Les dépendances à l’alcool, à la drogue et au sexe, qui se manifestent régulièrement dans les films, s’ancrent toutes dans la réalité de notre condition humaine. Mais le champ de l’addiction au cinéma dépasse bien largement notre quotidien. Mythes, créatures, objets de légende ou de pouvoir deviennent ainsi des sources inépuisables de folie dans le cinéma fantastique. Au sein de ces figures singulières, celle du célèbre « précieux » du Seigneur des anneaux reste une des plus mémorables.
« Un anneau pour les gouverner tous, un anneau pour les trouver, un anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier. » C’est par cette formule riche de sens que le maléfique Sauron a baptisé l’anneau unique, le plus puissant jamais forgé, capable de dominer tous les autres. Immense objet de pouvoir et de convoitise, l’anneau de Sauron corrompt les corps et les âmes de tous ceux qui le portent, le désirent ou le recherchent.
La trilogie du Seigneur des anneaux réalisée par Peter Jackson insiste ainsi sur le poids, la souffrance liée à l’acquisition de l’anneau. À ce titre, c’est le mot « fardeau » qui est le plus souvent utilisé dans les films pour évoquer l’anneau. Il est employé plusieurs fois par Gandalf, Bilbon, Sam, Gollum et Boromir. Cet usage signifie que les personnages ont pris conscience de la véritable menace que représente l’anneau.
En revanche, lorsque l’anneau engendre obsessions et tourments, Gollum et Bilbon lui donnent un tout autre nom, bien plus « précieux ». Le détenir constitue alors un immense péril, une source intarissable de dépendance pour des victimes qui perdent l’esprit.
La possession de l’Anneau : entre folie des grandeurs et grandeur d’une destinée
Le porteur de l’anneau, par le simple fait de disposer du « précieux », devient quelqu’un d’exceptionnel. En effet, un objet unique ne peut être porté que par un individu hors normes, disposant de capacités particulières. C’est en tous cas ainsi que l’appréhendent nombre de ses possesseurs, dont l’égoïsme et la vanité se trouvent soudain exacerbés.
L’anneau distille alors dans l’esprit de son porteur une sorte de folie des grandeurs obsessionnelle. Le comportement de Frodon, qui subit de plus en plus les effets de l’anneau, l’illustre beaucoup. Le jeune hobbit déclare par exemple brutalement à Sam : « L’anneau m’a été confié à moi. C’est ma tâche, la mienne, à moi seul ! »
Le possesseur de l’anneau se sent ainsi investi d’un rôle essentiel, d’une glorieuse destinée, comme en témoignent les écrits d’Isildur cités dans La communauté de l’anneau : « Il est venu à moi, l’Anneau unique, ce sera l’héritage de mon royaume, et tous mes descendants seront liés à son destin. »
En vérité, loin de cette folie des grandeurs, la destinée consiste à pouvoir résister au pouvoir malfaisant de l’anneau. Or, Frodon montre sur ce point d’étonnantes capacités comme en conviennent Gandalf et Elrond. C’est précisément pour cette raison que la tâche lui est dévolue. Galadriel affirme ainsi à Frodon que « si vous ne trouvez pas le moyen, personne le pourra ».
Cette destinée emporte un caractère presque tragique pour le héros, qui regrette d’avoir été choisi. Frodon confie ainsi à Gandalf : « Je voudrais que l’anneau ne soit jamais venu à moi. Que rien de tout ceci ne se soit passé. » Mais la simple possession de l’anneau, destinée ou non, n’est rien comparée à la véritable possession par l’anneau lui-même.
La possession par l’Anneau : une obsession maladive
Dès l’introduction de La communauté de l’anneau, narrée en voix off par Galadriel, le porteur de l’anneau est décrit comme un individu « pris au piège », condamné à souffrir et à être mis à l’épreuve. Le possesseur de l’anneau manifeste en effet une véritable obsession maladive, qui provoque des symptômes aussi bien physiques que psychologiques.
