Rares sont ces œuvres psychologiques, ascendantes horrifiques, qui infiltrent les festivals auxquels le genre n’est pas dédié. Speak No Evil est de ceux-là, même s’il semble plus à l’aise en explorant sa dimension sociale. C’est notamment le point fort du film qui, malgré sa longue exposition, se lâche davantage dans un final qui revisite le home invasion.
Synopsis : Une famille américaine passe le week-end dans la propriété de rêve d’une charmante famille britannique rencontrée en vacances. Mais ce séjour qui s’annonçait idyllique se transforme rapidement en atroce cauchemar.
James Watkins, à qui l’on doit le désespérant The Descent 2 et la vaine tentative angoissante de La Dame en noir, semble de nouveau renouer avec l’atmosphère survival de son Eden Lake. Sans être un grand faiseur d’images, le cinéaste manie mieux la narration lorsque l’on joue sur l’ambivalence de personnages complexes. Bien heureusement pour lui, il dispose d’un gros lot de protagonistes névrotiques en réalisant le remake du film éponyme danois. Le film de Christian Tafdrup a en effet stupéfait de nombreux spectateurs quant au jeu de miroir entre deux familles, diamétralement opposées sur leur perspective du bonheur.
La petite famille dans la prairie
L’été croate bat son plein et la bonne humeur se dégage de tout part, à l’exception des membres de la famille Dalton, que l’on découvre distants les uns des autres. Débarquent alors d’autres vacanciers plus dynamiques et moins pantouflards qu’eux. Ils se laissent guider par leurs pulsions et leurs désirs, échangent ouvertement et avec une grande sincérité avec les Dalton. Après cette étape de séduction, remplie de sarcasmes et de viles intentions derrière leur sourire charmeur, les moutons sont désormais invités à danser avec les loups, littéralement. Au terme de cette rencontre enchantée, et sans plus attendre, direction les contrées rurales de l’Angleterre, loin de la routine et des exigences infernales de la capitale, pour un week-end en famille qui flirte avec l’atmosphère angoissante de Midsommar, à moindre mesure.
Comme le titre l’indique, il demande à ses personnages un contrôle sur eux-mêmes, de rester sages et bienséants. Ne pas faire de vague, ne pas ouvrir la bouche quand ce n’est pas nécessaire, c’est juste dans cette optique que l’on reconnaît la captivité de la famille londonienne dans un décor et un confort qui ne lui est pas familier. Watkins en profite donc pour brosser le portrait de la famille Dalton, très dysfonctionnelle et qui cumule tous les clichés dramatiques entre le mari en défaut d’autorité, de confiance et de masculinité, l’adultère de son épouse, son végétalisme et la surprotection pour sa fille de 12 ans Agnès, qui suffoque lorsqu’elle qu’on la sépare de son lapin en peluche. En opposition à une famille, semble-t-il « parfaite », mais surtout heureuse, les Dalton se laissent donc dépasser par la générosité de leurs hôtes un peu trop enthousiastes à l’idée de les voir débarquer dans leur patelin où personne ne les entendrait hurler.
Ferme tes yeux, donne-moi ta main
L’objet d’étude de Watkins consiste alors à sonder les maux de Ben et Louise Dalton, respectivement campés par Scoot McNairy (Monsters, Cogan) et Mackenzie Davis (Seul sur Mars), qui peinent à communiquer ou à se tenir dans la même échelle de plan. Ce qui est rarement le cas pour le couple que forment Paddy et Ciara. Ce n’est que par petites touches que ce duo révèle des failles et confirme de bien lugubres soupçons. Les micro-aggressions, souvent malsaines et voyeuristes, se multiplient et génèrent cette tension qui se resserre sur les Dalton. Il est toutefois dommage de ne pas pousser les curseurs du malaise à fond. Hormis un regard furtif à travers une vitre et un gobage forcé d’une tranche d’oie, le réalisateur troque la viscéralité de son thriller avec de l’ennui, tout aussi mortel.
De même, le film manque d’être incisif lorsqu’il fait appel à la cruauté graphique, là où le film danois capitalisait autant sur les sévices physiques que sur la dimension psychologique, un peu à la manière de Funny Games de Michael Haneke. Non pas qu’elle soit nécessaire, mais ces éléments sont soit trop éparpillés dans le récit ou trop condensé dans le climax, que l’attente finit par agacer. Le remake de Watkins semble ainsi avoir lissé les traits de caractère des hôtes, malgré une débauche d’énergie comme James McAvoy l’a notamment démonté dans Split. Cela est tout de même suffisant pour éclipser la performance d’Aisling Franciosi, d’abord aperçu dans le rôle de Lyanna Stark dans la série Game of Thrones, puis révélé dans l’impressionnant The Nightingale. À cet étrange duo, très bipolaire dans leur attitude, s’ajoute Ant, un garçon qui n’a plus de langue pour pouvoir s’exprimer. Mais existe-t-il une bonne raison à cela ? À tour de rôle, paternité et maternité s’entrechoquent pour y répondre, car ce qui compte par-dessus tout dans cette intrigue, ce sont bien les actes des personnages, qui sont alors punis ou récompensés en conséquence. Reste à savoir quelle est la meilleure issue pour les Dalton, piégés dans l’enfer d’une amitié et d’une bienséance toxiques, afin de vaincre leurs démons et de se réconcilier pour de bon.
Petite bulle rafraîchissante en début de festival, Speak No Evil ne manque pas de dissimuler certains de ses défauts grâce à son final assez jouissif et à son humour noir plutôt adroit, notamment lorsque James McAvoy prend les rênes du récit.
Speak No Evil est présenté dans la sélection Premières au Festival de Deauville 2024.
Fiche technique
De : James Watkins
Année : 2024
Durée : 1h50
Avec : James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alex West Lefler, Dan Hough
Nationalité : États-Unis