Elle est sur des affiches, dans les talk-shows, les magazines et à peu près partout sur les réseaux sociaux : la saison 3 de Stranger Things a débarqué ce 4 juillet sur Netflix. Retour sur une saison installant la série pop au panthéon des blockbusters du petit écran.
(Attention, cette critique contient une révélation ou deux sur la saison 3.)
Stranger Things, c’est un effet de surprise démentiel et un succès un peu délirant dés le premier épisode, que beaucoup n’avaient pas vu venir. C’est vrai, qu’il y a-t-il dans les démarches de stylisation et de lissage d’années 80 où internet était pour nous le minitel ? Le téléphone portable une totale abstraction ? La coupe mulet une coupe à la mode ?
Je m’aime donc je suis
Parmi les critiques les plus souvent formulées envers Stranger Things, la stylisation et le lissage des années 80 et l’auto-citation. Après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même pour aller chercher des galons. Car oui, les années 80, ce n’était pas forcément mieux avant. Cela a déjà été relevé, les frères Duffer, les créateurs de la série, tout comme la très large majorité du casting ne les ont pas connues. Les spectateurs du monde entier ont tous eu la sensation de voir des productions hommages à Amblin, ce style spielbergien et sa représentation des rêves d’enfants dans des banlieues paumées américaines : E.T (Steven Spielberg, 1982), bien sûr, mais aussi Explorers (Joe Dante, 1985). Ceci explique parfaitement la hype terrible que la série a reçu dès la première saison, avant que le souffle ne retombe quelque peu. Car la toile de fond des années 80 y est apparue également comme le sac à fan service qu’on a bien voulu servir à tous les abonnés Netflix. Très connectée aux réseaux sociaux, ce qui est un comble pour une oeuvre évoquant un temps où les portables étaient de grandes cabines de verres sur les trottoirs, les scripts ont réagi aux demandes et aux questionnement des fans à travers le monde. En bien comme en mal.
De ce côté-là, la saison 3 offre ce qui pourra apparaître comme une réaction : de l’auto-citation certes, mais pas totalement gratuite. Les flash-backs servent ainsi le travail de deuil essentiel à l’évocation de ceux qui sont partis, les plus récents, pour éviter les écueils déjà relevés lors de la saison inaugurale. Une levée de boucliers permettait déjà de relever les morts des personnages secondaires qui n’étaient pas évoquées par des scènes-clés, à l’image de la pauvre Barbara Holland (saison 1). Le procédé est surprenant de maturité, même si d’autres pourront légitimement l’appeler niaiserie ou autres joyeusetés dans des lectures différentes, mais il témoigne en tout cas pour la première fois du besoin de remettre en perspective des événements passés. Les premiers épisodes de la saison 3 cadrent bien ce besoin des spectateurs, au nom de la crédibilité et du respect du récit. Le cinéma pop parlant lui aussi beaucoup plus désormais de deuil que de mort, il est logique de constater que la série pop la plus en vogue depuis 3 saisons se mette au diapason.
Le visage d’un trou noir
Dans le sac des créateurs, des goodies, ces objets qui rappellent l’enfance de tous les petits occidentaux. A croire que les frères Duffer sont venus chez nous faire des vide-greniers pour aussi acheter des VHS. Tout le cinéma lovecraftien y est passé et y passera, de l’antre de la folie (John Carpenter, 1995) à The Thing, tout comme les franchises à succès allègrement évoquées jusqu’à l’extrême dans cette dernière saison. Mais une référence sautera parmi tant d’autres comme une sale bête aux yeux des fans assidus de SF : l’invasion des profanateurs de sépulture (Don Siegel, 1956). Cette référence est somme toute logique pour un pur film de guerre froide, pour la première version, au moment où la saison 3 choisit des antagonistes russes dignes d’une copie de James Bond fauchée. Elle enrichit la série d’un territoire nouveau, prompt à damer le pion aux critiques lui reprochant son manque de profondeur. Mais elle tend aussi le bâton pour se faire battre. Stranger Things, de saison en saison reste le trou noir englobant toute la pop culture nord-américaine sans vergogne, en la vidant de sa substantifique moelle. On y évoque donc John Carpenter, Joe Dante, mais aussi George Romero, soit de réels critiques d’un mode de vie incarné cette saison par le Mall de Starcourt, ce grand centre commercial menaçant la vie des petits boutiquiers de Hawkins, en préférant tailler leurs messages en biseaux plutôt que de les prendre en biais pendant les 8 épisodes de la saison. Il en va de même pour le classique de Don Siegel de 1956. Il était certes difficile pour le récit de reprendre à son compte dans une série grand public les arguments anti-communistes au pied de la lettre dans le monde de 2019, mais les servir dans une série clairement née et tournée vers le passé était peut-être un moyen d’apporter ce fond historique et, j’ose, archéologique, qui est aussi un intérêt du projet. Las, il semble ici que les Duffer adaptent en fait le remake de 1978, réalisé par Philip Kaufman, bien plus modéré sur la question et orienté vers l’action. A chacun de s’y construire une opinion et une envie de voir la suite : Stranger Things continuera à avaler les classiques, mais en en laissant de belles portions dans le cornet.
