire.
- Pour votre premier récit, vous évoquez votre enfance. En quoi cette période a été si importante pour vous et pour l’autrice que vous êtes devenue ?
Cette période a été très importante parce que qu’il s’est passé beaucoup de choses dont je n’ai vraiment compris le sens que bien plus tard. Ce qui est le cas je pense pour beaucoup de gens. C’est ça qui m’intéressait aussi, montrer que même si l’enfant ne comprend pas tout, il sent, il absorbe tout et le restitue à sa manière. C’est pour ça que c’était primordial pour moi d’écrire un récit qui soit du point de vue d’un enfant. Il y a tellement de mystère, d’incompréhension quand on est petit mais aussi tellement de liberté dans l’esprit.
Dans le livre, Camille s’explique tout ce drame familial grâce aux contes qu’on lui transmet. L’imagination est l’outil de l’enfant pour se représenter l’inexplicable, et c’est très plaisant à dessiner. Grâce à la bd, j’ai vraiment pu retranscrire ce qui se passait dans ma tête quand j’étais petite, toutes ces images impressionnantes et imaginaires qui se formaient dans mon esprit. C’est cette imagination sans borne nourrie par mon enfance à Paris mais aussi par toutes ces images venant du Japon, qui a crée mon imaginaire d’aujourd’hui.
Et puis ça me faisait beaucoup rire de dessiner la petite Camille. Sincèrement, elle m’amuse beaucoup, et j’adore raconter ses bêtises et son caractère. J’ai beaucoup de tendresse pour elle, et je ne vois pas cette période comme révolue, cette petite fille est toujours bien présente en moi, elle s’exprime à travers moi tout le temps. Mes proches me disent que je n’ai pas changé, au fond. Ça me tenait à cœur de la raconter et de présenter ce que moi et mes amies étions enfants, des petites filles pas discrètes et pas sages du tout, têtues, drôles, parfois insupportables, casses-cou …
- Dans cette œuvre, vous parlez donc de votre enfance, de votre relation avec votre mère notamment lorsqu’elle vous narrait des histoires avant de dormir. Le récit avance entre la réalité du quotidien et l’imagerie fantastique des rêves. De ce fait que signifie la notion même de rêve pour vous ? Que cela raconte-t-il sur Camille et la relation qu’elle peut avoir avec sa mère ?
Pour moi, le rêve nous permet de nous préparer à nos peurs et par le même coup nous en informe. Il permet de faire ressortir tout ce que l’on refoule ou même ce que l’on ne veut pas se dire.
Dans le livre, et surement dans la vraie vie aussi, le rêve m’a permis de dire ce que la petite Camille n’arrivait pas à dire. Par ailleurs ça m’a permis de ne pas expliquer les choses, j’aurais trouvé ça trop lourd, trop didactique. Tous les rêves qu’elle fait parlent pour elle de ses peurs, de ses angoisses, qu’elle n’arrive pas vraiment à verbaliser car elle n’est encore qu’une enfant. Elle rêve que sa mère part au Japon en la laissant seule. D’ailleurs tous les rêves dans le livre, je les ai vraiment faits enfant, et ce cauchemar m’a vraiment traumatisée à l’époque. Elle rêve aussi que sa mère coupe le bras de son père, après avoir été témoin de leurs disputes. Toute la journée elle intériorise toutes ces informations, et la nuit son inconscient parle.
Cela en dit long sur leur relation. Camille est très dépendante de sa mère, c’est encore une enfant et elle a besoin de sa maman. Elle est tout le temps physiquement collée à elle, mais elle ne semble pas réussir à complètement la saisir. Elle sent qu’il y a des mystères, que sa mère lui glisse un peu entre les mains. Quand un parent est accaparé par sa tristesse, l’enfant sent qu’il n’est pas complètement avec lui. Du coup,même si sa mère est bel et bien présente, Camille a peur qu’elle parte. Enfin lorsque sa mère lui raconte un dernier conte, parlant de transmission d’une mère à sa fille, Camille fait son premier rêve en japonais, on comprend qu’elle s’est réconciliée avec le Japon, et surtout qu’elle n’a plus peur que ce pays ne lui prenne sa mère.
- En fonction de la réalité ou des rêves, votre dessin change petit à petit, passant d’un trait naturaliste et descriptif à un trait fantastique plus onirique et sensoriel, avec comme par exemple le conte qui s’appelle « Kodama Myoto ». En tant que dessinatrice, était-ce amusant pour vous de varier les styles et les couleurs ? Comme une sorte de fusion des sentiments.
