Le monde d’après fascine toujours les curieux du sensationnel. Les films catastrophes ont la particularité de stimuler cet imaginaire afin de renverser la morale au sein d’un groupe. Et c’est dans cette direction que Um Tae-hwa développe sa version sociale et satirique de La Tour infernale (1974). Un immeuble HLM devient ainsi le dernier bastion des locataires, tandis qu’il constitue le dernier refuge pour ceux de l’extérieur. La survie est l’objectif commun des survivants de Concrete Utopia, qui vont peu à peu révéler les limites de leur humanité.
Synopsis : Séoul a été détruite par un gigantesque tremblement de terre. La ville est en ruines. Seul un immeuble tient encore miraculeusement debout, intact. Ses habitants s’organisent pour survivre et résister aux menaces extérieures…
Le soleil matinal caresse les joues d’un couple qui ne manque de rien. Pourtant, il ne faut pas très longtemps pour saisir l’enjeu social et survivaliste qui se jouera pendant un peu plus de deux heures. Quelques pas vers la fenêtre la plus proche et ce sont les ruines d’un Séoul anéanti par un séisme dévastateur qui nous apparaissent à perte de vue. Le monde entier est-il mis en échec ? Um Tae-hwa (Vanishing Time : A Boy Who Returned) préfère ne pas y répondre pour se concentrer sur la communauté de l’immeuble Hwang Gung et du nouvel ordre que les locataires tentent d’instaurer. Il ne va pas chercher la destruction à outrance, comme le ferait Roland Emmerich : son film catastrophe minimise les effets spéciaux pour nous enfermer dans le seul complexe habité qui tient encore debout.
Une histoire sans fin
Quelques séquences ne lésinent pourtant pas sur l’aspect spectaculaire du tremblement de terre, de quoi donner quelques frissons avant de s’attaquer au plat de résistance. Car ce qui intéresse essentiellement Um Tae-hwa et son co-scénariste Lee Shin-ji, c’est bien la gestion dystopique d’une crise. Lorsque des blocs de béton se sont écroulés sur un homme au volant de sa voiture dans Tunnel de Kim Seong-hoon, le gouvernement et les médias se sont mobilisés. Ici, il s’agit de recréer un sentiment de sécurité en employant le même dispositif administratif. Sans s’en rendre compte, la classe populaire commence peu à peu à devenir comme ceux contre qui elle s’est révoltée depuis des années. Cette effrayante perspective n’échappera certainement pas aux spectateurs coréens, car elle peut rappeler les heures sombres du soulèvement de Gwangju, face à la dictature mise en place. Paradoxalement, Concrete Utopia rejoue l’histoire du pays, même après sa chute.
L’argent ne vaut plus rien. Seul le troc de matériels essentiels à la survie compte. Et le partage des richesses communes ne se fait pas sans peine, car les avis divergent forcément lorsqu’il s’agit d’expulser les squatteurs. C’est le cas au sein du couple de l’appartement 602. Min-seong (Park Seo-jun) est un ancien fonctionnaire qui obtient l’opportunité d’exister dans ce nouveau microcosme, tandis que son épouse Myeong-hwa (Park Bo-young) tente de conserver ses valeurs d’infirmière, en aidant son prochain quoi qu’il arrive. Cette scission est représentative de la communauté de l’immeuble, qui semble avoir trouvé son nouveau leader, incarné par un comédien qui revient en force. Directeur de la KCIA (L’Homme du Président) ou père protecteur en pleine crise sanitaire (Défense d’atterrir), Lee Byung-Hun a également été un faire-valoir du cinéma d’action hollywoodien (G.I. Joe, Red 2, Terminator Genesys). Cette fois-ci, l’acteur n’incarne pas un personnage aussi revanchard que l’agent secret de J’ai rencontré le diable, bien qu’il s’en approche avec subtilité. Le monde s’est écroulé et Yeong-tak en a profité pour siéger au sommet d’une société totalitaire naissante.
Tout ce qui reste de la démocratie est écrasé par la terreur que sèment les groupes musclés, qui ne jurent que par la territorialité, que l’on peut également trouver dans High-Rise de Ben Wheatley. Chaque appartement devient alors peu à peu une cellule pour ses locataires, qui tentent malgré tout de garder espoir. Les différentes ruptures de ton que Um Tae-hwa éparpille tout au long de l’intrigue permettent alors de reprendre une grande inspiration. Il n’est pas non plus étonnant de voir le cinéaste manier l’humour comme un argument satirique, notamment lorsque les locataires commencent à mettre en place leur routine. Retrouver le goût d’avant, c’est ce qui les maintient dans cette utopie, dont les piliers ne peuvent que s’effondrer lorsque l’individualisme entre en conflit avec le collectif.
« On s’y sent aussi bien chez soi que chez les autres. » Cela pourrait être un slogan incongru, mais cela reste cohérent avec l’esprit du film, qui tacle amèrement l’inaction gouvernementale face à l’escalade de prix dans l’immobilier. Loger tous les citoyens coréens est un enjeu majeur encore aujourd’hui et le cinéaste en profite pour le rappeler. Il fait ainsi le choix de noyer certains personnages secondaires dans la masse, avant qu’ils incarnent pleinement leurs fonctions dans le film choral. Ceci, afin de ne pas briser le rythme d’un récit très bien structuré.
Sélectionné pour la course aux Oscars, le film de Um Tae-hwa mise évidemment sur l’empathie des spectateurs, car dans le fond, c’est ce qui nous rassemble autour des films catastrophes. Les couleurs cendrées du directeur de la photographie, Cho Hyoung-rae, nous projettent ainsi dans des ruines hivernales au milieu d’une tragédie qui se répète sans cesse. Et s’il faut s’armer de patience avant d’entrer dans l’arène du nouveau monde, Concrete Utopia nous rappelle, de manière ludique et un brin moralisatrice, que les racines du mal ne sont jamais enfouies bien loin dans le genre humain. Seul compte la force du collectif et le film nous montre ô combien cet équilibre peut être fragilisé en un battement de cils.
Bande-annonce : Concrete Utopia
Fiche technique : Concrete Utopia
Réalisation : Um Tae-hwa
Scénario : Um Tae-hwa, Lee Shin-ji
Directeur de la photographie : Cho Hyoung-rae
Montage : Han Mee-yeon
Chef décorateur : Cho Hwa-sung
Son : Kim Hyun-sang
Musique originale : Kim Hae-won
Producteur exécutif : Choi Byung-hwan
Producteur : Byun Seung-min
Production : Climax Studio, BH Entertainment
Pays de production : Corée du Sud
Distribution internationale : Lotte Entertainment
Distribution France : The Jokers, Les Bookmakers
Durée : 2h18
Genre : Catastrophe, Drame
Date de sortie : Prochainement