« À force de danser avec le diable, un beau jour, il viendra te chercher chez toi. » C’est la promesse qui suit le pitch mystérieux de Sinners, une invitation à danser jusqu’au bout de la nuit. Et si le jeu du home invasion par des vampires a déjà séduit les amateurs de frissons, il ne faut pas écarter le contexte historique de la Prohibition, servant de socle à Ryan Coogler pour rendre hommage à la culture afro-américaine basée au Mississippi, terre d’origine de son grand-père maternel. Le cœur du film se situe là, quelque part entre la double ration de Michael B. Jordan et la musique endiablée du blues, qui rythme une soirée sanglante en huis clos.
Synopsis : Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience…
Les histoires de « doubles » semblent être l’ingrédient récurrent de 2025 au sein des derniers crus de la Warner (Mickey 17, The Alto Knights). Sinners s’inscrit dans cette lignée, à sa manière. Pour autant, le studio est-il en mesure de dupliquer les succès afin de retrouver une stabilité financière ? Il est possible d’en douter, malgré l’anomalie Minecraft, mais les recettes de Ryan Coogler ont toujours témoigné de leur rentabilité au box-office.
Après avoir redonné de l’élan pour la saga de Rocky Balboa avec Creed, puis avoir mis en scène les deux volets de Black Panther pour le MCU, le cinéaste revient à son amour pour les films horrifiques où des slashers, comme Les Griffes de la nuit, lui tombaient sous la main. Il se sent capable aujourd’hui de mêler les éléments de son cinéma engagé, aperçu depuis son premier long-métrage Fruitvale Station, avec les frissons qu’il a rencontrés à travers les les films comme Shining, Jurassic Park et Get Out. Mais ce qui est séduisant dans ces œuvres, c’est leur aptitude à révéler un véritable drame derrière les monstres qui ravagent tout sur leur passage. Coogler en tient compte et s’en sert pour rendre hommage à la culture hoodoo et au style musical Delta blues, des folklores issus du Mississippi et de l’héritage de l’esclavage.
Les liens du sang
Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt… et aux pécheurs. Presque une bonne heure d’exposition nous transporte au début des années 30, où les frères jumeaux Smoke et Stack nous servent de guide à travers leur Mississippi natal. Un retour au bercail marqué par la mélancolie infusée par les mélodies de blues, des deuils non résolus et par une crise nationale où l’alcool n’est pas la seule chose prohibée. Les frères de sang et frères d’armes ont souvent eu à pactiser avec les diables dans l’Illinois pour acquérir leur fortune et pour pouvoir négocier à armes égales avec l’Homme Blanc. De retour dans leur ville de naissance, où ils ont laissé les beaux et les mauvais souvenirs se décomposer, les jumeaux souhaitent ouvrir leur propre club de blues pour s’offrir un espace intime pour jouir de leur liberté. Une célébration éphémère, mais bien réelle qui est un peu trop soulignée dans certains dialogues, surtout dans l’épilogue.
Avant cela, c’est à travers la musique du jeune Sammie (Miles Caton) que le film prend une dimension plus poétique et spirituelle. Ce fils d’un pasteur a le blues dans le sang et les chansons qu’il interprète, notamment composées par Ludwig Göransson, est un élément important dans la mise en scène de Coogler. La danse, le chant et le sexe sont les vecteurs de transe pour des personnages acculés par un système de classe en leur défaveur. Le cinéaste joue avec les effets de style avec beaucoup de maîtrise technique et la photographie d’Autumn Durald Arkapaw honore ces choix artistiques. Seuls quelques segments de montage dans la seconde partie peuvent complexifier la compréhension de l’intrigue, mais dans l’absolu, c’est la nature même du projet et ses effets de surprise qui nous maintiennent en haleine. Une prouesse que l’on salue avant même l’entrée en scène de nouveaux monstres du cinéma.
La danse du diable
Arrive alors une bascule attendue, sous-entendue avec beaucoup de sang-froid par les images promotionnelles, où l’appel du sang convoque des vampires à la soirée organisée par les jumeaux. Coogler a donc bien révisé les codes du monstre popularisé par Bram Stoker pour ajouter de la profondeur aux personnages. En plus de jouer la fameuse « invitation », requise par les suceurs de sang pour une dégustation à domicile. L’intrusion du fantastique ne doit en aucun cas occulter la philosophie d’un film qui joue énormément sur la dualité et cette misère ambiante qui empêche ces nouveaux marginaux de s’inscrire dans une société qui porte encore les stigmates de la ségrégation. Une brillante idée qui s’éparpille dès lors que la narration se disperse de personnage en personnage, trop nombreux pour que les rôles d’Hailee Steinfeld, de Wunmi Mosaku, de Jayme Lawson ou de Li Jun Li aient un réel impact dans le récit. Chacune d’entre elles possède une histoire captivante qui ne trouve pas sa place dans les deux heures allouées à ce film de genre porté par un grand studio.
Un dilemme crucial est également traité à toute vitesse pour laisser place au chaos jubilatoire qui semble inévitable. On pense évidemment à Une Nuit en Enfer, écrit par Quentin Tarantino et réalisé par Robert Rodriguez. Si le film de Coogler ne tente pas de rivaliser avec les hectolitres de faux-sang employés dans un carnage visuel, c’est donc pour mieux discuter du constat qui alarmait tous les représentants de la minorité aux États-Unis, où la haine avait plusieurs visages, comme le Ku Klux Klan. Était-il réellement possible de vivre libre et en paix ? Ou fallait-il s’abandonner à la nuit, confiné à jamais dans la face cachée d’une société qui n’était pas encore en mesure de valider des transformations radicales pour garantir la sécurité d’une Grande migration qui s’annonçait ? Sinners y répond avec nuances et divertissement, en concluant sa thèse par un jeu de massacre symbolique, au parfum de revanche historique, à la manière de Tarantino avec ses outsiders juifs (Inglourious Basterds) ou esclaves (Django Unchained).
Tout ne semble donc pas perdu pour la Warner, réputée pour soutenir ses auteurs qui ont participé à l’identité des studios (Stanley Kubrick, Martin Scorsese, Clint Eastwood, Tim Burton, Christopher Nolan pour ne citer qu’eux). À voir si le nouveau film de Paul Thomas Anderson (Une Bataille après l’autre) peut réitérer un tel engouement, en parallèle d’un potentiel succès au box-office de Sinners, une victoire hollywoodienne comme on en voit peu dans le paysage cinématographique actuel.
Sinners – Bande-annonce
Sinners – Fiche technique
Réalisation et Scénario : Ryan Coogler
Interprètes : Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Jack O’Connell, Wunmi Mosaku, Jayme Lawson, Omar Benson Miller, Delroy Lindo
Photographie : Autumn Durald Arkapaw
Montage : Michael P. Shawver
Musique : Ludwig Göransson
Producteurs : Ryan Coogler, Zinzi Coogler et Sev Ohanian
Producteurs délégués : Rebecca Cho, Will Greenfield et Ludwig Göransson
Sociétés de production : Proximity Media, Domain Entertainment
Pays de production : États-Unis
Distribution France : Warner Bros.
Durée : 2h17
Genre : Horreur, Thriller, Fantastique, Drame
Date de sortie : 16 avril 2025





