Ryan Gosling est une personnalité qui a su jouer sur plusieurs tableaux depuis sa plus tendre enfance. Gamin adorable dans La Bande à Mickey, il est devenu un idéal masculin pour ces dames depuis N’oublie jamais. Un fardeau pour l’acteur canadien qui semble vouloir s’affranchir de cette étiquette minable. Il le dit lui-même; il ne s’est « jamais vu comme un sex-symbol« . Musicien doué, Ryan Gosling est également à la tête d’un groupe indie folk qu’il a fondé, les Dead Man’s Bones. Les Inrocks iront même jusqu’à classer leur premier album dans la liste des quinze meilleurs opus de 2009. Bourré de talents, le public ne le connaît pourtant qu’à travers ses rôles de belles gueules et d’hommes romantiques mystérieux. Le comble pour un acteur aux multiples talents, loin d’être jugé à sa juste-valeur. Mais Ryan Gosling n’est pas qu’une belle gueule sur un corps d’Apollon. C’est aussi un esprit torturé qui cherche à s’affranchir de son passé et des étiquettes qu’on lui colle. En étant à l’affiche coup sur coup de Blue Valentine et Drive, l’acteur canadien se fait le porte-étendard d’un cinéma d’auteur américain exigeant et stylisé. Une image qu’il entretient volontiers en restant dans un cinéma arty qui trouve son apogée avec les envoûtants Only God Forgives et The Place Beyond the Pines. A travers ses déclarations, on sent que le garçon souhaite être autrement reconnu pour ses performances au sein d’œuvres véritablement artistiques que pour ses « abdos photoshoppés« . Passionné par les exploits de ses illustres pairs cinéastes, Ryan Gosling tend à leur rendre hommage avec Lost River. Un vibrant cri du cœur de la part d’un vrai bon cinéphile. Certains films de Nicolas Winding Refn et Derek Cianfrance viennent d’être cités. Ce n’est pas un hasard. Ce qui semble avoir surtout aidé Ryan Gosling a franchir le pas de la réalisation, ce sont ces rencontres avec les deux cinéastes, pour lesquels il réitérera à chaque fois l’expérience.
The Place Beyond Detroit
D’autres illustres réalisateurs semblent également servir d’inspiration à Lost River. En effet, ce dernier est une oeuvre hybride qui trouve sa source à travers le travail remarqué et remarquable de génies du cinéma. On pensera volontiers à David Lynch, Dario Argento ou Terrence Malick dès l’introduction. Certains iront jusqu’à citer Alejandro Jodorowsky, Gregg Araki, Gaspar Noé ou Harmony Korine. La liste peut encore être longue. Afin d’injecter une vraie identité visuelle à son récit, Ryan Gosling s’est adjoint les services du chef opérateur Benoit Debie, ayant justement œuvré par le passé pour Korine et Noé. Le canadien n’a pas hésité à s’entourer d’une équipe de talentueux faiseurs d’image. Au montage, il est allé jusqu’à embaucher le monteur de Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Valdís Óskarsdóttir. Au fond, Lost River nous en indique beaucoup sur Ryan Gosling et ses films de chevet. Pour l’équipe du film, le jeune réalisateur a bâti une forte équipe grâce à son expérience des plateaux. Mais surtout grâce à sa rencontre avec gens avec qui il a déjà travaillé ou qui l’ont marqué dans certains films. C’est d’ailleurs pour cette raison que Reda Kateb figure au casting, le canadien ayant été impressionné par sa performance dans Un Prophète ou Zero Dark Thirty. A ses côtés, un casting de prestige compose la première réalisation du canadien et détonne dans cette oeuvre d’une dimension expérimentale parfois déconcertante, loin des conglomérats des grands studios hollywoodiens. Un tant-soi peu cinéphile et vous reconnaîtrez toutes les têtes qui figurent dans le casting. Si c’est bel et bien la Warner qui distribue le film (en VOD aux Etats-Unis), elle semble en revanche ne pas assumer le parti-pris de ce film, véritable conte de fée sous acides. Pas assez grand public ? Evidemment, mais si c’était ce que rechercher son réalisateur ?
