À l’occasion de la séance unique d’Edmond le 10 décembre à 20h en sa présence au Majestic Passy*, nous avons rencontré l’auteur de théâtre multiprimé aux Molières, le comédien-dramaturge fougueux et prodigue, plein de panache et de vélocité flamboyante : Alexis Michalik.
Surtout, nous avons découvert un homme profondément humaniste, généreux, ardent et romanesque. Un homme qui est à lui-même mille vies.
Sa pièce culte Edmond, créée en 2016 (qu’il adapte au cinéma en 2018), est en train de dépasser le succès légendaire de la Cage aux folles. Enfant chéri du théâtre privé, homme de souffle, amoureux du rythme et de la liberté, Alexis Michalik n’a pas d’autre actualité en 2024 que 5 pièces à l’affiche avec 100 comédiens. Qui dit mieux !
Le Magduciné – Selon Nietzsche, notre œuvre, nos créations sont le reflet d’une diététique de vie et d’une humeur. Pensez-vous qu’il a raison et que vos pièces émanent directement d’une certaine humeur ? Et si oui, ce serait quoi l’humeur Michalik ?
Non, ça ne vient pas du tout d’une humeur. Ce n’est pas mon humeur qui va indiquer quel type de pièce, même si à de rares occasions, je vais être influencé effectivement par l’état de bonheur dans lequel je me situe. Si je suis très triste, je vais écrire une pièce comme une histoire d’amour qui est un mélo sur le cancer, la rupture. Mais en général, mon humeur est plutôt constante, plutôt joyeuse. Donc ce n’est pas mon humeur qui va influencer le choix d’une pièce. C’est vraiment littéralement l’histoire et l’idée d’une histoire. Et moi, j’essaye toujours de raconter la meilleure histoire possible que j’aurais aimé voir moi, et donc que j’aurais aimé qui me surprenne et qui surprendra, avec un peu de chance, le public. Et c’est plutôt de ça que naît à chaque fois chacun de mes projets.
Le Magduciné – Pour Novak Djokovic, c’est aussi une certaine diététique qui influence sa manière de jouer, vous ce n’est pas ça ?
Non, je fais vraiment la part des choses entre les histoires que je raconte, les choses que je crée et la vie que je mène. La seule chose qui est constante, c’est que depuis toujours j’ai une obsession du temps et de comment ne pas perdre du temps. Je déteste perdre du temps. Quand je suis en train de faire quelque chose, une tâche quelle qu’elle soit, je vais toujours faire en premier les choses que je dois faire. Je faisais toujours mes devoirs en premier en arrivant à la maison parce que cela a toujours été constant chez moi. Et donc quand je commence à avoir une idée et que cette idée se construit, eh bien la façon de la faire et de la créer, ça va être c’est maintenant et pas plus tard. Je ne remets pas à demain. De la même manière pour les trucs chiants ou les trucs sympas. C’est-à-dire les obligations administratives et tout ça, faut que je le fasse. Une fois que c’est fait, je peux profiter. Et pour les trucs sympas aussi. Ah, j’aimerais vraiment visiter le Japon, eh bien je vais prendre les billets. Et je vais envoyer un message tout de suite en disant à mes amis : est-ce que ça vous dit d’aller au Japon ?
Le Magduciné – Vous dites faire un théâtre de lisière, qu’entendez-vous par là ?
Cela se réfère au public et au privé. C’est-à-dire je fais du théâtre privé. Mes spectacles se jouent principalement dans le privé. Mais toute l’esthétique, beaucoup de choses sont influencées par les metteurs en scène du théâtre public. Je pense que mes inspirations de mise en scène viennent massivement du théâtre public. Mais en revanche, toute l’économie de mes spectacles, c’est l’économie du théâtre privé. Si on caricature un peu, le théâtre privé, c’est les têtes d’affiche, trouver des noms pour que le spectacle puisse exister, et le théâtre public, c’est un théâtre de recherche donc il n’y a pas une nécessité de faire plaisir à des gens. C’est avant tout le besoin de chercher des nouvelles formes, des nouvelles formes d’expression. Donc moi, je me situe entre les deux. C’est-à-dire que je vais faire sans tête d’affiche, et en même temps, je vais y accoler une vraie volonté de récit et de narration, ce qui n’est pas l’apanage du théâtre public.
