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The Hunchback of Notre-Dame : deux adaptations pour poids lourds par Worsley et Dieterle

The Hunchback of Notre-Dame sont deux adaptations de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ; un roman revisité par Worsley et par Dieterle. Lon Chaney et Charles Laughton, tous deux très engagés dans ces films, incarnent de façon bouleversante le rôle de Quasimodo.

Selon les adaptations du roman français de Victor Hugo, le titre peut changer :  le titre anglo-saxon s’attache au personnage de Quasimodo, le bossu de Notre-Dame, The Hunchback of Notre-Dame. Dans les adaptations de Worley et Dieterle, les cinéastes mettent en avant leur source d’inspiration : le roman de Victor Hugo. Dans son générique sur fond de vitrail, Worsley fait d’emblée référence à l’auteur « VICTOR HUGO’S CLASSIC » avant que n’apparaisse le premier carton « Notre-Dame, the Cathedral Church of Paris. » (Une représentation de Notre-Dame figure à côté du carton). Chez Dieterle, le générique se déroule au son des cloches et de chants religieux. La référence à Hugo est également immédiate « RKO Pictures INC presents Victor Hugo’s immortal Classic : The Hunchback of Notre-Dame (sous titré Quasimodo) ». Puis apparaît le nom de l’interprète principal « Charles Laughton as The Hunchback » (seul comédien et personnage mentionné en début du générique). Ici, nous sommes en présence de trois références : le titre de la traduction anglo-saxonne de l’oeuvre originale, un sous-titrage qui indique dès le générique le prénom de Quasimodo, promu personnage principal de l’oeuvre et le nom de l’acteur qui interprète ce personnage. Dans le roman, le personnage de Quasimodo est fortement lié à celui de l’archidiacre de Notre-Dame, Claude Frollo, qui a décidé d’adopter Quasimodo, enfant laid et difforme trouvé sur le parvis de l’église et qui avait été laissé par des bohémiens à la place d’une merveilleuse petite fille, Agnès, qu’ils avaient enlevée. Le personnage de Claude Frollo dans le roman est un personnage complexe : il a la vocation de la prêtrise mais il est montré aussi dans sa condition d’homme. Il a la charge de son frère, Jehan, depuis la mort de ses parents. C’est en pensant à son frère qu’il recueille Quasimodo. Jehan, dans le roman, finira par se faire truand. Il mourra lors de l’attaque de la cathédrale, de la main même de Quasimodo, son frère adoptif. Claude Frollo comme Quasimodo deviennent amoureux de la jeune Agnès qui passe pour gitane et qui a pour nom Esmeralda ; Claude Frollo se détournant de son fils adoptif, c’est elle qui viendra devant tous assouvir la soif de Quasimodo sur le pilori. Dans « Une larme pour une goutte d’eau », Hugo nous décrit le supplice infamant du pilori « il régnait autour des marches infâmes du pilori un tel préjugé de honte et d’ignominie qu’il eût suffi pour repousser le bon Samaritain ». Cette vision infamante se trouvait déjà dans l’oeuvre de Chrétien de Troyes : Le Chevalier à la Charrette (Lancelot), écrite entre 1177 et 1181 : « A l’époque, on utilisait les charrettes Comme l’on use du pilori de nos jours. […] on jugeait De la sorte les charrettes, comme des choses cruelles, Que l’on entendit pour la première fois : « Quand charrette verras et rencontreras. Fais sur toi le signe de croix et souviens-toi de Dieu, pour que malheur ne t’arrive point ». Au cinéma, la notion d’injustice et d’humiliation l’emporte sur celle d’infamie. Chez Worsley, Quasimodo est enchaîné au pilori et tire sur ses chaînes de façon désespérée. Les bourreaux le fouettent d’un air sadique et la foule se réjouit de ce spectacle. Après le supplice du fouet vient celui du pilori, position humiliante pour le condamné. Jehan n’intervient pas dans cette séquence, ce qui montre la noirceur du personnage qui ne considère Quasimodo que comme son « esclave ». Au contraire Dom Claude monte sur l’instrument de torture, une fois le châtiment terminé, et détache les liens de Quasimodo. Par ce geste, il montre sa compassion envers ce dernier.

