Une fillette de 4 ans refuse le décès de sa maman et cherche à établir avec elle une forme de communication très personnelle. Dans ce film qui fit polémique, notamment à la 53eme Mostra de Venise (1996) décernant le prix d’interprétation à la toute jeune actrice, Jacques Doillon donne la parole aux enfants sur un sujet grave et difficile à traiter. L’œuvre pose une question importante : comment aborder le sujet de la mort au cinéma du point de vue des enfants sans exposer les petits acteurs à une épreuve psychologique ? Malaise pour certains, grâce pour les autres, Ponette est un film bouleversant qui agite des émotions contradictoires.
Un papa (Xavier Beauvois) et sa petite fille Ponette (Victoire Thivisol) discutent en voiture, filmés en gros plan dans un cadre très serré. Dès les premières minutes du film, le délicat sujet du décès de la maman est abordé. L’enfant pleure, interroge son père impuissant à la consoler, met des mots sur cette absence très douloureuse pour elle. Elle s’exprime avec tellement de justesse qu’une question s’impose très vite au spectateur, médusé par tant de naturel : y a-t-il du « vrai » dans le « jeu » de la petite fille ?
Jacques Doillon et Caroline Champetier, sa directrice de la photographie, se sont souvent expliqués sur ce sujet. La fillette a été castée parmi des centaines d’enfants de maternelle, auxquels on avait demandé de dessiner ce que signifiait pour eux la mort : « Au départ, je voulais filmer un documentaire sur la représentation de la mort chez les petits. » Beaucoup représentaient leurs grands-parents, leur poisson rouge, les vers de terre écrasés dans la cour de l’école…
Puis vint le moment des essais. Par deux fois, relate le metteur en scène, la future Ponette refusa de se prêter au jeu. Mais le dernier mercredi après-midi où elle était venue « passer des essais », elle sortit de son mutisme et surpassa ses petits camarades, laissant l’équipe et le réalisateur sans voix. Pour Doillon, la condition sine qua non était que les enfants expriment un réel désir de participer au tournage : « Victoire possédait l’envie de jouer, constante et nécessaire. »
Doillon évoque avec humour la manière dont la fillette l’avait lui aussi « casté » en tant que réalisateur. Lors d’une rencontre chez elle, avec ses parents, décidée à lui faire découvrir son univers, elle lui avait présenté toutes ses poupées et raconté sa vie de petite fille. Façon de lui donner son feu-vert.
« À hauteur d’enfant »
Dans un centre de vacances à la montagne, de jeunes enfants mènent leur petite vie en attendant le retour de leurs parents en fin de semaine. Nous sommes plongés dans les histoires de Matiaz, Delphine, Ada, Antoine… Parmi eux se trouve Ponette, habitée par l’absence de sa maman. Leur microsociété s’organise en groupes hiérarchisés, le clan des filles et celui des garçons. Émerveillés, nous observons ces petits êtres, candides et tout neufs, échanger des gestes de tendresse et des baisers réconfortants. Nous les écoutons parler de l’amour et de la mort, thèmes chers à Doillon, qui a décidément un talent fou pour filmer la jeunesse et l’enfance.
Bien que la plupart des dialogues soient très écrits, la spontanéité des petits et leur facilité à entrer dans le jeu font oublier les discours d’adultes sous-jacents. Doillon explique d’ailleurs que son enfance lui est revenue en mémoire en les écoutant parler : lui aussi a eu quatre ans… il y a fort longtemps !
Pour ne pas déranger les petits, il fallait parfois les filmer au téléobjectif, zoomant au maximum sur leur visage, capturant en douceur leurs expressions et leurs mimiques. Caroline Champetier évoque une scène au cours de laquelle l’équipe et le matériel avaient presque été « enterrés » pour être à « hauteur d’enfant »… Une fois qu’ils avaient admis l’idée du tournage, le matériel pouvait être visible : rails, caméra, appareils de toute sorte, exposés à leur vue.
D’un point de vue purement cinématographique, le contraste est saisissant entre la gravité du propos et l’étrange douceur émanant du film. Celle-ci étant étroitement liée à la fraîcheur de cet âge béni, mais aussi aux nombreuses scènes d’extérieur, à la palette de couleurs automnale et la lumière naturelle.
Quant aux textes, denses et souvent d’une grande intensité dramatique, Doillon explique qu’ils étaient répétés par les enfants la veille de chaque jour de tournage. A cet âge, aucun problème de mémorisation. Tout semblait couler de source et, bien que la direction d’acteurs soit virtuose, on a effectivement l’impression d’une improvisation quasi constante à l’écran.
Une œuvre pessimiste ?