Une série d’acteurs ou de spectateurs ?
Il est impossible pour une série chorale de ne pas évoquer les acteurs et le casting, qui donne la part belle aux enfants (saisons 1 et 2) et aux ados désormais. Entourés de jeunes adultes et de figures parentales plus ou moins irresponsables, il est surprenant de percevoir que le casting d’origine, centré autour des enfants, de Winona Ryder et David Harbour n’est ainsi pas forcément le mieux servi par les scripts de cette troisième saison. L’enquête autour des événements se dévoile autour de quatre groupes, qui s’entrecroiseront lors des derniers épisodes. Je ressors mes fiches pour ne pas me perdre au milieu de tous ces personnages et le temps de vous dire que ma numérotation des groupes n’est absolument ni qualitative ni chronologique. Cette critique ne contient pas d’easter egg. Pour plus de confort, j’utiliserai ici le nom des personnages principalement. Suivez le plan.
Le premier groupe est le couple formé par Nancy et Jonathan. Une enquête journalistique classique des paranos des années 70, évoquant par exemple et toutes proportions gardées the parallax wiew (A cause d’un assassinat, Alan J Pakula, 1975) dans laquelle ils ont le malheur, et nous aussi, de croiser les personnages les plus stupides de l’histoire de la série: l’équipe de rédaction de la feuille de chou locale. Certes, ceci est assumé, joué et surjoué avec talent par Jake Busey, qui incarne un Bruce Lowe foncièrement macho, chambreur, vaniteux et donc totalement idiot. Mais comment concevoir malgré les vannes, pas toutes réussies, que de tels personnages puissent encore exister après les événements des deux premières saisons ? Cette trame narrative est ainsi confrontée, malgré son intérêt, à une hérésie scénaristique totale, se cognant allègrement de tout ce qui a été écrit auparavant, à l’encontre, on l’a vu plus haut, d’un réel effort pour mettre en scène le travail de deuil. Défaut de jeunesse ? Les discussions fleuriront sur ce point et tous les autres sur les réseaux sociaux. Rendez-vous en saison 4.
Un second groupe se construit autour de Dustin, Steve Harrington, Robin et le chef troll de la saison 3, la petite sœur de Lucas. Embarqués par Dustin dans l’exploration totalement dingue de leur centre commercial flambant neuf où ils vendent des glaces, Steve et Robin méritent assurément un grand pouce levé. Des dialogues au jeu d’acteur, Maya Thurman-Hawke et Joe Keery séduisent par une entente et une complicité perceptibles par tous et pour tous, au service d’une sous-intrigue de film d’espionnage cette fois-ci digne d’un vrai James Bond. On pense encore à la fibre de la guerre froide et de Moonraker (Lewis Gilbert, 1979), qui en est une incontournable référence. Du gigantisme de la base secrète sous leurs pieds aux délires paranoïaques d’une bande de barbouzes un peu bébêtes, cette trame narrative nous embarque bel et bien avec pertinence dans les images d’Epinal d’un cinéma lui aussi plutôt mythique des années 70. Au sein de ce groupe et de cette histoire-là, on retrouve Dustin, un des chouchous des fans, qui est aussi bien servi que dans les saisons précédentes, c’est à dire pas trop, tandis que la jeune sœur est de Lucas est une incontestable découverte très piquante.
Un troisième groupe se constitue autour du casting d’origine starifié (pauvres gosses) rejoints par Maxine, la petite sœur de Billy, qui les a rejoint depuis la saison 2. Ils ont donc loupé Dustin, rentré d’un mois de colonie de vacances, et se serrent les coudes pour enquêter sur des disparitions mystérieuses. Ressortez les goonies (Richard Donner, 1985) et ça du placard, nous y sommes encore. D’une manière générale, les jeunes acteurs apparaissent en roue libre, sans grande évolution de leurs personnages, en dehors d’une eleven que Maxine essaie de féminiser. En dehors de cela, le jeu d’acteur est toujours plus poignant chez Will et Maxine, à qui on fournit les scènes les plus difficiles. A employer pour ce groupe de personnages, le cœur même de la série, les mêmes images et références pop jusqu’à la corde, un danger pointe à l’horizon: la lassitude. Millie Bobby Brown, star du groupe des gosses depuis son passage dans le dernier triste épisode de Godzilla peut symboliser à elle toute seule la souffrance relative pour un acteur de ne pas véritablement avancer en une saison. Maxine, et dans un autre cadre, Billy, son grand frère ont été employés pour être des personnages clés de l’intrigue, a défaut d’être les plus iconiques, et bien leur en a pris.
