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Romy Schneider chez Claude Sautet : une femme et toutes les autres

Née à Vienne, hantée par Sissi, Romy Schneider a magnifié dès ce premier grand rôle celle qu’on aurait dû réussir à aimer. Chez Claude Sautet, un rustre sensible qui n’arrivait pas à rendre populaire ses polars, elle est devenue en 5 films bien plus qu’une femme. Elle a été toutes les autres.

Les choses de la vie (1970)

Synopsis : Au volant de sa voiture, Pierre, architecte d’une quarantaine d’années, est victime d’un accident de la route. Éjecté du véhicule, il gît inconscient sur l’herbe au bord de la route. Il se remémore son passé, sa vie avec Hélène, une jeune femme qu’il voulait quitter, sa femme Catherine et son fils…

« Comment on dit en français, ce mot, quand on raconte des histoires ?

_Affabuler »

Quand Romy Schneider se retourne dans cette chambre d’hôtel vers Michel Piccoli pour lui poser cette question, on attendrait « baratiner » pourquoi pas « des conneries » ou un autre verbe moins perché. Mais c’est affabuler qui résonne par la voix pleine d’assurance de Michel Piccoli. L’élévation du langage referme aussi des portes : Adieu les polars et les princesses, pour Claude Sautet comme pour celle qui deviendra l’icône de son âge d’or pompidolien. La série de drames humanistes, honnie par une belle frange des cinéphiles, les Cahiers du Cinéma période Maoïste en tête, est donc née aussi par cette rencontre unique comme toutes les autres. Romy Schneider chez Claude Sautet, cela n’a jamais été une évidence, pour l’un comme pour l’autre, et c’est dans cette précieuse banalité des choses de la vie que naissent des regards et un visage. Celle ici d’une femme interpellée par le long monologue intérieur d’un mourant, ayant loupé une simple sortie sur une petite départementale, où l’on croise tout de même un Boby Lapointe penaud d’avoir causé un accident iconique du cinéma français. Dans ce film Romy Schneider est un souvenir, qu’elle hante du charme qu’on ne voulait pas encore voir au cinéma, celui des femmes de tous les jours. Elle y chantera même la chanson d’Hélène, sur le beau thème de Philippe Sarde, au risque d’en faire trop, mais heureusement presque faux, sans effets, dans son plus beau naturel.

Max et les ferrailleurs (1971)

Synopsis : Un policier décide d’arrêter une bande de malfrats amateurs. Il leur tend un piège afin de pouvoir les surprendre en flagrant délit.

Lily est une jeune prostituée allemande par laquelle Max, incarné par Michel Piccoli, infiltre la bande qu’il cherche à faire coffrer. D’une relation née encore une fois dans une chambre d’hôtel, elle devient la prostituée après avoir été la maîtresse, celle qu’on prend en photo, dont on est fier d’être l’amant, mais qu’on ne marie toujours pas. Elle peut être plus maquillée et souriante, elle reste utilisée par un homme qui ne la voit toujours pas vraiment. Penaud, maladroit, agressif parfois, Max interpelle l’empathie de tous pour celle qu’on n’arrive pas encore à aimer. Lily y apparaît naïve, dans un monde de gros bras, qu’on appellerait volontiers des beaufs : en 1971, ces personnages-là n’osent pas voir Romy Schneider comme une des leurs, même quand la mise en scène lui cheville au corps bien plus fermement que l’année d’avant.

César et Rosalie (1972)

Synopsis :L’histoire d’un trio amoureux et d’une amitié naissante. César aime Rosalie. César est à l’aise en société, plein d’entrain et dirige une société de ferrailleurs. Rosalie, restée très proche de sa famille, partage sa vie avec César. Et il y a aussi David, un artiste qui fut autrefois l’amant si cher au coeur de Rosalie. Les deux hommes, qui se disputent la même femme, finissent par devenir amis…

César aime Rosalie, qui aime David, aussi. Le triangle amoureux est beau comme une vis sans fin, a donné de grands films mais restera pendant encore de longues années comme un des motifs narratifs les plus compliqués à utiliser. Entre Sami Frey et Yves Montand, elle se retourne encore quand on l’interpelle, rayonnante, se met en colère, hurle contre ces hommes qui dans toutes leurs manières ne la comprennent toujours pas. Claude Sautet ajoute deux amants à ce panel d’amoureux manquant encore Romy Schneider, les bras ballants.

Mado (1976)

Synopsis : Du jour au lendemain, Simon Leotard, un promoteur immobilier, se retrouve ruiné par Lepidon, un concurrent véreux. Ce dernier lui réclame le remboursement des traites qu’il a consenties à son associé. Julien, qui vient de se suicider sans explication. Grâce à Mado, une jeune prostituée dont il tombe amoureux, Simon se venge de Lepidon.

Dans un monde où les hommes ont encore besoin des femmes pour les utiliser, le personnage d’une Mado est bien commode pour venger le copain qui vient de se suicider. De cette femme du titre, on n’en saura pas plus que la Lily qui aurait aussi pu donner son nom à Max et les ferrailleurs, dans une trajectoire toute similaire. Romy Schneider ici est celle qu’elle aurait pu devenir, seule, alcoolique, plus libre en tout cas, notamment de passer pour une scène inutile, surtout dans un film de plus deux heures et quart. Mais qui oserait dire aujourd’hui qu’elle n’aurait pas dû exister ? C’est ici peut-être qu’on comprend mieux son passage dans le cinéma de Claude Sautet, l’ange déchu personnifiant le drame de cette société que le cinéaste a radiographiée, mais peut-être pas vraiment aimée.

Une histoire simple (1978)

Synopsis :Marie élève seule son fils adolescent. Sa relation avec Serge s’étiole, et elle décide de le quitter et de ne pas garder l’enfant qu’elle attend de lui. Elle finit par se rapprocher de George, son ex-mari alors qu’en même temps, les amis de Marie ont chacun leurs propres soucis à régler.

Romy Schneider avait signé en Allemagne l’équivalent du manifeste des 343, se prononçant pour l’avortement libre et gratuit. 3 ans seulement après la Loi Veil, le film de femmes qu’elle voulait et avait réclamé au cinéaste couronne la trajectoire d’une actrice devenue un grand personnage pour 5 films qu’elle a transfigurés. Une histoire simple répond évidemment aux Choses de la vie et parle aux hommes, à la société qu’elle a traversée et à celles à qui elle passera le relais. Bien plus qu’un étendard de figures féministes, elle symbolise ici la banalité du bien, celui qui permet enfin, en une petite décennie, de tomber amoureux d’une femme de tous les jours, telle que le cinéma de Claude Sautet a fini par l’accepter. Il a fallu 4 films pour qu’elle soit et reste une femme qu’on quitte encore par un triste suicide, mais qui décide de garder un enfant, seule, en regardant un plan de cinéma les yeux dans les yeux. Tant pis pour les mariages, il restera encore beaucoup de façons de l’aimer pour de bon.