À ce titre, la transformation corporelle du hobbit Sméagol en l’horrible Gollum est particulièrement révélatrice. Elle traduit les ravages irrémédiables causés par son addiction à l’anneau. Pour Gollum, retrouver l’anneau constitue donc une nécessité vitale et il se murmure sans cesse à lui-même : « Nous le voulons, nous en avons besoin. » Les spectres de l’anneau ou nazguls, mi-vivants mi-morts, se situent dans la même situation de dépendance. Leur demie existence n’est qu’une quête permanente de l’anneau, dont ils sentent le pouvoir.
Frodon manifeste progressivement la même addiction, même s’il montre beaucoup moins de signes physiques que Gollum. Il reste constamment éveillé et caresse l’anneau avec une douceur presque maternelle. Sam l’avertit de cette obsession naissante avec inquiétude : « C’est l’anneau, vous ne pouvez plus en détourner votre regard, je vous ai vu. Vous n’avalez rien, vous ne dormez presque pas. » Pire, lors de l’attaque des nazguls à Osgiliath dans Les deux tours, Frodon s’apparente à un véritable somnambule. Possédé, il commence à sentir la présence des spectres ailés et s’apprête à leur donner anneau. Un geste de pure folie inspiré par l’emprise de l’anneau sur son esprit.
Bilbon ne sort pas non plus indemne de sa longue détention de l’anneau. Certes, cet objet unique lui a donné une vie étonnement longue, mais lui aussi conserve le désir de tenir l’anneau dans sa main. Lorsque Gandalf lui suggère de laisser l’anneau à Frodon, Bilbon fait ainsi mine de l’oublier dans sa poche, avant que le magicien ne le lui rappelle. Lorsqu’il retrouve son neveu à Foncombe et aperçoit l’anneau sur sa chemise, il demande à le prendre et manifeste une expression monstrueuse qui l’effraie lui-même.
Même les personnages qui ont seulement approché l’anneau montrent des formes de dépendance. Lorsque Sam prend l’anneau à un Frodon qu’il croit mort dans Le retour du roi, il hésite ensuite à le lui rendre, déjà pris au piège par son pouvoir. C’est d’ailleurs pour épargner Sam que Frodon insiste pour récupérer l’anneau.
Quant à Boromir et Faramir, ils manifestent une obsession maladive pour l’anneau. Seul celui-ci pourrait sauver le Gondor des forces du mal. Ainsi, Boromir tente de voler l’anneau à Frodon à la fin de La communauté de l’anneau, alors qu’il avait juré de le protéger. Sam avertit alors Faramir que l’anneau « a rendu fou » son frère, mais le jeune capitaine du Gondor ne peut davantage résister au pouvoir de l’anneau. Pour Faramir, l’occasion de prouver sa valeur semble bien trop belle.
Enfin, Gandalf et Galadriel apparaissent aussi très sensibles à l’anneau. Le magicien gris n’ose donc pas le toucher, craignant l’emprise que l’anneau pourrait prendre sur lui. De même, à la simple idée de posséder l’anneau, Galadriel perd tout contrôle et s’imagine en reine ensorcelante et toute puissante.
L’anneau : une addiction incurable
Objet magique et malfaisant, l’anneau génère une addiction si forte, si ancrée dans l’esprit qu’elle ne peut guérir totalement. À la fin du Retour du roi, Bilbon n’a toujours pas décroché et s’enquière de son vieil anneau auprès de Frodon.
Pour Frodon et Bilbon, la Terre du Milieu n’offre aucun havre de paix. Les blessures infligées par l’anneau restent des cicatrices indélébiles que le temps même ne peut effacer. Les deux hobbits trouvent alors refuge sur les Terres immortelles avec Gandalf et les elfes.
La dépendance à l’anneau frappe dans la trilogie, de près ou de loin, la majorité des personnages. Rien ne permet véritablement de s’en prémunir. Toutefois, le désir humain de pouvoir et de conquête rend indéniablement plus sensible à l’emprise de l’anneau. Ce même sentiment se retrouve à l’origine des conflits mondiaux. Peut-être faut-il y lire un message de paix de J.R.R. Tolkien, soldat lors de la Première Guerre mondiale.