Dieterle a situé le châtiment Place de Grève. Le peuple hue Quasimodo, seuls les ouvriers de Notre-Dame et Gringoire s’indignent de son sort. Ce dernier désirera intervenir auprès du juge pour cesser le supplice de Quasimodo mais cela se révèle impossible car une fois sorti de la cathédrale, il est soumis à la loi des hommes. Lorsque la foule maltraite Quasimodo, on prévient le juge Frollo que Quasimodo est sur le pilori. Lorsque Quasimodo réclame à boire, il remarque la présence de Frollo qui s’avance à cheval vers lui, le sonneur pense qu’il vient pour l’aider. Frollo s’arrête face à Quasimodo puis passe son chemin en l’ignorant. Cette indifférence indigne Gringoire qui incarne la révolte contre l’injustice et la cruauté. Pour cette scène de confrontation Frollo/Quasimodo, Dieterle est le réalisateur le plus conforme à la vision hugolienne. Ce n’est qu’à la fin du roman que Quasimodo comprend progressivement la véritable personnalité de son père adoptif et la part qui est la sienne dans le sort d’Esmeralda. Quasimodo ne pourra supporter l’attitude de Frollo, lorsque celui-ci manifestera bruyamment sa satisfaction de voir l’Egyptienne mourir. Chez Hugo, Frollo va mourir des mains de Quasimodo comme dans les adaptations qui nous occupent. Seulement, si dans le roman le geste de Quasimodo est sans objet précis, il n’en n’est  pas de même chez Worsley et Dieterle. Dans l’adaptation muette, Quasimodo tue Frollo pour protéger Esmeralda, et dans la version parlante, le sonneur tue pour se protéger de lui. Dans ces adaptations, Frollo est plus menaçant que dans le roman puisqu’il est en possession d’une arme blanche : un poignard. Parmi les personnages principaux de l’histoire, Esmeralda est la prétendue étrangère par qui le scandale arrive et qui déclenche le désir des hommes et en particulier celui de Frollo. Quasimodo, pour sa part, évolue lui aussi du fait de l’arrivée de la bohémienne. D’abord simple observateur et esclave obéissant de Frollo, il devient un acteur autonome et révolté. Il commence d’abord à ne pas respecter les consignes en se mêlant à la Fête des Fous et surtout il sauve Esmeralda de la pendaison et la défend lors de l’assaut de la cathédrale. Le comportement des personnages masculins à l’égard d’Esmeralda révèle leurs véritables facettes parfois multiples et leurs ambiguïtés. Dans les adaptations, les personnages de Claude Frollo et Jehan ont été modifiés. Chez Worsley et Dieterle, les rôles sont en quelque sorte intervertis : Claude Frollo (Dom Claude) est archidiacre comme chez Hugo mais ce n’est pas lui le père adoptif de Quasimodo. C’est son frère Jehan qui est devenu « le méchant », toujours représenté de noir vêtu (sauf lorsqu’il est vêtu de blanc pour tromper Esmeralda emprisonnée), qui se sert de Quasimodo comme esclave alors que Claude est un personnage positif. L’un et l’autre ont fait de Jehan un juge ou quelque chose d’équivalent, Dieterle, pour répondre aux exigences du code de censure régissant la production des films, dit Code Hays du nom du sénateur qui est à son origine. On notera toutefois qu’avec des approches opposées aux personnages, les scénaristes de Worsley et de Dieterle ont utilisé la présence des deux frères Frollo avant tout pour symboliser la double face (Dr Jekyll et Mr Hyde) du Claude Frollo de Hugo.