Oui c’était très amusant de pouvoir varier les styles et les médiums. Le quotidien je le dessine au crayon, le dessin est simple, très dynamique et impulsif, à l’image de la petite fille. Ensuite, dès qu’on tombe dans l’imaginaire, que ce soit par les contes ou les rêves, j’amène de la couleur, une couleur avec une touche très brumeuse. Les parties contes s’apparentent plus à de l’illustration, ce sont de grandes pages pleines avec des compositions plus complexes et esthétiques. Ça m’a permis de faire tout ce que j’aimais, de la bd et des grandes illustrations. Au fur et à mesure l’imaginaire vient de plus en plus infiltrer le réel, la couleur parfois s’invite dans le quotidien noir et blanc. Ça m’a donc permis de bien marquer la limite entre réel et imaginaire, qui est très poreuse chez les enfants.
- Mon premier rêve en japonais est une œuvre sensible et assez douce, voire drôle mais qui arrive de manière très cohérente à parler de sujets très sensibles comme le racisme, la solitude et le manque de repères. Est-ce difficile de faire cohabiter toutes ces thématiques-là ?
Toutes ces thématiques je les ai vécues, et je voulais en parler mais je ne voulais pas faire un livre “fourre-tout”. Ça à été un peu compliqué au niveau du scénario de parler de tout sans enlever le naturel, j’ai dû faire des choix dans les anecdotes et les souvenirs que j’avais, lesquels choisir, quand les mettre… J’ai parfois un peu altéré la réalité, ou fusionné des événements ensemble pour que cela fonctionne et fasse un scénario cohérent. Je parle de sujets assez lourds, mais c’était important pour moi d’être fidèle à la réalité. En effet, je n’ai pas eu une enfance malheureuse. J’ai donc contrebalancé tous ces sujets lourds avec des moments d’humour, de légèreté, qui sont bien propres à l’enfance.
- Votre récit est une belle ode à l’enfance et à sa quête d’identité. Mais surtout, grâce au regard de Camille, Mon premier rêve japonais est aussi un très beau portrait de mère, qui vit difficilement entre sa vie de maintenant et ses origines qu’elle compte rejoindre. Cette question de déracinement, liée aussi à une forme de nostalgie et de mélancolie, était primordiale à évoquer pour vous?
Oui c’était très important pour moi car c’est quelque chose qui m’a beaucoup frappée étant enfant. Je voyais ma mère qui venait de très loin, un lointain mystérieux que je ne connaissais pas. J’ignorais tout de sa famille, de ce passé qui semblait douloureux, mais vers lequel elle semblait regarder sans arrêt.
J’ai compris plus tard à quel point c’était dur pour un parent de ne pas pouvoir montrer ses photos, les lieux de son enfance, d’où il vient… C’est donc impossible de transmettre à l’enfant ses propres racines. Nous sommes tous définis en partie par notre histoire, et si l’on est dans l’impossibilité de montrer cette histoire, il y a comme un vide derrière nous, comme si l’on ne venait de rien, que l’on n’avait pas de passé. C’est de là que vient cette sensation de déracinement je pense, l’effacement de son identité. Sans oublier que la plupart du temps, on finit par se retrouver entre deux pays sans en appartenir à aucun, et l’on finit par n’exister que dans un entre-deux inconfortable.
- Le Mag du ciné, en ce mois de septembre, organise un cycle sur l’enfance. Et ça tombe bien, votre œuvre parle beaucoup de la jeunesse et de sa faculté à grandir à travers les histoires et la compréhension du monde qui l’entoure. Est-ce que des œuvres – littéraires, musicales, cinématographiques – ont marqué votre enfance ?
J’ai eu de la chance parce que mes parents ont toujours beaucoup aimé la littérature et la bande dessinée. J’ai découvert la bande dessinée en dévorant tous les magazines « A suivre » de mes parents. J’ai bien sûr lu beaucoup de mangas, dont j’ai toujours adoré les mimiques et effets comiques.
Ma mère m’a fait regarder tous les Miyazaki. C’était incroyable pour moi, ces récits de petites filles japonaises auxquelles je m’identifiais beaucoup, qui plongeaient dans des mondes imaginaires et inquiétants, qui finalement ressemblaient beaucoup aux contes que ma mère me racontait.
Ça va paraitre très bateau, mais le film Amélie Poulain m’a profondément marquée petite. L’héroïne est constamment touchée par la vie des personnes qui croisent son chemin et par l’histoire que renferment les objets. J’ai été et suis encore émue par ce récit d’une petite fille qui s’ennuyait et se sentait seule et différente. Ce film décrit la merveille de l’enfance, qui peut être entièrement conservée dans une petite boîte à trésor, cachée dans un mur.
Enfin je pense que l’œuvre littéraire qui m’a le plus marquée enfant est Les malheurs de Sophie. Je me retrouvais énormément chez cette petite fille qui faisait plein de bêtises, exaspérait les adultes mais qui se sentait très coupable dès qu’elle voyait qu’elle faisait du mal à quelqu’un. Elle était juste incroyablement maladroite comme moi, avait des idées catastrophiques qu’elle trouvait géniales, et dès qu’elle voulait arranger quelque chose, elle empirait la situation.
Je pourrais citer énormément de choses encore mais je pense avoir parlé des œuvres qui ont fait le plus pétiller mes yeux de petite fille.