Alors que Showtime a annoncé le développement d’une quatrième saison, on peut se demander si le network n’a pas les yeux plus gros que le ventre. En effet, The Affair se délite progressivement sous le poids de son concept narratif qui ne fait plus recette et s’essouffle péniblement avec une saison 3 qui n’est plus à la hauteur des attentes.
Synopsis : Après avoir passé plusieurs années en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, Noah sort de derrière les barreaux brisé et fragilisé, traînant avec lui un grave traumatisme et vivant avec le poids d’un passé refoulé qu’il n’a jamais surmonté. Il peine à sortir la tête de l’eau : entre Alison qui souhaite divorcer pour récupérer la garde de sa fille et prendre un nouveau départ, et Helen qui coule désormais des jours tranquilles avec son nouveau compagnon, Noah entame une liaison avec sa collègue Juliette pour tenter de trouver du réconfort.
The Affair, comme l’indique son titre, c’est au départ l’histoire d’une liaison adultérine entre Noah, un écrivain trouble, et Alison, une paumée en deuil. Amant, maîtresse, mari cocu, femme bafouée, enfants dépassés et foyers éclatés, tels étaient les ingrédients de la série dont la pierre angulaire reposait sur l’exploration des dégâts et des conséquences d’une relation extra-conjugale dans les destins et les vies de ceux qui la commettent, mais également de ceux qui la subissent. Innovante grâce à sa narration multiple qui adoptait les points de vue successifs des quatre protagonistes majeurs, la fiction diffusée sur Showtime utilisait comme fil rouge une vague intrigue policière qui servait davantage à instaurer du lien entre les héros plutôt qu’à installer un réel mystère, même si le « whodunnit » était relativement réussi. Mais forcément, plus on force, plus le concept s’use. Dommage. Alors que la fin de la saison 2 faisait déjà craindre le pire avec un changement de cap trop radical et l’apparition du thriller dans l’intime, la suite ne fait pas mieux. Tiraillée entre l’exploration des traumatismes enfouis d’un Noah décomposé qui lutte avec les fantômes de son passé, la quête de rédemption d’une Alison rangée, les regrets et la frustration d’un Cole qui s’est recasé par dépit et le sentiment de culpabilité d’une Helen qui perd le contrôle de son quotidien, la série construit progressivement un climat anxiogène pour orchestrer la révélation d’un secret. Mais le scénario s’éparpille inévitablement et le récit, qui fait la part belle à de nouveaux héros totalement inutiles, s’achève sur un final grotesque aussi caricatural que moralisateur qui fait de The Affair un show faussement audacieux à cause d’un dénouement donneur de leçons qui nous fait comprendre à gros sabots que l’adultère c’est mal et que les « méchants » finissent toujours par payer leurs méfaits. Regrettable et décevant.
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Noah le naufragé
Il faut bien avouer que la troisième saison de The Affair n’est pas totalement ratée, loin de là. Preuve en est avec la trajectoire et l’arche dramatique de Noah, dont la psychologie torturée est au cœur de l’intrigue. Si le scénario se focalise en grande partie sur les tourments de l’écrivain à la dérive, c’est avant tout pour approfondir la personnalité de ses héros, qui conservent encore bien des zones d’ombre pour les spectateurs. De fait, on apprécie d’en découvrir davantage sur le passé et la jeunesse de ce « brun ténébreux » sombre et contrasté, à la fois attachant et exécrable. Mais le geste et la démarche ne sont pas arbitraires : en explorant les traumatismes antérieurs de Noah, la série amorce une belle réflexion sur les questions d’errance, de construction identitaire, de déni, de refoulement, d’euthanasie, d’égoïsme et de culpabilité. Fraîchement sorti de prison, Noah n’est pas libre, au contraire : pris au piège de ses démons qui ressurgissent et harcelé par un étrange individu, le personnage s’enferme dans la folie et s’enlise dans une spirale de solitude autodestructrice. A mi-chemin entre le fantastique et le thriller psychologique, la première partie de cette saison se joue de notre perception de la