Le Magduciné – Et vous y mettez quoi dans le théâtre, plutôt une éducation citoyenne, un acte de résistance ou tout autre chose ?
Moi, je dirais avant tout un divertissement. La première chose que j’y mets, c’est que je n’aime pas que le théâtre soit accolé à une image d’ennui. Donc avant toute chose, je ne veux pas que le public s’ennuie. Je veux qu’il en sorte en ayant passé un moment hors du temps. Ça, c’est le premier truc. Quand j’ai commencé à monter des spectacles, c’était des comédies, c’était très potache. Puis, quand j’ai commencé à écrire, j’ai commencé à raconter des histoires qui me traversaient la tête. Donc à aucun moment, il n’y a une volonté d’élévation. Je dis toujours que je fais du théâtre populaire exigeant.
Le Magduciné – Pour faire écho à votre dernière pièce Passeport, comment vous vous définiriez si c’est possible de vous définir ?
De plein de façons différentes. Un raconteur d’histoires si l’on parle de mon travail. Et après pour le reste, je dirais : je suis quelqu’un qui s’ennuie assez vite et qui donc cherche à passer d’une expérience à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’un médium à l’autre de manière assez régulière. Mais je suis aussi quelqu’un de globalement très satisfait, très positif sur la chance que j’ai eue de pouvoir mener à bien tous ces projets. Donc je fais ça avec beaucoup de plaisir, de joie et d’envie. La mise en scène, c’est aussi savoir fédérer un groupe, et cela fait intrinsèquement partie de moi. J’aime pas la solitude. J’aime bien la troupe. J’aime bien le groupe. J’aime bien faire en sorte que ça se passe bien. C’est mon côté mono de colo assez marqué.
Le Magduciné – Et si vous pouviez emprunter une autre identité que la vôtre, ce serait laquelle ?
Une autre identité que la mienne ?
Le Magduciné – Oui, puisque vous écrivez aussi des livres, je pense à Romain Gary, des écrivains qui se sont dédoublés, qui ont eu des pseudonymes.
Oui, ça, j’adore. Ça, je serais complètement capable de faire ça. D’ailleurs dans Passeport, ça parle de ça. Et même quand j’étais plus jeune, tous les écrits que je faisais au lycée. Il y avait très souvent ce thème de l’identité et de la double identité. Et dans Loin aussi effectivement, le père disparaît et réapparaît sous une autre identité. Bon, il doit y avoir aussi quelque chose lié au métier d’acteur. Être acteur, c’est aussi vivre avec plein d’identités. Ce que n’avait pas Gary, ce que j’ai la chance d’avoir. Je peux passer d’un rôle à l’autre aussi. Mais effectivement, j’ai toujours eu cette fascination, sans aller jusqu’à tuer toute sa famille et partir comme Dupont de Ligonnès. J’ai toujours eu cette fascination pour le côté « refaire sa vie », partir et tout quitter et tout refaire ailleurs. Je sais pas pourquoi. Mais c’est un truc qui m’a toujours fasciné comme thématique. Si je devais faire ça, oui, je serais capable d’écrire un roman, une œuvre sous pseudonyme. Si c’était quelque chose de très différent ou de trop personnel aussi.
Le Magduciné – Et pour faire lien avec cette idée, pourriez-vous vouloir risquer totalement la métamorphose, en brisant votre style et en vous réinventant dans une aventure qui ne soit pas le style Michalik ?
Oh oui, ça je pourrais complètement. Et même une aventure qui ne soit pas artistique. Je pourrais tout lâcher et ouvrir un resto en Thaïlande. Quelque chose de totalement différent, c’est quelque chose dont je rêve totalement.
