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Peur sur pellicule : Godzilla ou le traumatisme nucléaire

Maxime Thiss Responsable Festival

Après la colère, place à la peur dans ce mois spécial sur le Mag du ciné. Si on aurait pu aisément s’attarder sur des figures du cinéma d’horreur, certains films d’autres genres ont su créer des personnages mythiques capables à eux seuls de personnifier une peur très précise. C’est ce qu’a fait dans les années 50, Ishiro Honda en donnant naissance au roi des Kaijus, Godzilla. Dans un Japon encore affecté par les bombardements de 1945, Honda cristallise toute cette terreur du nucléaire au travers d’un dinosaure cracheur de flammes.

Si aujourd’hui le gigantesque saurien est devenu une véritable icône du blockbuster américain, en témoigne le tant attendu Godzilla King of Monsters, il est important de rappeler que le monstre puise ses origines dans le cinéma japonais et notamment ce qu’on appelle le Kaiju Eiga. Signifiant littéralement film de monstres, le Kaiju Eiga est un genre typiquement nippon qui a fleuri dans les années 50, avec bien sûr la figure de Godzilla, mais également de Gamera la monstrueuse tortue, Rodan le ptérodactyle acolyte de Godzilla ou encore la grosse mite Mothra. Si au cours des années, le film de Kaiju va devenir un divertissement misant avant tout sur des affrontements entre colosses en latex, comme en témoigne la longue saga Godzilla où notre cher reptile va affronter des adversaires en tout genre allant du mythique dragon à 3 têtes King Ghidorah à Mechagodzilla (une version robotique de Godzilla) en passant par Hedora, créature répugnante née de la pollution, il a été avant tout ça un cinéma inscrit dans une période importante de l’histoire japonaise, celle du traumatisme post-Hiroshima/Nagasaki.

Alors que les bombes atomiques avaient causé entre 155 000 et 250 000 morts en 1945, la peur du nucléaire était encore dans tous les esprits en 1954, année de sortie du premier Godzilla. Avec ce film révolutionnaire, Ishiro Honda (qui restera longtemps rattaché au Kaiju eiga) donne vie au trauma au travers d’un monstre surgissant des profondeurs et semant le chaos dans la baie de Tokyo. Issu d’une légende provenant d’une île de pêcheur au large de la capitale nippone, Godzilla est en réalité réveillé par des essais nucléaires. Mais pas uniquement : la créature montre des signes de radioactivité dans son organisme, ce qui suggère qu’il serait le résultat d’expériences atomiques. Avec cette approche, Honda conjugue cette peur du désastre nucléaire au folklore japonais, montrant que ce danger n’est jamais très loin, et n’est parfois même pas étranger. Tandis que Godzilla piétine la métropole japonaise et que la population cède à la panique, l’armée nippone tente coûte que coûte de détruire le monstre à l’aide d’armes toutes plus sophistiquées les unes que les autres. C’est une véritable guerre qui prend alors place au sein de Tokyo, montrant une armée acculée par la force dévastatrice du monstre.

On pourrait sourire de certains effets de mises en scènes aujourd’hui, mais ils offrent une lecture intéressante avec le recul.  Godzilla étant interprété par un homme revêtu d’un costume en latex, tous les décors sont fait à partir de maquettes que l’acteur va pouvoir saccager avec plaisir. Certains plans montrant des véhicules militaires ne font d’ailleurs pas illusion une seconde et trahissent très vite le fait qu’il s’agisse de jouets. Effet peu coûteux pour l’époque, mais qui témoigne de l’impuissance de ces éléments face à la bête. Pour Godzilla, tous les chars d’assauts du monde ne sont en effet que des jouets inoffensifs. Alors que depuis la Seconde Guerre Mondiale, le Japon ne dispose plus que d’une armée servant à l’autodéfense, elle se retrouve ici incapable de remplir son devoir. Au travers de cette créature insurmontable, Honda exprime parfaitement la peur d’un peuple face à un envahisseur d’une nature inconnue comme l’ont été les bombes ayant ravagé Hiroshima et Nagasaki. Une force meurtrière inédite qui ne fait aucun distinguo entre militaires et civils.

Mais si l’armée est inoffensive face à Godzilla, la bête n’est pour autant pas invincible. Les armes étant devenues obsolètes, Honda offre au travers du personnage du docteur Serizawa, une nouvelle piste pour anéantir le monstre. Le scientifique a en effet mis au point une technologie d’un genre nouveau, répondant au nom de « Destructeur d’oxygène ». C’est au travers de cette invention que Honda pointe du doigt quelque chose qui peut s’avérer au final plus dangereux et plus terrifiant que Godzilla lui-même : le rôle de l’Homme dans la création d’engin de mort. Tout comme Godzilla issu d’essais atomiques, ce qui se cache derrière cette machine destructrice est bien l’esprit scientifique d’un homme, et tout cela renvoie encore et toujours à l’invention terrible de la Bombe A, sortie des cerveaux de plusieurs grands esprits, dont le plus connu reste Oppenheimer, regrettant son implication dans cette création. Au vu de tous ces éléments, Godzilla de Honda est une œuvre qui respire la peur, la peur d’un avenir incertain, la peur d’un monde où la course à l’armement prend des dimensions considérables. Si Godzilla est, au fil des longs-métrages, devenu un allié des hommes éliminant toute menace, il aura symbolisé tout ce climat anxiogène dans lequel s’était mué le Japon de l’après-guerre. Plus de 50 ans après, la figure mythique du plus célèbre des Kaiju aura connu une nouvelle résonance dans le film d’Hideaki Anno, Shin Godzilla, près de 5 ans après le terrible incident de la centrale Fukushima. Dans cette nouvelle itération du Kaiju, Anno pointe d’ailleurs du doigt la bureaucratie, seule responsable d’un incident dramatique qui aurait pu être évité.