La colline aux coquelicots, (Kokuriko zaka kara) de Goro Miyazaki : un fugitif passé

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5 ans après les aventures magico-fantastiques des Contes de Terremer, Goro Miyazaki réalise avec La Colline aux coquelicots son second film, dans le Japon du miracle économique des sixties. Au-delà du changement radical d’atmosphère, une thérapie familiale et transgénérationnelle opère en silence.

Les jeux de Tokyo

A la veille des jeux de 1963, Umi, une lycéenne studieuse qui vit avec sa grand-mère, son petit frère et sa petite sœur, gère toutes les tâches dans une pension qui reçoit beaucoup de monde. Dynamique, elle sort tous les matins hisser un drapeau en souvenir de son père, un ancien marin, disparu pendant la récente guerre de Corée. En quelques touches, le charme typique des productions dites réalistes opère pour les uns : un personnage positif, volontaire, affrontant le quotidien en y glissant une once de poésie et de nostalgie, en témoignant de la condition de vie des femmes japonaises de l’après-guerre. Pour les autres, les jeux ne sont pas faits : Umi, il faut le reconnaître pour ceux-là, a tout les atours d’une ghiblesque Mary-Sue : elle ne râle pas, est charmante, ne s’accable pas sur son sort, reste douée à l’école en dépit des difficultés. Mais que lui manque t-il donc ?

True romance

La réponse tombe comme un couperet : peut-être une belle histoire. Le titre éthéré et l’ambiance doucerette ne trompent pas le spectateur avéré : le manga adapté tire plus vers le Shojo, qui fait en général fuir les hommes, les vrais, dès l’âge canonique de 10 ans a peu près. En effet, le shojo, le manga des petites filles, aime bien les romances… Pour les vieux combattants du club Dorothée, un exemple éloquent : Juliette je t’aime, Maison ikkoku de Rumiko Takahashi. Un pensionnat, une jeune fille modèle et dévouée, une histoire d’amour : n’en jetez plus, on tient notre modèle (et de rien, ne me remerciez pas pour le générique que vous avez désormais en tête).

A en perdre son quartier latin

Au lycée d’Umi, le quartier latin, vétuste, doit être détruit pour laisser la place à un nouveau bâtiment. Quelques irréductibles dont Shun, délégué des élèves et irréductible plume du journal des lycéens tente tant bien que mal d’attirer l’attention des autres sur le sujet, à grands renforts de gestes de protestation plus dingues les uns que les autres, mais rien n’y fait. Umi, sa promise, débarque comme une petite fée dans cet univers foutraque, pour retrouver son admirateur secret qui la cite dans des poèmes publiés dans le journal lycéen.

Au nom du fils

28 Juin 2006. Hayao Miyazaki assiste à la première projection des Contes de Terremer. Il sort au bout d’une heure. Après la représentation, il déclare qu’« un film ne se résume pas seulement aux sentiments » et que son fils « n’est pas encore adulte ». On a connu plus affectueux. Ce serait cependant oublier, dans le cas du génie créatif qu’est Hayao Miyazaki, le perfectionnisme démesuré qui est le sien de film en film. Il épuise les dessinateurs, les collaborateurs : derrière le charisme débonnaire d’un gentil Gandalf, l’onirisme se construit à grands renforts d’humanités qui froissent des feuilles ou oublient parfois des cafés froids sur le bord de la table. Et c’est cet homme qui co-scénarise 5 ans plus tard un script pour son fils, pas rancunier sur ce coup-là.

Japanese History X

Derrière la légère romance de façade, ce si bel apprêt, la réalité du Japon de 1963 se fait une place dans les interstices. Le miracle économique de l’ancien géant vaincu de la Seconde Guerre mondiale, couronné par l’accueil d’une grande manifestation internationale ne masque pas la violence de la défaite et de l’occupation vécue par toute une génération. En transmettant ce passé incarné par la grande scène du film, la découverte du quartier latin par Umi, dans son plus beau chaos, refuge de théoriciens, de penseurs obscurs, d’improbables groupuscules culturels oubliés même de leurs voisins de palier, Miyazaki père retranscrit ce qui restait encore à vif. La peur d’un avenir oubliant les traditions ancestrales japonaises, le rejet d’un avenir tout tracé pour un nouveau Japon où Nintendo était encore une boîte qui vendait des cartes à jouer et dans lequel beaucoup ne souhaitaient alors pas se projeter.

The voice

Quand le proviseur visite le quartier latin la première fois, la troupe de lycéens entonne les chants lénifiants qui endorment sa vigilance pour le flatter dans le bon sens, quand les vraies chansons qui résonnent pour ces rebelles sont celles des contestataires de la nouvelle génération des sixties qui n’ont pas connu la bombe atomique. Cela ne marche pas : promis malgré ces flagorneries à la destruction, le quartier latin devra être nettoyé sur l’initiative d’Umi, présenté comme un sou neuf à un vieux ponte d’un obscur conseil pour être finalement conservé. C’est là tout l’itinéraire de la colline aux coquelicots : au-delà des remous d’une histoire d’amour très chaste, emberlificotée dans une série de rebondissements théâtraux assez détonants pour une production Ghibli, au-delà même du film en soi et d’une animation réputée médiocre pour le studio, un vrai échange s’opère, presque pudique, entre deux générations : à l’image des coquelicots du titre français, tout cela est désuet et donc terriblement indispensable.

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original : Kokuriko zaka kara (コクリコ坂から?)
Titre français : La Colline aux coquelicots
Titre anglais : From Up on Poppy Hill
Réalisation : Gorō Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki et Keiko Niwa, d’après le manga de Tetsurô Sayama (scénario) et Chizuru Takahashi (illustration)
Musique originale : Satoshi Takebe
Chanson du générique interprétée par : Aoi Teshima
Image : Atsushi Okui
Production : Toshio Suzuki, Tetsurô Sayama, Chizuru Takahashi
Sociétés de production : Studio Ghibli, Toei, Walt Disney Company, Nippon Television Network Corporation, Dentsu, Mitsubishi Shoji, GNDHDDT, Hakuhodo DY Media Partners
Pays d’origine : Drapeau du Japon Japon
Langue originale : japonais
Format : couleur – 1,85:1 – DTS / Dolby Digital
Durée : 91 minutes
Dates de sortie :
Japon : 16 juillet 2011
Belgique, France, Suisse : 11 janvier 2012
États-Unis, Canada : mars 2013

 

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