Le Magduciné – Sans manque ? N’y aurait-il pas un manque du romanesque du théâtre, ou y aurait-il toujours la même idée d’aventure mais dans un autre contexte ?
Si, ça me manquerait peut-être. Je ne sais pas. On ne peut pas savoir. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a fortement en moi un truc comme : j’ai fait ce que j’ai fait. Et lorsque je me retrouve à faire une activité totalement autre, annexe, j’adore faire ça. J’adore endosser d’autres fonctions. J’aime bien créer des systèmes et résoudre des problèmes, comprendre les problématiques d’une personne ou d’un ami et d’essayer de comprendre comment on résout le problème. Donc se mettre dans une autre vie, une autre posture, c’est aussi le moyen de se trouver de nouveaux problèmes à résoudre.
Le Magduciné – Le préjugé sur votre écriture qui vous exaspère le plus ?
Je sais pas. Si c’est un préjugé, ça ne m’affecte pas. Il y avait juste un temps une idée un peu fausse sur ma personne plus que sur mon écriture, que j’ai vue revenir dans deux, trois articles, où il était dit que j’étais un jeune bourgeois. Et qu’il était très probable que ma vie avait été bourgeoise. Et ça, cela m’a un petit peu heurté parce que c’est pas du tout le cas. Et donc je pense aussi que Passeport était une sorte de réponse, mais pas uniquement, et m’a permis de mettre les points sur les i avec le fait que j’étais clairement de gauche.
Le Magduciné – Votre lieu ou outil intime pour ne jamais être dans l’ennui ?
Un lieu, non. C’est au contraire de se laisser porter. On va dire que je vais jamais dire non à une aventure, à partir du moment où cette aventure reste dans les limites de la sécurité, de la légalité. Je serai toujours partant pour essayer quelque chose de nouveau et pour aller vers du nouveau, un nouveau pays, de nouvelles cultures, rencontrer quelqu’un. J’aurai envie de comprendre quelle est son histoire, qu’est-ce qui s’est passé. Et c’est cette soif permanente de nouveauté qui aussi me fait contrer l’ennui.
Le Magduciné – Où avez-vous la sensation d’être le plus authentique ?
Avec mes amis.
Le Magduciné – Quelle vertu placez-vous au-delà de la franchise et de la vérité ?
Je dirais la curiosité ou l’altruisme.
Le Magduciné – La vie : un compromis permanent ou une intransigeance perpétuelle ?
Je dis souvent qu’il n’y a pas de succès sans compromis. Je pense que lorsqu’on veut avancer, on est obligé de faire des compromis. Il y a toujours des compromis dans la vie, mais ce n’est pas quelque chose qui doit être une souffrance. Ça fait partie du jeu de l’existence. Et cela dépend de ce qu’on veut obtenir et où l’on veut aller. Si on veut aller de l’avant, il faut être capable de compromis.
Le Magduciné – Comment imaginez-vous votre vie si, au lieu de gagner des Molières et faire exister vos pièces, vous aviez perdu ?
Une vie sans aucune victoire, c’est un peu difficile. Tout dépend de ce qu’on considère être une victoire et à partir de quel moment on est satisfait. Gagner sa vie, c’est déjà une victoire. Vivre de son art, c’est une victoire. Faire les projets qui nous intéressent, c’est une victoire. Avoir un toit, c’est une victoire. Si j’avais pas eu tous ces Molières, je pense que j’aurais continué d’être comédien, peut-être aurais-je accepté des tournages que je n’ai pas forcément acceptés parce que j’étais en train de monter des trucs ailleurs. Et si je n’avais absolument pas réussi dans ce domaine-là, j’aurais fait quelque chose avec quand même un esprit d’entrepreneur. Il y a en moi une vraie volonté d’entreprendre.
Le Magduciné – Puisque le titre de votre livre s’appelle « Loin », qu’est-ce qui est radicalement loin de vous ?
