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La Prisonnière du désert : l’obscurité en couleurs

La Prisonnière du désert est sûrement l’un des westerns (hors ceux de Leone) les plus connus, tant son influence et sa force l’ont rendu iconique. Un western en couleur au milieu des années 50 comme Johnny Guitare, mais cela demeure le seul lien entre les deux films. Car ici les couleurs ne viennent pas chanter la beauté de Joan Crawford, mais bien contraster avec violence et cruauté l’un des films les plus sombres de John Ford.

Synopsis : Ethan, ancien soldat confédéré, rentre chez son frère et sa famille trois ans après la fin de la Guerre de Sécession. Peu de temps après son retour, et alors qu’il n’est pas sur place, des Indiens comanches attaquent la famille de son frère, tuant les parents et leur fils, et enlevant leurs deux filles, Lucy et Debbie. Ethan part donc à la recherche de ses nièces, accompagné du fils adoptif de la famille, Martin, possédant du sang cherokee.

La fin d’une ère

C’est amusant de voir combien de fois le genre du western est « mort ». Avec La Prisonnière du désert, c’est l’image du cow-boy comme héros sans reproches qui est enterré. L’Homme qui tua Liberty Valance et Coups de feu dans la Sierra viendront quant à eux enterrer, littéralement cette fois-ci, les acteurs qui ont fait la légende du genre, afin en quelque sorte de tirer le rideau d’une époque révolue. Mais vinrent ensuite les fameux « westerns spaghettis » qui ressuscitèrent pour un temps cette figure du héros inflexible et inspirant, avant que des films comme John McCabe ou Little Big Man ne décident de refermer le livre du Grand Ouest comme épopée magnifique et sans bavures. En y ajoutant, non pas de la nostalgie, mais du réalisme sur une époque pas si luxuriante.

Revenons ainsi à La Prisonnière du désert, et plus particulièrement à son refus de manichéisme. Si la représentation des Indiens pose pour certains problème, comme nous le verrons par la suite, celle des Blancs n’a pas non plus pour but de les montrer exemplaire. John Wayne quitte ici son rôle habituel de John Wayne, sympathique et serviable, pour jouer Ethan, un cowboy violent et raciste semblant inadapté au monde qui l’entoure.

Le racisme

John Wayne n’a jamais caché son ressenti envers les Amérindiens, ces derniers ayant selon lui mérité leur massacre car ils auraient refusé de partager leurs terres, devenant des menaces. Les noirs non plus n’étaient pas à son goût car « pas formés au point de pouvoir exercer des responsabilités ». Et puis que dire de son analyse de Midnight Cowboys, parlant d’amour « sain » que Dieu à donner en comparaison à l’histoire de deux « fags ». Avec un tel acteur principal, et l’attitude guerrière des Indiens dans le film, la question du racisme peut se poser.

Subsiste ainsi une ambiguïté sur le caractère raciste du film de John Ford. Il n’est pas ici question de justifier une forme de haine, quelle qu’elle soit, simplement de soulever une interrogation. Dans le film, les Indiens enlèvent des enfants pour les élever, des femmes pour les épouser, et tuent les hommes. L’histoire racontée dans le film est d’ailleurs inspirée d’une histoire vraie ayant eu lieu en 1836 au Texas.

Ces comportements peuvent être retrouvés dans Little Big Man d’Arthur Penn qui a lui été réalisé avec l’aide de descendants des nations Cheyenne et Stoney. Le film est même considéré comme un tournant dans le western, présentant (enfin) les Indiens comme victimes de la conquête de l’Ouest et non comme des sauvages dont il faudrait absolument se débarrasser.

Il n’empêche que les comportements cités plus haut sont nuancés dans Little Big Man par une représentation plus légère, à l’image du moment où Jack retrouve sa femme enlevée devenue épouse indienne. Le film de Ford paraît de son côté idéologique avec cette ferme sans bétail représentant l’Amérique blanche lâchement attaquée par les « primates à la peau rouge » (pour imager). Ici, contrairement à Little Big Man, les Indiens sont uniquement montrés comme agressifs ou idiots. Le pire reste la scène des femmes blanches récupérées par l’armée dans les camps indiens : si un enlèvement est évidemment une expérience traumatisante, le jeu horrible des actrices se veut être la preuve d’un véritable lavage de cerveau, ce que confirme Ethan : « They ain’t white anymore, they’re Comanches ».