Dans La Vie de famille, La Fille de quinze ans, La Pirate, La Drôlesse, Le Jeune Werther… Doillon avait déjà parlé de l’enfance et de l’adolescence, mais jamais fait jouer d’enfants aussi jeunes. Pour aborder le thème de la mort, il fallait qu’ils aient environ trois ans et demi au moment du casting et à peine quatre ans pendant tournage. Au-delà de cet âge, leur questionnement et leur réflexion sur ce sujet, passage obligé de leur développement guidé par les adultes, aurait faussé, voire inhibé leur jeu.
« A 6 ans, explique le metteur en scène, les enfants se sociabilisent. Ils acceptent les compromis, se résignent et savent la mort inévitable. A 4 ans, en revanche, ils restent sur les terrains de l’obstination et du refus, où ils se montrent beaux. Bien plus beaux que nous. »
C’est ce que dit le film. Aucune explication des adultes ne suffit à Ponette. Personne n’est en mesure de la convaincre qu’elle ne reverra pas sa maman. Telle une minuscule Antigone, elle dit non à tout et à tout le monde du haut de ses 4 ans.
Doillon la « cueille » aux prémices de ses pensées sur la mort et les questions relatives à la religion : qui est Dieu-tout-Puissant ? Est-ce que sa maman la voit ? Pourquoi n’a-t-elle pas de signe de sa présence ? Est-ce qu’elle l’aime toujours ? Est-ce qu’elle la reverra ?
Contrairement aux apparences, Ponette n’est pas un film sombre. Comme l’explique Doillon : « Dans Jeux interdits, de René Clément, la fillette ne cesse d’enterrer de manière symbolique ses parents. Ponette explore le contraire. Victoire, si vivante, si ardente, déterre. » Une scène la montre effectivement en train de gratter la terre de ses petites mains, espérant en faire surgir sa mère. Et le cinéaste de conclure : « J’adore les gens qui savent dire non. Ponette, c’est l’histoire d’un enfant qui dit non à la mort et oui à la vie. »
L’enfant acteur ?
Comment faire parler un enfant de la mort sans le rendre triste ? Filmer ses émotions sans se « servir de lui » ? Lui faire dire des textes difficiles sans susciter chez lui une réelle douleur ou risquer de provoquer des tourments inutiles ? Bien sûr, ces interrogations sont légitimes, mais n’oublions pas que les enfants eux aussi se posent des questions graves et cherchent, entre eux et à leur manière, à y répondre. Doillon n’évite pas la difficulté. Au contraire, il l’affronte et s’engage avec respect dans la discussion. « Une psychanalyste suivait les enfants. Si elle m’avait demandé d’arrêter, je l’aurais fait tout de suite. »
Victoire/Ponette, qui porte le film sur ses frêles épaules, est souvent filmée en téléobjectif. Son joli visage en gros plan, grave et émouvant, parfois baigné de larmes, en dit long sur le bouillonnement émotionnel qui l’envahit. C’est aussi pour cela qu’elle a été choisie parmi des centaines d’enfants. Elle portait en elle une certaine gravité. Et ajoutons une indéniable cinégénie.
Un dénouement entre poésie et mysticisme
Ponette reste persuadée qu’elle retrouvera sa maman et met tout en œuvre pour apaiser sa douleur. Exactement comme nous, adultes, le ferions à sa place. Elle lui parle, l’attend dans ses rêves, est à l’affût du moindre signe de sa « présence », ne peut aller jouer avec ses petits amis au cas où elle surgirait sans prévenir… Et il fallait bien qu’elle revienne au moins une fois, cette maman tant aimée.
Dans la scène du dénouement qui prend une dimension à la fois mystique et poétique, elle apparaît à sa petite fille venue lui « parler » sur sa tombe, sous les traits de Marie Trintignant, enceinte au moment du tournage. Quelle drôle de situation pour incarner une défunte ! Chacun voit ce qui lui plait dans ce passage du réalisme au songe : une croyance, une consolation, un geste divin… Doillon, lui, explique qu’il ne pouvait pas laisser son petit personnage tout seul avec sa douleur, beaucoup trop encombrante pour elle. Sans doute voulait-il l’aider à surmonter l’épreuve du deuil impossible à faire, tout au moins lui offrir un chemin possible vers l’apaisement.
Ponette : Fiche technique
Réalisation : Jacques Doillon
Scénario : Jacques Doillon
Image : Caroline Champetier
Musique : Alain Sarde
Son : Jean-Claude Laureux, Dominique Henniequin
Décor : Henri Berthon
Montage : Jacqueline Lecompte
Production : Les films Alain Sarde, Rhône-Alpes Cinéma
Distribution : Bac Films
Genre : Drame psychologique
Durée : 1 h 37
Sortie : France 1996
Interprétation :
Victoire Thivisol / Ponette
Delphine Schiltz / Delphine, la cousine
Matiaz Bureau Caton / Matiaz, le cousin
Xavier Beauvois / le père
Léopoldine Serre / Ada
Claire Nebout / la tante
Marie Trintignant / la mère