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The Nightingale de Jennifer Kent

The Nightingale de Jennifer Kent : une vengeance ésotérique

En ce début septembre, le Festival Hallucinations Collectives nous a offert une bien belle séance choc avec le « rape and revenge » The Nightingale de Jennifer Kent, réalisatrice de Mister Babadook. 

Dans la Tasmanie coloniale de 1825, une jeune domestique irlandaise (Clare) en quête de liberté, voulant ses papiers et aux prises avec un lieutenant libidineux anglais va voir sa vie basculée lorsque ce dernier et deux sous-fifres vont la violer et abattre sa famille. Forte d’une haine ravageuse, la vengeance va devenir le seul et unique point de chute d’une jeune femme qui n’a plus rien à perdre. Pensant voir un énième « rape and revenge » sec, rugueux et âpre jusqu’au bout des ongles, version « I Spit On Your Grave » historique, le film va pourtant nous emmener dans des contrées insoupçonnées, aussi dénonciatrices que mystiques et de ce fait, Jennifer Kent va à de nombreuses reprises désamorcer avec brio certaines situations attendues. 

Dès le départ, le décor est planté : atmosphère austère, environnement boueux composé d’âmes frustrées et masculinistes, soldats biberonnés à l’alcool et à l’incompétence, domestiques traités comme des chiens ou de vulgaires « rossignols », racisme latent et violence sèche. Durant les 30 premières minutes, jusqu’à l’acte « fatidique », rien ne nous sera épargné sans que la mise en scène devienne complaisante dans sa manière de faire vivre son esthétique sophistiquée (rappelant celle de Robert Eggers dans The Witch) avec l’horreur qui nous sera balancée en plein visage. Le spectateur sera donc aux premières loges d’une terreur viscérale et ne pourra baisser les yeux. 

Mais pour agrandir le champ d’horizon de son film, et le détacher de son cahier des charges initial, la cinéaste va implanter durablement son film de genre dans les affres de la colonisation britannique. Dans sa quête de vengeance, Clare sera accompagnée d’un aborigène (Billy) qu’elle va « payer » pour la conduire jusqu’à ses ravisseurs et traverser une Nature foisonnante et dangereuse. De cette rencontre, va alors naître le point névralgique des intentions narratives du film : parler du racisme, de la place de la femme dans la société, d’une société découpée par la hiérarchisation communautaire, de la culture aborigène, du génocide colonialiste et de voir ces deux personnes que tout oppose se ramifier par le biais du même oppresseur. 

Si The Nightingale rappelle à certains moments l’oscarisé 12 years a slave de Steve McQueen (la scène des pendus ou des prisonniers), notamment dans le parcours initiatique de Billy et sa réappropriation de sa propre terre qu’est la Tasmanie, on pourra malheureusement reprocher au film de vouloir parfois (juste parfois) trop s’appesantir sur son propos ou de passer par des chemins de traverse inutiles et un peu longuets, par le biais de quelques discussions ou meurtres qui surexplicitent des choses perceptibles déjà à l’écran et dont le silence, la mise en scène ou la puissance des regards des protagonistes auraient suffit à la compréhension et la fluidité du récit. Pourtant, l’expérience ne faiblit pas et dévoile une vraie maîtrise d’écriture, proche de la veine naturaliste de Kelly Reichardt ou sensorielle d’Andrea Arnold dans sa somptueuse version des Hauts de Hurlevent.

Basculant d’un genre à un autre, avec facilité, naviguant du « rape and revenge » au road movie, du western taciturne à l’étude existentielle et ésotérique, jusqu’au pamphlet féministe, la tension qui émane de The Nightingale ne baissera jamais d’un cran mais changera de visage à de nombreuses reprises, notamment après le premier meurtre de Clare, d’une violence assourdissante et sanguinolente, faisant passer la quête de vengeance originelle à quelque chose de moins tangible, plus mental et cauchemardesque. De ce questionnement sur la culpabilité, l’humanité qui reste ou non en elle, et la peur de la solitude qui en découle, The Nightingale va pouvoir s’appuyer sur son point fort : son casting. Aisling Franciosi, avec ses faux airs de Hailee Steinfeld dans True Grit ou de Florence Pugh dans The Young Lady, et Baykali Ganambarr, arrivent parfaitement à alimenter l’ambivalence de tous les sentiments contradictoires et puissants d’un film qui ne manque pas de marquer son spectateur.

The Nightingale – Bande annonce

The Nightingale – Fiche Technique

Réalisatrice : Jennifer Kent
Scénario : Jennifer Kent
Casting: Aisling Franciosi, Baykali Ganambarr, Sam Clafin…
Sociétés de production : Causeway Films, FilmNation Entertainment, Made up Stories, IFC Films,
Durée : 2h16
Genre: Drame/Vengeance