Ce serait donc la représentation des Indiens qui poserait problème, et non leurs pratiques. Ils apparaissent ainsi comme une menace pour le bien-être de l’homme blanc, représentation qui se fera dès lors plus rare dans le paysage cinématographique, du fait d’un début de prise de conscience générale sur l’horreur qu’ont vécue les indigènes. Les Indiens commenceront même à arrêter d’être joués par des Blancs avec du fond de teint.

L’approche de la question par John Ford est néanmoins très différente de ce qui sera perçu par la suite, avec une opinion à contre-courant de ce que le public veut, c’est-à-dire voir des Indiens se faire tuer.  Ford croit au contraire en la dignité et au respect de la culture du peuple amérindien, en montrant ses pratiques et en dénonçant même le massacre de camps indiens pacifiques par les soldats. choses qui auraient pu changer les mentalités de l’époque plus rapidement, sans avoir à attendre 20 ans de plus.

Le film ne serait donc pas raciste, de par son anti-héros loin d’être irréprochable et tout aussi loin de l’image du cow-boy de l’époque, auxquels s’ajoute la véritable envie de bien faire de Ford, confronté à un public qui n’aurait sûrement pas été prêt.

Un désert sauce chef-d’œuvre

Et quand bien même le film serait aujourd’hui considéré par certains comme problématique, en quoi cela empêcherait-il La Prisonnière du désert d’être considéré comme un chef-d’œuvre absolu, tant sa forme exulte et brille de mille feux ?

La réalisation retranscrit parfaitement ce désert qui emprisonne nos deux chercheurs, avec des plans sublimes dont celui que l’on garde forcément en tête à la fin du visionnage, à savoir John Wayne dans cet encadrement de porte, face à l’immensité du désert qui représente son avenir dans ce monde qu’il ne maîtrise plus. C’est en cela que la photographie en couleur de Winton C. Hoch est formidable, car elle crée un contraste permanent entre la vie des couleurs et la mort ambiante, entre l’espoir d’Ethan de retrouver Debbie et son désir de la tuer lorsqu’il la retrouve « endoctrinée ». Ce n’est pas une aventure, c’est le requiem d’un vieil homme qui ramène sa nièce au-delà de sa haine pour les Indiens, qui permet à Martin, un sang-mêlé, de retrouver sa fiancée, et qui doit désormais laisser le monde à ceux qui sauront y être heureux. Une sorte de « No Country for Old Men » mais dont l’horizon se veut radieux.

Enfin, que dire de John Wayne, ici loin de sa figure du gentil cowboy un peu macho et alcoolique mais qui ne veut que le bien de son prochain. Non, la figure est ici sombre et froide, parfaitement incarnée par Ethan prêt à tuer sa nièce car elle n’est selon lui plus assez blanche. Au-delà d’une crainte du métissage, c’est aussi le crépuscule d’une époque, celle du cow-boy héros face à une horde d’Indiens sanguinaires. Certaines mauvaises langues diraient que le rôle était taillé sur mesure, d’autres reconnaîtront qu’il s’agit de la meilleure performance d’acteur de « The Duke » qui trouve ici un rôle complexe, lui permettant de montrer son talent tragique. Salaud, on t’aime.

La Prisonnière du désert – Bande-annonce :

La Prisonnière du désert – Fiche technique :

Réalisation : John Ford
Scénario : Frank S. Nugent (d’après le roman d’Alan Le May)
Photographie : Winton C. Hoch
Genre : western
Casting : John Wayne, Natalie Wood, Jeffrey Hunter
Pays d’origine : Etats-Unis
Durée : 118 minutes
Année de sortie : 1956

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