réalité et brouille les pistes grâce à une construction labyrinthique qui navigue entre passé et présent, pour nous distiller des indices qui pourraient nous aider à mieux comprendre ce qui arrive à Noah, complètement largué. Toujours mystérieuse, toujours intrigante, The Affair réinvestit les constituants de son ADN scénaristique de départ au service d’une quête quasi-initiatique qui va forcer Noah à se confronter enfin à lui-même et à admettre l’indicible pour briser ses chaînes, se repentir et aller de l’avant. Ce cheminement et ce travail éprouvant vont plonger Noah dans une grave dépression avec le total-look : attention la barbe, la coupe hirsute, les vêtements sales, l’addiction aux médicaments et à l’alcool, les hallucinations, les accès de violence et les blackouts ! Même si le trait est légèrement forcé (reconnaissons l’évidence), cette crise existentielle rend le héros profondément attachant et renforce efficacement notre empathie envers lui, mais pas seulement. En se regardant enfin en face, Noah endosse la responsabilité de ses actes et réalise que ses décisions ont souvent été guidées par son inconscient : l’étrange Gunther (Brendan Fraser) est là pour le lui faire comprendre. Et s’il s’était volontairement jeté derrière les barreaux pour se punir d’un acte qu’il ne s’est jamais pardonné ? Pire, et si la nature de sa relation avec Alison était malsaine, parasitée par leurs problématiques respectives ? Était-ce de l’amour, ou bien une relation pansement qui a atteint ses limites ? Noah et Alison se sont-ils mis ensemble pour les bonnes raisons ? Tant d’interrogations qui remettent en cause le fondement même de la série, et c’est ici que le bât blesse.
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Une identité reniée
The Affair nous avait vendu du rêve avec la passion incendiaire et la pulsion de désir érotique farouche qui avaient fait tourner la tête à Noah et Alison, lancés à corps perdus dans une aventure aussi charnelle qu’émotionnellement intense. Coup de foudre, amour fou : leur couple était incontestablement excitant. Et voilà que la troisième saison nous ternit soudain le tableau, en arguant que l’histoire fougueuse et libératrice de ces deux héros n’a jamais réellement existé ! Du moins, il faut comprendre que les personnages se sont trompés et se sont dévoyés, éloignés du droit chemin pour des raisons qui les dépassaient. Forcément, c’est le choc. Le début de la fin. Les amants se retrouvent confrontés à leurs erreurs et au mal qu’ils ont causé autour d’eux, et ils vont payer pour leurs méfaits. Oui, vraiment. A partir de là, Alison, taxée d’irresponsable, de folle, d’instable et de paumée à qui il est impossible de se fier entame une rédemption qui s’apparente à un chemin de croix, à base d’exil, d’isolement, de douleur. Après avoir perdu son premier enfant dans des circonstances tragiques, le sort s’acharne sur elle et la sépare de sa fillette, dont elle est privée. Reniée par Cole, calomniée par les tribunaux, détestée par sa rivale Louisa, contrainte à divorcer, elle fait pénitence et s’investit même dans une démarche de reconstruction charitable en aidant les femmes qui elles aussi, ont dû gérer la mort d’un enfant. En l’espace de quelques épisodes, la rebelle imprévisible et la séductrice incandescente se transforme en sainte, et cherche l’absolution : elle paye. Pareil pour Noah, qui paye son infidélité au centuple : désavoué par ses enfants et haï par sa fille aînée, il touche le fond et se voit rejeté par tout le monde, mis à la porte de ses deux foyers pour finir seul, dehors, dans le froid, le soir de Noël : il paye. Alors, que veut-on nous faire comprendre ? Faut-il y voir un message moralisateur fustigeant et condamnant sévèrement l’adultère ? On a du moins ce sentiment, surtout que même les personnages secondaires en font les frais, comme Juliette, l’universitaire française qui trompe son mari grabataire avec Noah : sermonnée par sa fille, humiliée par sa corporation, renvoyée de son travail, raillée par ses amies et veuve, elle paye. Tout le monde paye. Et ça finit par devenir trop sérieux : c’est grave. C’est moraliste.