A propos des acteurs : Lon Chaney (1880-1944) et Charles Laughton (1899-1962)

En 1923, Irving Thalberg était devenu producteur des studios Universal et se devait de produire une oeuvre prestigieuse. L’idée d’adapter le roman français venait de Lon Chaney lui-même. Il fut appuyé par Thalberg, qui décida Carl Laemmle, président d’Universal City, à entreprendre cette nouvelle adaptation du roman de Victor Hugo. C’est Lon Chaney aussi qui participa au choix du réalisateur : il aurait désiré un réalisateur prestigieux tel Erich Von Stroheim mais les studios préféraient un réalisateur de seconde zone qui pourrait « boucler » rapidement le film. Le choix se porta finalement sur Wallace Worsley , qui fut un bon compromis, car ce cinéaste avait déjà collaboré avec Lon Chaney dans quatre films dont The Penalty, premier grand succès du réalisateur.  Lon Chaney (1880-1944) acteur très connu du muet, venait de s’affirmer dans The Penalty (1920) film dans lequel il interprétait un homme sans jambes et y avait connu un grand succès. Chaney était désireux d’interpréter le personnage de Quasimodo depuis 1920. L’acteur connaissait parfaitement le livre et travaillait étroitement en collaboration avec le scénariste Edward T. Lowe Jr. et l’adaptatrice Perley Sheehan. Patsy Ruth Miller se souvient également que lorsqu’elle avait été pressentie pour le rôle d’Esmeralda, elle n’avait pas rencontré le réalisateur, mais Lon Chaney, qui lui avait longuement expliqué l’importance de son personnage et sa philosophie de l’oeuvre. Lon Chaney avait à coeur d’être fidèle au personnage de Hugo, du moins dans sa représentation physique. Alfred Grasso avait trouvé une édition rare de Notre-Dame de Paris dans laquelle étaient reproduits des croquis de la main de Victor Hugo représentant Quasimodo. Chaney s’en était inspiré. L’acteur avait également forgé sa propre conception de la morale du personnage, insistant sur son sens du sacrifice et du renoncement, facultés qu’il développera dans d’autres personnages par la suite. Selon le site ciné-club « Chaque jour de tournage, la transformation de Lon Chaney en Quasimodo lui demandait quatre heures de travail (l’acteur créait lui-même son propre maquillage). Il portait sur la poitrine un plastron, sur les épaules des bourrelets de footballeur, et sur le dos une bosse de caoutchouc. L’ensemble atteignait les 35 kg. Différentes attaches reliaient les bourrelets des épaules au bas du plastron, de telle manière qu’il était impossible au comédien de se tenir debout.  »

De l’avis de nombreux cinéphiles, la composition de Chaney fut le chef-d’oeuvre de sa carrière, et l’un des maquillages les plus extraordinaires du cinéma. Fils de parents sourds-muets, Chaney dut vite apprendre à s’exprimer avec son visage et son corps. Son jeu d’acteur était conçu pour le détail et le gros plan, donc adapté au cinéma. Sa mort l’a fait entrer dans la légende. En 1930, après son seul film parlant, le remake du Club des Trois de Jack Conway, il est atteint d’un cancer des cordes vocales qui l’empêche de parler. Le succès du film fut immense et le film n’échappa pas à la classification chère à Hollywood : The Hunchback of Notre-Dame fut considéré comme un « film d’horreur », domaine de prédilection de Lon Chaney, connu sous le nom de « l’homme aux mille visages ».

