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Rétro Stephen King : Dreamcatcher, un film de Lawrence Kasdan

Pour son adaptation de Dreamcatcher,  le scénariste des trilogies Star Wars et Indiana Jones réunit une troupe d’excellents acteurs pour donner corps au roman de Stephen King. On pouvait en espérer un grand film… gare à la déconvenue !

Synopsis : Quatre amis d’enfance, qui partagent un lien télépathique, viennent passer leur week-end dans un chalet pour une partie de chasse mais se retrouvent coincés par une tempête de neige. Lorsqu’ils se rendent compte qu’une étrange épidémie fait des ravages dans la forêt, l’armée leur apprend que la zone est en quarantaine. Ils découvrent que la maladie est en fait la conséquence directe d’une invasion extraterrestres rendus agressifs par le froid.

Un mauvais rêve  

Le roman Dreamcatcher, paru en 2001, a reçu un excellent accueil de la part du lectorat de Stephen King. Qu’il s’agisse de son « retour » après deux ans d’inactivité littéraire n’y est pas pour rien. Son ambiance de paranoïa créée par l’intrigue et d’oppression naturelle liée à la météo neigeuse avaient même de quoi rappeler The Thing, alors que la nature elle-même des extraterrestres avait de quoi laisser imaginer des scènes d’explosions viscérales dignes du premier Alien. D’autant qu’à cette menace xénomorphe venait s’ajouter des enjeux de pouvoirs mentaux, que King sait rendre intenses comme personne. Mais c’est surtout sa construction très proche de Ça (auquel King ne s’est d’ailleurs pas privé de glisser des clins d’œil) qui a convaincu ses fans historiques qui savent que la mélancolie de l’âge de l’enfance et la sincérité des amitiés de cet âge sont la marque d’une écriture très personnelle de la part de l’auteur. C’est donc sans surprise que les grands studios hollywoodiens s’empressèrent d’en acheter les droits pour le confier, comme à leur habitude, à un yes-man.

Il fut en revanche plus étonnant que soit choisi un cinéaste qui n’a jamais connu le succès en tant que réalisateur (La fièvre au corps, Wyatt Earp…) et dont les seules tentatives dans le domaine du cinéma fantastique sont justement des scénarios qui sont devenus des modèles dans l’art de contourner l’argument fantastique pour le transformer en prétexte à un film d’aventures (Les aventuriers de l’Arche perdu, L’empire contre-attaque…). Le film de sa filmographie qui se rapproche finalement le plus des intentions de Dreamcatcher est son film de potes Les Copains d’abord (1984). Que le scénario soit confié à William Goldman, à qui l’on doit l’excellente adaptation de Misery, avait de quoi rassurer… mais ce serait oublier qu’il a aussi contribué au fiasco de Cœurs perdus en Atlantide l’année précédente. Le casting entièrement masculin contient des acteurs assez talentueux. Même Thomas Jane et Timothy Olyphant, biens connus des amateurs de série B comme étant insupportablement inexpressifs, s’en sortent pour une fois plutôt bien. Il ne fait alors nul doute que si l’on ne s’attache jamais à eux, c’est le fait d’une caractérisation bancale de leurs personnages. L’unique vecteur pour nous apprendre à connaitre ces quatre amis est une série de flashbacks qui, en plus d’être amenés de façon tout à fait aléatoire, ne font en fait que réduire leur alter-ego infantile à de vulgaires caricatures de « l’enfant kingien » tel que l’on a pu les découvrir dans Stand by me. Ce n’est donc pas rendre justice à l’imaginaire foisonnant de l’auteur.

Le roman avait tout pour aboutir à un long-métrage de qualité, mais son adaptation s’est faite avec un tel manque d’audace que sa substantifique moelle s’en est retrouvée vidée au profit d’un nanar qui fleure le pipi-caca. Au sens propre comme au figuré.