Un segment parisien qui frise le ridicule
Symptomatique d’une série qui refuse de s’immobiliser dans son concept, le chapitre parisien de cette fin de saison prouve malheureusement que The Affair a voulu sortir de sa zone de confort sans y être parvenu efficacement. L’intrigue, qui flirte déjà avec le fantastique grâce au personnage de Gunther, lorgne du côté de l’aventure française à grand renfort de clichés éculés. En introduisant le personnage de Juliette, une professeure de littérature médiévale à la Sorbonne (originalité bonjour) installée aux États-Unis, la série expérimente et plonge dans un registre faussement galant et courtois, entre marivaudage et libertinage. Libérée et légère, cette quadragénaire aux mœurs débridées parle de sexe et de séduction en toutes occasions autour d’un bon coq-au-vin (si, si) et trompe allègrement son mari grabataire avec ses étudiants, ses collègues, etc. Inutile au possible, cette femme nous apparaît comme une pièce rapportée créée artificiellement pour apporter un regain d’enjeux à l’action, ce qui tombe totalement à plat. On a même le droit à son arc narratif personnel, ennuyeux au possible, entre son vieil époux qui délire, sa fille qui fait sa crise, ses amies ringardes qui se baladent sur les marchés de Noël de Saint-Michel… Pour couronner le tout, les deux derniers épisodes, qui se déroulent à Paris, sont grotesques. On voit Noah bien heureux déambuler dans les rues de la capitale comme un bon touriste : il chine des vieux manuscrits dans des libraires typiques du Quartier Latin, se promène sur les bords du Canal Saint-Martin, retrouve sa fille artiste dans une galerie du Marais et la poursuit sur les quais de Seine, la nuit, avec les lumières de la ville qui se reflètent dans l’eau. Il fait l’amour dans des hôtels, boit du vin dans des bistrots en grignotant une planchette. Ah, la vie parisienne et son charme désuet ! Il est dur de comprendre comment un show si finement ciselé et intelligemment écrit puisse tomber dans des travers aussi risibles. Force est de constater que le ridicule de ce « season finale » annihile toutes les qualités précédemment citées puisque l’on termine sur une note affligeante qui laisse un goût amer en bouche, tant cela rompt avec toute cohérence. On a le sentiment que les auteurs ont fait du remplissage et ont trahi l’identité même de leur série : c’est triste et révoltant.
Pour conclure, on a l’impression d’être face à une série dont le concept est en perte de vitesse : l’inventivité s’amenuise, la morale s’invite, les personnages tournent en rond et répètent les mêmes erreurs (Cole recouche avec Alison, Alison recouche avec Noah), et les nouveautés sont comme des greffes qui ne prennent pas. La machine s’enraye, la faute à un show qui s’étale et qui étire son intrigue indéfiniment. Il faudrait arrêter de tirer sur la corde et s’arrêter là. La saison 4 va-t-elle définitivement porter le coup de grâce fatal à cette fiction qui s’étiole ou va-t-elle relancer l’histoire de manière habile et inattendue ? On l’espère, car au final, il n’est pas aisé de tourner le dos à The Affair, aventure télévisuelle novatrice et accrocheuse qui nous aura tout de même fait passer des moments inoubliables, émouvants, parfois osés mais toujours savamment orchestrés.
The Affair : Bande Annonce VO
https://www.youtube.com/watch?v=Eof5D3noPZE&t=3s
The Affair : Fiche Technique
Créateurs : Sarah Treem et Hagai Levi
Réalisation : Jeffrey Reiner, John Dahl, Agnieszka Holland
Scénario : Sarah Treem, Anya Epstein, David Henry Hwang, Stuart Zicherman, Sharr White, Alena Smith, Sarah Sutherland
Interprétation : Dominic West (Noah Solloway) ; Ruth Wilson (Alison Bailey) ; Maura Tierney (Helen Solloway) ; Joshua Jackson (Cole Lockhart) ; Julia Goldani Telles (Whitney Solloway) ; Catalina Sandino Moreno (Luisa Lèon) ; Omar Metwally (Dr. Vic Ullah) ; Irène Jacob (Juliette Le Gall) ; Jonathan Cake (Furkat) ; Brendan Fraser (John Gunther)
Image : Steven Fierberg, Tod Campbell, Joe Collins
Musique : Marcelo Zarvos
Production : Sarah Treem, Hagai Levi, Jeffrey Reiner, Andrea P. Stilgenbauer, Sharr White, Alena Smith
Genres : Drame, thriller
Format : 10 épisodes de 50 minutes
Chaine d’origine : Showtime
Diffusion aux USA : Depuis le 20 novembre 2016
Etats-Unis – 2016