Quant au dernier groupe… Vous voulez vraiment en parler ? C’est à dire que… Bon… Alors, rencontrons le chef Hopper et Joyce, jouée par Winona Ryder. Toujours pas? Je vous aurais prévenu. Ils se rejoignent donc dans une enquête sans grand intérêt scénaristique ni cinématographique, qui marquera beaucoup plus par ce qui devient un souci persistant de la série, qu’il faudra bien un jour affronter, un souci bien plus menaçant que tous les monstres de l’underworld : la prestation totalement accablante de Winona Ryder. Il suffit de jeter un œil ou deux à Show me a hero, où elle incarnait il y a peu une politicienne, pour percevoir l’ampleur du problème. Sur-jeu en roue libre, expressions faciales inadéquates, en survoltage permanent : n’en jetez plus, le massacre de l’image d’une icône pop est assumé. Jamais de mémoire de sérievore je n’ai subi une telle prestation, et elle interpelle beaucoup de monde, car elle tire également vers le bas le pauvre David Harbour, qui n’a pas plus à se mettre sous la dent du côté du scénario. Entre sa figure de père aimant/maladroit/protecteur et les assauts incohérents de sa partenaire de jeu, il ne pouvait que sombrer. Salut l’artiste. Comment Winona Ryder, grande actrice, s’il est besoin de le rappeler est-elle à ce point, consciemment ou non tombée dans une telle caricature ? Comment un tel résultat à l’écran a-t-il pu passer et être accepté sans encombres ? Voilà les plus grands mystères de Hawkins dévoilés lors de cette saison 3.
Tout ceci pose en tout cas une dernière question : la série vit-elle de ses acteurs ou de ses spectateurs ? Les années 80 recèlent d’exemples frappants de productions mises en avant par un succès public parfois exagéré, pour ne pas dire immérité. On ne souhaite donc pas aux choses étranges de croiser le destin de Dallas ou K2000. Ce serait très dur.
Enquête de quoi ?
Que cherche la série, au fond, nous faire peur, nous séduire, nous faire payer encore un an d’abonnement Netflix ? Voici une problématique, en guise de conclusion. Peut-on logiquement demander de la crédibilité, à défaut de réalisme, à une série dans laquelle après deux saisons de meurtres, de disparitions, d’arrestations et de la fermeture d’un laboratoire scientifique menaçant le monde, il n’y a toujours pas d’interventions de l’armée ? Mais où vont leurs impôts, à ces parents, et plus précisément ces pères de familles totalement dingues, qui laissent encore sortir leurs enfants à la cool, dans une région qui ferait passer la Vologne du petit Grégory pour le parc Astérix ? C’est peut-être de ce côté-là que l’avenir de la série sera, en cherchant peut-être un message à faire passer où à montrer encore plus de monstres à l’avenir. Il restera à se demander pourquoi, en 2019, autant de comptes du grand N rouge et de paires d’yeux la regarde autant, en s’écarquillant toutefois moins que ceux de Winona Ryder.
Stranger Things, saison 3 : bande-annonce
Stranger Things : Fiche technique
Distribution
Winona Ryder (VF : Claire Guyot) : Joyce Byers
David Harbour (VF : Stéphane Pouplard) : Jim Hopper
Finn Wolfhard (VF : Marie Facundo) : Mike Wheeler
Millie Bobby Brown (VF : Clara Soares) : Jane Hopper (née Ives) / Onze / Elfe
Gaten Matarazzo (VF : Kaycie Chase) : Dustin Henderson
Caleb McLaughlin (VF : Jennifer Fauveau) : Lucas Sinclair
Noah Schnapp (VF : Tom Trouffier) : Will Byers
Sadie Sink (VF : Clara Quilichini) : Maxine « Max » Mayfield
Natalia Dyer (VF : Alexia Papineschi) : Nancy Wheeler
Charlie Heaton (VF : Julien Crampon) : Jonathan Byers
Joe Keery (VF : Clément Moreau) : Steve Harrington
Dacre Montgomery (VF : Gauthier Battoue) : Billy Hargrove
Maya Hawke (VF : Emmylou Homs) : Robin
Titre original : Stranger Things
Création : Matt Duffer et Ross Duffer
Réalisation : Matt Duffer, Ross Duffer et Shawn Levy
Scénario : Matt Duffer et Ross Duffer
Direction artistique : Chris Trujillo
Décors : William G. Davis
Costumes : Kimberly Adams-Galligan et Malgosia Turzanska
Photographie : Tim Ives et Tod Campbell
Montage : Kevin D. Ross et Dean Zimmerman
Musique : Kyle Dixon et Michael Stein
Casting : Carmen Cuba
Production : Matt Duffer, Ross Duffer, Shawn Levy et Dan Cohen
Société de production : 21 Laps Entertainment
Société de distribution : Netflix
Pays d’origine : Drapeau des États-Unis États-Unis
Langue originale : anglais
Format : couleur
Genre : science-fiction, fantastique, drame, horreur
Durée : 45 – 65 minutes
Classification : Interdit aux moins de 12 ans ou 16 ans selon les épisodes.