Étonnamment, c’est l’interprétation de Morgan Freeman qui pose le plus problème. Alors que son nom est le premier à apparaitre dans le générique, son rôle de méchant enfonce le clou du processus de nanardisation du film. En plus d’être monolithique au possible, sa manie de rappeler en boucle sa haine des extraterrestres fait de lui un personnage de série Z parfaitement grotesque.

Pire encore, le traitement avec lequel l’ambiance angoissante, pourtant au cœur du matériau d’origine, est détournée par Kasdan nuit complétement à son effet. Plutôt que l’aventure, c’est vers la comédie potache qu’il a délibérément choisi d’orienter les éléments de scénario dont il n’a pas su exploiter le potentiel horrifique. C’est ainsi que les troubles intestinaux que provoque l’infection par des extraterrestres devient le point de départ d’un trop-plein de gags scatophiles. Même le climax du film, qui a le malheur d’avoir lieu dans des toilettes du chalet, souffre de cet humour gras qui vient rendre accessoire la tension ambiante. Tandis que les créatures se retrouvent assimilées à des défections et que le suspense se transforme en une mauvaise blague, il ne faut pas s’étonner que la partie la plus chimérique du roman se retrouve également mise à mal, tant on sait que sa transposition est toujours problématique dans les adaptations de Stephen King. Or justement, ici la seule chose qu’il reste de la sous-intrigue télépathique du roman se retrouve mise en scène via la représentation de l’esprit de Jonesy comme une vaste bibliothèque. Une bonne idée en soi, mais qui, couplée à une interprétation bouffonne de la schizophrénie par Damian Lewis, ne fait en fin de compte que participer au caractère purement risible du long-métrage.

La dimension mythologique du dernier acte, et en particulier du combat final, tel qu’elle apparait dans le livre se retrouve amputée et compensée alors par un twist capilotracté qui fait brutalement s’effondrer tous les efforts de fidélité au roman. Telle une fatalité, aucune intensité ne nait jamais de ce scénario sans-queue-ni-tête, et ce n’est certainement pas sa conclusion médiocrement bâclée qui aurait pu donner un sens à tout ce qui l’a précédé.

Quand bien même les effets spéciaux sont d’une facture tout à fait acceptable, le trop-plein de créatures en CGI, sans même évoquer leur design fécal, est un frein à l’aura de mystère que l’on aurait pu espérer d’un tel film. La scène la plus spectaculaire n’est d’ailleurs pas l’une des émergences massives de ce parasite orange ni même l’explosion du vaisseau spatial – deux exemples de pistes prometteuses fort mal exploitées par le scénario – mais bien l’exode des animaux dans la forêt. Un court passage qui survient au bout d’une quarantaine de minutes, correspondant à la fin d’une introduction pourtant réussie, juste avant que le film ne dérape complétement dans ce bouillon infâme.

Espérons qu’un jour, quelqu’un fera une adaptation qui sache pleinement tirer la puissance horrifique de Dreamcatcher et qui surtout nous fera oublier l’étron filmique de Kasdan.

Dreamcatcher : Bande-annonce

Dreamcatcher : Fiche technique

Réalisation : Lawrence Kasdan
Scénario : William Goldman et Lawrence Kasdan d’après le roman Dreamcatcher de Stephen King
Interprétation : Damian Lewis (Gary « Jonesy » Jones), Jason Lee (Joe « Beaver » Clarenden), Thomas Jane (Henry Devlin), Timothy Olyphant (Pete Moore), Tom Sizemore (Lieutenant Owen), Morgan Freeman (Colonel Abraham Curtis), Donnie Wahlberg (Douglas « Duddits » Cavell)…
Photographie : John Seale
Montage : Carol Littleton, Raúl Dávalos
Musique : James Newton Howard
Producteurs : Charles Okun, Lawrence Kasdan
Sociétés de Production : Castle Rock Entertainment, Village Roadshow Productions
Distributeur : Warner Bros.
Budget : 68 000 000 $
Classification : Interdit aux moins de 12 ans
Genre : Science-fiction, horreur
Durée :  133 minutes
Date de sortie : 16 avril 2003

Etats-Unis – 2003

Rédacteur