A partir de 1920 naît le cinéma parlant. Wilhelm (dit William) Dieterle commença comme acteur de théâtre puis devint réalisateur de cinéma en 1928. Ses premières oeuvres se remarquent d’emblée par l’audace des sujets traités comme la misère sexuelle des prisonniers de droit commun (Chaînes, 1928), la biographie du roi fou de Bavière (Ludwig der Zweite, König von Bayern) où il s’octroie le rôle vedette. Il quitte l’Allemagne au moment de la montée du nazisme. A la veille de la guerre, il se spécialise dans des films biographiques de Pasteur ou de Zola. Il réalise The Hunchback of Notre-Dame en 1939. Le film sera distribué en France en 1940 sous le titre de Quasimodo. Dieterle est proche de l’expressionnisme allemand : il aime jouer du contraste entre le noir et le blanc. On peut alors comprendre le choix du noir et du blanc alors qu’en 1939, un film disposant d’un budget de plus de deux millions de dollars peut être tourné en couleurs : le noir est mis en valeur par le gris et le blanc pour former un éventail d’ombres qui poussent ainsi le film vers le fantastique. Il y a une convergence incontestable des thèmes de prédilection de Dieterle et de Victor Hugo, notamment la liberté et la misère, qui créent un lien entre romantisme et expressionnisme à travers The Hunchback of Notre-Dame (1939). Le roman de Hugo intéresse Dieterle car il relève ses propres centres d’intérêts : le monstrueux physique (Quasimodo), mais aussi moral (Frollo), la liberté (presse et cloches) et la misère incarnée par le peuple (les truands et la Cour des Miracles). Dieterle, aidé de Bruno Frank, l’adaptateur, a modifié fortement le scénario hugolien en opposant superstition et tyrannie aux idéaux démocratiques. Un parallélisme est fortement suggéré dans le film avec les horreurs du nazisme : à travers la persécution d’Esmeralda parce qu’elle est bohémienne et celle de Quasimodo parce qu’il est difforme. Jehan Frollo, interprété par Cedric Hardwicke, apparaît comme un prédécesseur de Hitler qui persécute les bohémiens, les juifs et tous les « indésirables ». Comme le souligne L’Avant -Scène du Cinéma, Dieterle, en pacifiste et progressiste se doit d’ignorer la conclusion tragique du roman de Victor Hugo. Hugo parle de la fin d’une époque, le Moyen-Age, alors que Dieterle veut peindre « l’aube d’une ère nouvelle ». Dieterle a dû composer avec les exigences du code Hays depuis 1930 jusqu’en 1966. Dans le domaine religieux, un prêtre ne pouvait ni être présenté de façon comique, ni comme un méchant, etc., la sexualité -les danses suggestives, par exemple- était prohibée, tout comme les exécutions capitales, la torture, la brutalité… On peut mesurer l’impact que peuvent avoir ces règles sur le traitement des personnages tels que Quasimodo, Esmeralda, Frollo. Dès 1935,  Thalberg avait proposé le rôle de Quasimodo à Charles Laughton qui s’était investi dans le personnage quatre ans avant le tournage, en lisant le livre de Hugo, en apprenant des répliques en français pour mieux rendre le « monstre hugolien » et non celui d’un film d’horreur. L’interprétation de Laughton contribua au succès du film et renforça le mythe de Quasimodo aux Etats-Unis. Durant le tournage, l’acteur lisait le roman de Hugo autant que le scénario du film. D’après l’acteur Callow, chaque scène où l’on voit Laughton est « imprégnée de ce sentiment de l’appartenance à toute la vie de l’humanité », ce que confirme Dieterle qui voit en lui le symbole de la manifestation contre l’injustice et la barbarie. La légende veut que la performance de Laughton au moment où il sonnait les cloches était telle que le réalisateur oublia de dire « cut » à la fin de la scène. Comme s’il y avait là une volonté commune de l’acteur et du réalisateur d’appeler à l’insurrection contre l’oppression nazie. La scène a été tournée le jour de l’invasion de la Pologne. Pour rendre crédible son personnage, l’acteur effectuait un travail gigantesque, s’infligeant même une souffrance physique pour réellement sentir les tourments de Quasimodo, au pilori par exemple. Laughton s’est également souvent opposé au maquilleur, Perc Westorme, pour imposer sa perception physique de Quasimodo. La préparation et le maquillage de l’acteur nécessitaient deux heures et demie chaque jour. Il avait le visage couvert de prothèses et sa bosse de caoutchouc pesait plus de deux kilos. Si la plupart des critiques français et américains ont aimé le film, certains, comme ceux du New York Times, traitent le film de « freak show » et le trouvent trop « rugueux pour les sensibilités modernes ». Quoi qu’il en soit, le film fut un succès et les coûts de la réalisation s’élevant à 1,8 millions de dollars ont été largement couverts par des recettes dépassant 3 millions de dollars.