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Capture d'écran Network lumet film classique-critique

« Network, main basse sur la télévision » : petite lucarne, grand vacarme

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

C’est un alliage idoine : le scénariste Paddy Chayefsky et le réalisateur Sidney Lumet posent un regard outré sur les grands réseaux télévisuels. Tout en répertoriant les travers de la petite lucarne, ils donnent vie à des personnages passionnants et corps à des séquences où le verbe apparaît chargé au cyanure.

Au départ de Network, main basse sur la télévision, il y a un script défendu bec et ongles par le scénariste Paddy Chayefsky. Après une première tentative avortée d’inspection de la petite lucarne – à travers la série The Imposters –, ce dernier chercha à convaincre les studios, quelque peu réticents, de s’engager à ses côtés dans une charge pamphlétaire contre la télévision. Le hic, c’est qu’il s’agit pour Hollywood de mordre le bras qui le nourrit en diffusant ses productions dans tous les foyers d’Amérique. Qu’importe, Sidney Lumet est finalement désigné pour mettre en images la satire de Chayefsky. Il place sa caméra partout où apparaissent les perversions du tube cathodique : sur le plateau du journal télévisé, en régie, dans les assemblées d’actionnaires, au cœur d’une réunion de programmation, en salle de maquillage, dans les bureaux des journalistes, parmi les capitaines d’industrie présidant aux destinées des grands réseaux… Du présentateur transformé en prédicateur grotesque aux cadres d’entreprise opportunistes sans oublier les extrémistes d’une obscure Armée de libération, chaque rouage de la machine télévisuelle fait l’objet d’une auscultation minutieuse, sur laquelle est fermement apposé le fanion de la médiocrité.

Howard Beale (remarquable Peter Finch) s’impose dès les premières minutes comme la clef de voûte du récit. Après onze années de bons et loyaux services, il est remercié en raison d’audiences insatisfaisantes. Alors qu’il annonce aux téléspectateurs sa vacance prochaine, il ajoute – sans même que ses collègues n’y prêtent attention – qu’il se suicidera quelques jours plus tard en direct à la télévision. Ses propos provoquent un tel séisme médiatique que l’audimat grimpe en flèche, ce qui pousse la direction d’UBS à le maintenir à l’écran. Ce n’est qu’un premier pas sur la voie de l’opportunisme : Diana, la directrice des programmes, campée par une excellente Faye Dunaway, voit la télévision et l’information comme une sorte de « showbiz » mue par un « sens de la mise en scène » ; elle envisage de recruter des « écrivains » pour rendre plus télégéniques encore les « jérémiades » de Beale, lequel crie désormais son ras-le-bol dans des émissions taillées à sa mesure, où le sensationnalisme le dispute à une forme de populisme qui semble annoncer Donald Trump avant l’heure ; le conglomérat CCA, plus intéressé par les chiffres de rentabilité que par la véracité des faits, plus rigoureux dans sa comptabilité qu’envers son public, se frotte les mains à l’idée de jeter en pâture, tous les soirs, une mascotte démentielle portée aux nues par le New York Times. Diana avait annoncé de façon prophétique : « Je veux des émissions virulentes. » Sidney Lumet va en définir les contours et identifier les limites.

Network, main basse sur la télévision sonne la vengeance d’Hollywood sur la télévision. Avec quatre Golden Globes et dix nominations aux Oscars, c’est peu dire que le film décortique la petite lucarne avec talent et fracas. Comme La Valse des pantins, The Truman Show ou Night Call, il s’intéresse aux revers de médailles et à l’influence grandissante des médias sur nombre d’individus grégaires, mégalos ou cupides, à l’intérieur comme à l’extérieur des structures télévisuelles. Sidney Lumet part d’un postulat quasi enfantin : quand une responsable des programmes est en mesure de monnayer 100 000 dollars ou plus la minute d’antenne, l’union entre la presse et l’industrie finit par souffrir de sa propre toxicité. Cette « dépravation des bas-fonds » est d’autant plus regrettable que la télévision s’est imposée en quelques décennies comme la première (la seule ?) source d’information du grand public. Howard Beale l’annonce d’ailleurs lui-même : « la télévision est l’évangile », « la force la plus redoutable », dans une société où les livres et les journaux ne touchent plus que quelques irréductibles. Occupé à dénoncer les travers du tube cathodique, Sidney Lumet n’en oublie pas ses personnages, eux-mêmes porteurs des tares attribuées au médium. Beale est un « prophète en colère qui dénonce les hypocrisies », un « dieu instantané » exhortant les foules à la révolte, mais aussi, dans ses caractérisations les plus pathétiques, quelqu’un qui occupe l’antenne trempé et en pyjama sous un imperméable gris. Diana et Max (William Holden) pensent les relations de couple comme un scénario télévisé. Ce dernier ne se montre même pas importuné lorsque sa maîtresse le berce de litanies télévisuelles pendant une partie de jambes en l’air. Quant au manager Frank Hackett (Robert Duvall), il personnifie à lui seul un monde médiatique vampirisé par l’argent.

Presque toute la première partie de Network est filmée sous forme de huis clos. En plus d’une caméra intrusive, c’est la ronde des personnages et le débit des dialogues qui nous aident à sonder et mieux appréhender le microcosme télévisuel. Une succession de séquences montrera alternativement les tractations inavouables du petit écran – avec des terroristes par exemple –, les créatures prométhéennes échappant à leurs créateurs, la finance sans patrie, les multinationales tentaculaires ou encore la planification glaçante d’un assassinat décrété… par l’audimat. Si la mise en scène fait toujours sens, et notamment à l’occasion d’une conversation entre Howard Beale et son supérieur en plongées-contreplongées et clairs-obscurs, c’est avant tout le texte de Paddy Chayefsky qui confère au film ses meilleurs atouts. La séquence finale, où les sons des téléviseurs apparaissent entremêlés dans un brouhaha incompréhensible, représente à merveille ce que le scénariste américain aspire à dénoncer : une cacophonie se signalant aux sens et aux émotions, mais butant dès lors qu’il s’agit de former et d’informer.

Bande-annonce : Network, main basse sur la télévision

Synopsis : Un présentateur de JT dont l’audience est en berne est renvoyé après onze années de bons et loyaux services. Il évoque son suicide en direct à la télévision, quelques jours avant de tirer sa révérence. Ses propos lui valent une notoriété nouvelle. Le conglomérat qui l’emploie va alors revoir ses plans et instrumentaliser sa démence…

Fiche technique : Network, main basse sur la télévision 

Titre original : Network
Titre français : Network : Main basse sur la télévision
Réalisation : Sidney Lumet
Scénario : Paddy Chayefsky
Décors : Philip Rosenberg et Edward Stewart
Costumes : Theoni V. Aldredge
Photographie : Owen Roizman
Montage : Alan Heim
Musique : Elliot Lawrence
Production : Fred C. Caruso et Howard Gottfried
Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer
Société de distribution : United Artists
Budget : 3 800 000 $
Pays d’origine : États-Unis
Langue : anglais
Format : Couleurs – 35 mm – Son mono
Genre : Drame
Durée : 120 minutes

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4.5
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