La question est trop vaste. Lorsqu’on écrit et écrit des personnages, on s’entraîne à comprendre ce qu’on ne connaît pas. On s’entraîne à aller justement vers l’étranger pour comprendre comment il fonctionne, pour comprendre comment ce qu’on pense être si différent de nous, qu’est-ce qu’il pense, comment il agit et pourquoi il agit comme ça. Et quand on a ce réflexe-là, on se rend compte que des choses qui nous semblent tellement éloignées de nous ne le sont plus. Et quand on est curieux et qu’on s’intéresse, on finit par toujours trouver une résonance.
Le Magduciné – Donc rien ne serait jamais loin de vous ?
Je pense qu’aujourd’hui, tout est proche. Si, objectivement, la Nouvelle-Calédonie, mais c’est juste un ou deux avions et on y arrive.
Le Magduciné – Une maxime de vie qui vous accompagne ?
Oui, une phrase qui dit : « tout ce qui n’est pas donné est perdu ». Je trouve ça très beau et très juste.
Le Magduciné – Êtes-vous d’accord avec Socrate qu’une vie non soumise à la question est une vie qui n’a pas de valeur ?
Exactement. Tant qu’il y a des questions, on avance.
Le Magduciné – La question que l’on ne vous a jamais posée et que vous aimeriez qu’on vous pose ?
Ce n’est pas la première fois qu’on me la pose, celle-là.
Le Magduciné – Alors juste au présent de la demi-minute dans laquelle on est, quelle est la question que vous aimeriez qu’on vous pose ?
On n’a pas envie qu’on nous pose des questions. Moi, j’ai envie de poser des questions. On y répond avec plaisir. Ce qui est chouette, ce sont les questions qui nous surprennent, qui nous interrogent nous-mêmes. On n’attend pas une question. C’est de l’inespéré. C’est ça qui nous fait avancer. Et si c’est une question qu’on désire, ce n’est pas vraiment une question.
Le Magduciné – N’avez-vous jamais songé à fonder une école de théâtre ? Si vous donniez des cours, que diriez-vous en premier à vos élèves ?
Oui, ça m’a déjà traversé l’esprit, même si pour l’instant je ne suis pas sûr d’avoir le temps et l’énergie. Ce que je dirais à mes élèves, je ne sais pas si je leur dirais quelque chose. Je les encouragerais à monter des projets. Le principe d’une école de théâtre, ce n’est pas d’apprendre comme dans un manuel, c’est de se retrouver avec plein de personnes qui vont faire la même chose que nous et de recroiser ces personnes tout au long de sa vie. C’est l’opportunité de monter des projets avec eux, c’est l’opportunité de créer des choses et des liens. Ce n’est pas tant l’enseignement dispensé, ce sont les personnes rencontrées. Et je dirais aux comédiens : il y a deux choses que je vous conseille, deux qualités qui reviennent à chaque fois, c’est d’être sympa et bosseur. Et concrètement, c’est ce qui compte le plus : les qualités humaines sociales et la capacité de travail.
Le Magduciné – La sympathie, ça compte aussi, vous pensez, plus que le courage ou la résistance ?
Énormément. Quand on joue, c’est surtout savoir travailler et la capacité à bien s’entendre avec les gens autour.
Le Magduciné – Quelle est votre obsession ?
Le temps. Je pense que c’est une hyper-conscience de la mort. Bon, il y a cette fin inéluctable et on a ce temps qui nous reste. On sait qu’à partir de cet âge-là, on ne sera pas en mesure de faire la même chose. À partir de celui-là, pareil. Du coup, il nous reste tant de temps et qu’est-ce qu’on va faire de ce temps.
Merci à vous Alexis Michalik pour ce moment de partage et de dialogue.
- Edmond, Mardi 10/12, à 20h avec Alexis Michalik et modération de Stéphane Boudsocq, RTL
Majestic Passy (16e)