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Musique The Witch : l’ambiance incantatoire et horrifique de Mark Korven

Au départ annoncé comme un petit projet, The Witch est devenu un coup de maître impressionnant qui a vu naître une osmose artistique idéale entre Robert Eggers et Mark Korven. La bande originale de ce dernier sacralise l’idée même de la peur et du tréfonds de l’imaginaire.

La symphonie macabre de Mark Korven pour The Witch

The Witch de Robert Eggers est l’une des grandes surprises de l’année. Pour un premier film, le réalisateur américain a su extirper la sève de l’arbre horrifique pour finalement accoucher d’une œuvre à part entière. Huis clos mystique présentant un sous texte fascinant sur la place de la femme dans la société, The Witch est avant tout complimenté par la méticulosité de son cadre et sa direction artistique aussi épatante qu’enchanteresse. Conte satanique aux multiples pistes de lecture sur l’affranchissement de la femme et l’éveil des sens à l’adolescence, The Witch est un tableau aussi portraitiste qu’expressionniste. Derrière cette froideur biblique de tous les instants, qui ne cesse de dissimuler le malin en chacun de ses personnages, The Witch fait naître une tension cinématographique morbide grâce aussi à l’utilisation d’une musique en totale cohérence avec son environnement macabre. Au diapason d’une mise en scène rigide et oppressante, la partition sonore de Mark Korven ne surjoue jamais sa touche horrifique mais dispose d’une ambiance orchestrale minimale qui retranscrit parfaitement les courbes moyenâgeuses et puritaines de cette famille qui se dissout suite à la perte de repère de leur propre foi.

Rejetant toute forme de structure électronique, Mark Korven joue les druides gothiques et dessine les traits d’une bande originale proche de l’incantation. « What went we » est représentatif de tout le travail effectué par Mark Korven : la présence lancinante d’un instrument à cordes tel que le « nyckelharpa » qui accentue l’atmosphère médiévale de l’intrigue, sonne comme une longue et triste complainte. Dans sa recherche sensorielle, The Witch se rapproche d’une œuvre comme Under The Skin. Les scores ne se ressemblent pas mais l’on y trouve cette capacité qu’a la composition sonore de déchiffrer le langage même de la mise en scène d’un réalisateur. Cette vocation qu’a la musique à ne pas surenchérir les effets du cinéma de genre, mais à devenir un hôte singulier et existant qui arrondit les angles de la terreur engendrée par l’image (« Banished »). Et la bande originale de Mark Korven est un petit bijou qui permet au film de s’émanciper de toute la masse de films d’horreur qui submerge à l’heure actuelle le monde du cinéma.

Car si Robert Eggers n’agite jamais la carte du gore ni de la violence outrancière, c’est pour rendre palpable l’aspect naturaliste de son œuvre et faire de son écrin une plongée encore plus humaine dans les méandres de la crainte et de la peur de l’autre. La clé de voûte de l’œuvre est le mystère, et Mark Korven l’a bien compris. Jouant sur les ruptures de dissonances (« a Witch Stole Sam ») et calfeutrant au maximum ses mélodies élégiaques ou stridentes, la partition musicale augmente la puissance des silences, crie la nature incantatoire du récit et affine le lien entre l’homme et sa propre nature. Isolés dans cette forêt où des disparitions deviennent inexpliquées, les membres de cette famille commencent à perdre tout sens de la réalité. Et devant cette dégradation de l’âme, Mark Korven accélère le tempo de ses mélodies et les fait chavirer dans ce qui ressemble à une sorte de chaos apathique et inévitable (« Foster the Children » ou « Hare in the woods »). La musique ressert l’étreinte sur le sort de ses personnages, affiche une peur aveugle et les enferme de plus en plus dans une nature gothique qui prend des allures de tombeau.

De cette manière, The Witch n’est pas sans rappeler une œuvre telle que Le projet Blair Witch : là où l’image et le son deviennent aussi terrifiants l’un que l’autre et arrivent à rendre horrifique l’invisible. Outre les sonorités presque exclusivement acoustiques, les chœurs féminins amplifient la thématique de sorcellerie qui alimente The Witch (« Isle of White »). Ces incantations, ces hurlements, ces murmures et ces gémissements soudains injectent une dose appréciable de terreur dans cette partition musicale expérimentale et muette. Le coup de force de Mark Korven, tout comme Mica Levi avec Under The Skin, est de se placer du côté de la symbolique et non pas de la simple cinématographie. En utilisant des textures extrêmement silencieuses qui tapissent notre imagination, cette musique transforme les moments de simple observation en expériences totalement immersives.

Alors que Robert Eggers a le mérite de vouloir sortir des sentiers battus du sempiternel « Jump Scare » qui cache les lacunes du manque de mise en scène de nombreux cinéastes, Mark Korven acclimate ses ruptures de tonalité avec fluidité et agence les vibrations de ses textures sonores pour ne pas dénaturer le climat anxiogène de l’œuvre et surtout, pour sanctuariser le thème de la possession et de l’exorcisme (« The Goat and The Mayhem »). La musique de Mark Korven est extrêmement efficace pour exploiter la peur et l’angoisse inhérentes de cette famille puritaine aux portes des abîmes de l’enfer. The Witch n’est pas à proprement parler un film qui matérialise la peur par l’image mais marié à cette bande originale, le film prend une toute autre ampleur pour le plus grand plaisir du spectateur.

Musique The Witch Tracklist

01. What Went We
02. Banished
03. Witch Stole Sam
04. Hare in the Woods
05. I Am the Witch Mercy
06. Foster the Children
07. Caleb Is Lost
08. Caleb’s Seduction
09. Caleb’s Death
10. William and Tomasin
11. William’s Confession
12. Goat & the Mayhem
13. Follow the Goat
14. Witch’s Coven
15. Isle of Wight (Traditional)
16. Standish (Traditional)