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Crossing Guard : jamais sans ma fille

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Avec Crossing Guard, Sean Penn filme le phénomène de l’obsession à travers le personnage de Freddy Gale, interprété par Jack Nicholson, tant sur le plan pratique que psychologique, en mettant en avant les répercussions dans sa vie personnelle, sentimentale, professionnelle ou familiale. Une plaie béante n’arrive pas à se cicatriser. La vengeance est vue comme l’ultime échappatoire.

Crossing Guard, aussi connu sous le nom de L’Obsession, tient en un pitch limpide. Un homme alcoolisé a renversé la jeune Emily par accident. Elle est décédée. Alors que le coupable va sortir de prison, le père de la jeune fille veut l’assassiner.

Cet objectif extrême relève d’un procédé assez classique : celui d’un ressentiment qui nécessite une délivrance. La vengeance comme seul sens à sa vie, c’est la haine qui s’anime pour ne plus être subie. C’est rendre actif un sentiment qui est invivable lorsqu’il est vécu sous sa forme passive. De ce point de vue, le choc ressenti par Freddy peut être comparé à une déflagration. Un traumatisme a engendré une envie de se venger, une animosité a déclenché une obsession, et cette obsession génère un dépérissement personnel.

Cet étiolement progressif, cette auto-destruction vient d’un deuil impossible à faire, d’un manque de résilience, c’est-à-dire d’une incapacité à surmonter les obstacles, les traumatismes. Freddy a besoin d’une prise de conscience, de ce qui devrait être un deuxième choc salvateur.

Le long métrage montre au quotidien son idée fixe. Il raye les jours sur son agenda jusqu’à la libération de John Booth (David Morse). Cette focalisation l’empêche de travailler correctement, d’entretenir une relation amoureuse avec une femme qui est attachée à lui, d’être un père présent pour ses autres enfants, de leur donner l’amour qu’ils méritent. Son ex-conjointe, la mère d’Emily, vit avec un autre homme. En allant chez elle pour lui confier son projet d’assassinat, il semble chercher une approbation (qu’il n’obtiendra jamais). Il trouve sa pulsion meurtrière logique et naturelle et lui reproche de faire comme si rien ne s’était passé. C’est un individu isolé qui, même entouré, se sent seul, noie son mal-être à coup d’alcools forts dans les strip-clubs et tente de se changer les idées en couchant avec de jeunes femmes, ce qui semble pourtant l’écœurer.

« Vous avez déjà eu un son de plus en plus fort dans la tête, pendant des jours, comme un aspirateur ? Puis on a enfin une idée originale. On est fier de soi. Elle nous excite. Cette idée nous excite. Elle nous fait gamberger, jusqu’à ce que l’aspirateur commence à vous marteler le cerveau. »

Freddy Gale peut être victime de crises de panique, perdre son sang-froid, avoir des mots violents, se montrer cruel. Ses troubles de l’humeur, de la personnalité et du comportement s’expliquent en partie par un problème d’incommunicabilité. Ce dernier a du mal à verbaliser son mal-être et souffre d’être incompris. Il confiera spontanément à une personne de son entourage sa volonté de tuer, avant de faire comme s’il n’avait rien dit.

Sa première confrontation avec John Booth a quelque chose de rocambolesque. Il a oublié de charger son revolver. Le discours de l’ex-prisonnier qui affirme ne pas mériter pas son pardon le fait réfléchir, sans réellement freiner sa détermination.

« Je ne préviendrai pas les flics. Je resterai ici et j’essaierai d’aller de l’avant. » 

Freddy lui donnera 3 jours de sursis.

John vit avec un sentiment de culpabilité et un remords permanent. Il s’est fracassé la tête en prison car il ne se supportait plus lui-même, estimant être à l’origine de beaucoup trop de malheur. Lui aussi doit tourner une page, ne plus penser à cet accident.

 – Tu veux mourir ?
 – Je ne sais pas.

C’est un des autres points communs entre les deux personnages. Comme Freddy, John verra une relation amoureuse lui échapper s’il refuse de passer à autre chose.

« Je pense que ta culpabilité est un obstacle trop grand entre toi et moi. Alors préviens-moi, quand tu auras choisi la vie.»

Cette tragédie montre à quel point une personne peut être coupée en deux et donc psychologiquement instable. John est tiraillé entre culpabilité et rédemption, Freddy entre vengeance et déperdition.

Une dernière similarité se manifestera avant la confrontation finale : Freddy conduira en état d’ivresse avec délit de fuite.

C’est paradoxalement une forme de respect qui prévaudra entre les deux hommes dans leur refus de mettre des mots sur des souffrances qui ne peuvent être verbalisées. Il ne sera pas question de faire entendre raison à l’autre, ni par le dialogue, ni en lui donnant des leçons.

Quelque chose d’instinctif doit se produire entre eux, de presque animal. Tous les deux l’acceptent, quelle qu’en soit l’issue.

C’est un pari risqué qui se joue, celui de l’humain.

C’est sous les magnifiques notes de musique aiguës et saisissantes de Jack Nitzsche, que le film se conclura par une dernière scène authentiquement touchante, donnant un relief particulier à tout ce qui a précédé.