En réalisant Les Vestiges du jour, James Ivory offrait un rôle remarquable à Anthony Hopkins, où celui-ci excelle dans la pudeur, le désir inassouvi. Casting 4 étoiles pour une œuvre profonde, qui cherche à retranscrire ce qu’un homme peut subir malgré lui, par souci de discipline, et d’un trop grand sens de l’éducation, du raffinement.
Cette critique contient quelques éléments qui dévoilent l’intrigue et sa finalité.
Voici un film remarquable sur l’incommunicabilité. L’introduction appelle à une possible escapade, une porte de sortie, peut être un renouveau, avant même le développement de l’histoire principale. Elle indique une fin qui pourrait donner du relief à l’ensemble. Mais tout restera linéaire, se terminera en boucle, avec une fatalité tragique. L’intrigue ne sera pas dénouée. La rencontre attendue entre les deux héros qu’une parenthèse. Le protagoniste central, joué par l’épatant Anthony Hopkins, est victime de ses fonctions, de son savoir-vivre et pareil à un homme catatonique : il a beau s’exprimer, c’est comme s’il ne disait rien. C’est un être formel et anhédonique (incapacité à ressentir du plaisir), victime d’alexithymie (difficulté à reconnaitre ses émotions et celles des autres). Tout est signifiant (et insignifiant) mais quasi rien n’est signifié. Il n’y aucun sous-entendus marquants, peu de langage du corps. Il vit sans fougue, dans une sorte d’abolition des passions possibles. C’est la façon dont il conçoit son rôle de majordome qui fait autorité chez lui, et qui bâillonne ses aspirations, son individualité, ses envies, son identité, sa personnalité qui ne peut s’affirmer, se libérer, respirer, étant comme soumise à sa classe sociale. Avec la progression du nazisme en toile de fond, sa neutralité ne le rend ni bon ni mauvais. On ne peut attendre une réaction de sa part, juste de la discipline. On sent pourtant chez lui un espoir, l’attente d’une récompense, mais elle ne peut arriver que s’il devient acteur et non spectateur de sa propre vie. C’est une passivité chronique. Une scène clef montre le personnage d’Emma Thompson se rapprocher à un centimètre de lui avec espièglerie (la distance de l’intime, de la vie privée, de l’insécurité.) Il se retrouve alors vulnérable. Elle constate qu’il lit des romans à l’eau de rose, ce qui prouve qu’il vit par procuration sur le sujet. L’œuvre agit donc comme une focale, sur un milieu d’abord, mais surtout et avant tout sur une solitude perpétuelle, et refuse d’être une simple fresque historique. Elle fait penser, dans une époque plus contemporaine, à Un cœur en hiver de Claude Sautet, qui renvoie à la même lecture psycho-affective. Par son compte rendu implacable sur les conséquences de la démystification de l’union, de la romance, Les Vestiges du jour finit par être un hymne à l’amour. Le héros regardera, avec mélancolie, un pigeon prendre son envol, symbole d’une liberté qu’il n’aura jamais eue, en ayant conscience de tout ce qui lui a échappé.
Bande-annonce – Les Vestiges du jour
Synopsis : Les doutes et les tourments du majordome d’une grande famille anglaise qui, en 1956, après trente années de parfait service, se demande s’il n’a pas gaspillé sa vie.
Fiche Technique – Les Vestiges du jour
- Titre original : The Remains of the Day
- Distribution : Anthony Hopkins, Emma Thompson, James Fox, Christopher Reeve, Peter Vaughan
- Réalisation : James Ivory
- Scénario : Ruth Prawer Jhabvala, d’après le roman de Kazuo Ishiguro
- Image : Tony Pierce-Roberts
- Musique : Richard Robbins
- Son : Colin Miller Dolby stéréo
- Montage : Andrew Marcus
- Production : John Calley, Ismail Merchant et Mike Nichols
- Pays de production : Royaume-Uni et États-Unis
- Format : 2.35:1 Couleurs par Technicolor
- Genre : drame et romance
- Durée : 134 minutes
- Date de sortie : États-Unis : 5 novembre 1993 ; France : 23 février 1994