Cette première incursion dans le cinéma selon Gosling pourrait effectivement sembler déroutante, si tenté que l’on ne connaît l’acteur pour ses rôles de premier plan. Mais au fond, si Lost River aborde franchement le cinéma méta et en dit long sur son réalisateur, il nous permet également d’avoir un regard arty et désillusionné sur le rêve américain et sa ville de Détroit abandonné de tous. Ce sont des monstres qui ont désormais investi la ville. Des hommes qui ont cédé aux plus viscérales des pulsions, du sang au sexe en passant par l’argent et la destruction. Il est évident que cette mère célibataire (Christina Hendricks, sublime) et ses deux fils en proie à la faillite devront franchir certaines limites. Ils devront retourner à la surface pour s’affranchir des monstres qui les attirent dans les limbes de la perversité. Mais si d’évidentes idées semblent se dégager du récit pour nous proposer une réflexion, il manque clairement une vision d’ensemble qui aurait pu éviter au film d’être un peu vain. Il se dégage de Lost River une atmosphère onirique à la Del Toro. Les nuits semblent s’y fondre dans des virées nocturnes psychotiques. Tout le parti-pris du film est de favoriser l’identité visuelle au détriment du récit et des interactions entre les personnages. Difficile de considérer cela comme un défaut puisqu’au final Lost River s’apprécie plus comme une expérience sensorielle que comme une véritable intrigue à suivre. Mais tout cela se fait malheureusement au détriment de l’absence de tension, d’alchimie entre les acteurs et d’un rythme decrescendo qui nuit à l’appréciation du film. Si les sensations sont bien présentes et que la fascination à la vue de certaines images fantasmagoriques nous gagne, il nous arrive par moment de perdre pied dans ces quatre-vingt quinze minutes confuses. A trop vouloir privilégier le cadre, Ryan Gosling en oublie les personnages qui le composent. Difficile pour eux d’exister malgré cette attraction fascinante qui -paradoxalement- nous les rapproche de nous autant qu’il nous en éloigne. Certaines sous-intrigues perdent au change comme cette romance entre deux âmes isolés pour laquelle aucune substance n’en ressort vraiment. Ce sont donc les visions d’un jeune cinéaste dopé au cinéma d’auteur qui priment donc sur l’histoire.
Malheureusement pour Ryan, le film souffre justement du poids de ses références. Lost River apparaît plus comme l’oeuvre d’un garçon qui souhaite prouver à quel point il a été influencé par une culture cinématographique singulière et sensorielle. Le spectre de David Lynch et de ses compères n’est jamais très loin. Tous les cinéastes que le jeune réalisateur souhaite saluer à travers son film ne font qu’alourdir sa portée. A vouloir apposer sa marque personnelle et cultivée, Gosling fait l’erreur de tomber dans l’énumération d’une galerie de cinéaste pour un film qui -finalement- devient impersonnel. Preuve en est avec tous ces articles -dont celui-ci- qui ne font que citer les très nombreuses références du film. On pourrait croire à un caprice de jeune premier de la classe mais il n’en est rien. Il faut voir Lost River avant tout comme un profond cri du cœur. Restons-en sur le souvenir de la première incursion naïve mais touchante d’un cinéaste en devenir. Tout comme cette ville engloutie sous les eaux,Lost River est beau, tellement beau mais se contente malheureusement de rester à la surface, nous cachant toute la profondeur de son récit dans ses entrailles. Il faut peut-être y plonger la tête à l’instar de notre héros pour y découvrir toute la réussite de ce film brillant formellement mais fondamentalement bancal. Il serait cependant dommage de ne pas croire au potentiel du canadien pour persévérer dans cette voie et nous offrir un second long-métrage dans la même veine. L’aboutissement en plus.
Synopsis: Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu’au bout pour que leur famille s’en sorte.
Fiche Technique: Lost River
Etats-Unis
Genre: Thriller, Fantastique
Durée: 95min
Sortie en salles le 08 avril 2015
Réalisation: Ryan Gosling
Scénario: Ryan Gosling
Interprétation: Christina Hendricks (Billy), Iain De Caestecker (Bones), Saoirse Ronan (Rat), Matt Smith (Bully), Ben Mendelsohn (Dave), Eva Mendes (Cat), Reda Kateb (Cab Driver), Barbara Steele (Grandma)
Image : Benoît Debie
Décor : Beth Mickle & Lisa K. Sessions
Costume: Erin Benach
Montage: Valdís Óskarsdóttir & Nico Leunen
Musique : Johnny Jewel
Producteur: Ryan Gosling, Marc Platt (II), Adam Siegel, David Lancaster, Michel Litvak, Jeffrey Stott, Gary Michael Walters et Noaz Deshe
Production: Bold Films, Marc Platt Productions et Phantasma Films
Distributeur: The Jokers / Le Pacte
Budget : /
Festival: Sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2014