Clap de fin pour la sixième édition du CitéCiné Festival de Carcassonne. Une manifestation avec un fort goût de « reviens-y » à en juger par une fréquentation qui a fait exploser les compteurs de l’an passé. Sans compter une programmation soucieuse de son identité éditoriale, qui permet à chacun de trancher LA question qui anime le festival : c’est quoi, faire du cinéma politique ? Pour le jury présidé par Stéphane Brizé comme pour les derniers films vus par votre serviteur, la réponse est claire : c’est mettre les pieds dans le plat.
On l’avait vu à Arras, on en avait parlé, on est ravi de le retrouver ici et avec la médaille d’or autour du cou : Green Border d’Agnieszka Holland repart avec le grand Prix MGallery. Un grand OUI, tant la cinéaste polonaise sait appuyer là où ça fait mal sans demander l’autorisation au spectateur ni laisser les conventions du « cinéma du réel » prendre sa caméra en otage.
Adopter une démarche documentaire ne signifie pas réaliser comme un reportage, mais harponner la rétine d’un public anesthésié par sa surexposition quotidienne aux images. Green Border ne nous laisse ni le luxe du hors champ, ni celui de ne pas traiter les personnages (les immigrés syriens comme les bourreaux et alliés polonais) en tant qu’êtres humains ; et non des informations rangées dans la banque de données du temps de cerveau (in)disponible. Faire du cinéma politique, ce n’est pas brandir ses idées, mais conduire le spectateur à se détacher des siennes pour VRAIMENT regarder l’autre. Sans un scénario qui déroge parfois à cette règle lorsque la pensée de sa réalisatrice dépasse sa caméra en mots et en images (il y a un bon 20 minutes de trop), on était pas loin du niveau Kathryn Bigelow (Détroit, Zéro Dark Thirty) de la stratégie du choc.
En parlant de ne pas prendre de gants, il convient de s’arrêter quelques lignes sur Amal, de Jawad Rhalib, prix du jury oh combien légitime si en juge le silence interloqué qui succéda à son dernier plan. Vous attendiez une réaction à la hauteur aux assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard ? Elle nous vient de Belgique, et sort le 17 avril dans nos salles.
Lubna Azabal y joue une professeure de français qui refuse le fait accompli de l’intégrisme islamique à l’œuvre dans son établissement quand l’une de ses élèves se fait harceler en raison de son homosexualité supposée. Que les ami(e)s de la bien-pensance soumettant le réel à leur déni de réalité soient prévenus : Jawad Rhalib ne laisse aucun espace aux pirouettes rhétoriques des « faut pas stigmatiser » et autres « ne jetez pas d’huile sur le feu ».
Ici, l’incendie est déclaré et le réalisateur jette sa caméra dans cette ligne de feu qu’on appelle le système éducatif face à l’obscurantisme salafiste. Les mots s’échangent comme des crochets de boxeurs, la mise en scène ne distend jamais le fil de la confrontation et dans cette atmosphère de surtension permanente, la pasionaria Lubna Azabal donne tout et même un peu plus d’elle-même à chaque instant. Dans ce champ de bataille en fusion, Rhalib réussit à construire la psychologie de ses personnages complexes et la nuance d’un propos pourtant sans ambiguïtés. Le cinéma français adore les « films-nécessaires » et leurs évidences de bisounours qui ne fâchent personne. Amal le clame haut et fort : le cinéma politique est celui qui ne laisse pas les évidences à leur place, quitte à casser le mobilier.
Pour le reste du palmarès, Explanation for everything de Gabor Reisz (dont nous avons parlé ici) obtient une mention du jury, Things unheard of Ramazan Kilic le titre du meilleur court-métrage et le documentaire Nomades du Nucléaire de Kilian Armando Friedrich et Tizian Stromp Zargari obtient le prix du jury SFCC. Enfin, Baghdad on Fire de Karrar Al-Azzawi cloture le podium avec le prix du public du meilleur documentaire.
Pour notre part, nous glisserons une mention à Vivants d’Alix Delaporte. Alice Isaaz y joue une cameraman qui décroche un stage dans la rédaction de l’une des émissions les plus respectées du PAF. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la réalisatrice ne perd pas de temps : à l’instar de l’héroïne, le spectateur apprend à nager après avoir sauté dans le grand bain. On comprend ce qui se joue et qui est qui avec l’efficacité d’un film de commando. « Posez chaque question comme si c’était la dernière » : Delaporte prend la punchline du personnage joué par Roschdy Zem au pied de la lettre et de la caméra.
Derrière son aspect « pris sur le vif », il n’y a rien qui est laissé au hasard dans Vivants : c’est du cinéma qui se passe de grand discours (l’écueil du « film de journaliste ») pour mettre le spectateur sur le pied de guerre et définir ses personnages dans le travail et leur souci de bien le faire comme chez Michael Mann. Jusque dans un plan qui renvoie directement à Révélations, moment de grâce qui justifie quelques instants de suspension en apesanteur du récit. Il y a des références moins glorieuses à brandir, et plus aisées à assumer sans rougir.
Mais un cinéma qui se veut politique se doit au minimum de refuser la facilité : c’est la leçon que l’on emmène avec nous de cette sixième édition du Festival CitéCiné de Carcassonne. À l’année prochaine.