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L’Âme soeur de Fredi M. Murer (1985) : quand la poésie et l’extrême naissent du rien

En 1985, Fredi M. Murer dévoilait L’Âme sœur, un long-métrage suisse qui s’intéressait à l’isolement, la famille, le désir, l’amour et la fraternité, mais aussi l’interdit, le tout situé dans une vie au cœur de la nature, puisque les quatre protagonistes vivent toute leur existence ou presque dans une ferme sur les pentes désertées d’une montagne.
Le 21 décembre 2022, L’Âme soeur ressort au cinéma, en version restaurée. C’est l’occasion pour nombre d’entre nous de se plonger ou se replonger dans cette œuvre singulière et extraordinairement subtile…

Ce qui marque en premier dans L’Âme soeur, c’est la douceur qui émane de cette vie rurale qui pourtant ne s’éloigne jamais longtemps d’un labeur ne pouvant être repoussé au lendemain. Et pourtant, malgré les tâches à accomplir pour les animaux, la terre ou la maison, la vie semble ici incroyablement juste et à sa place. Jusqu’à un certain point cependant. Car derrière un père doux mais peu bavard, derrière une mère gentille mais dévote, la tâche d’élever un petit frère sourd-muet échoit à Belli, la soeur aînée. Le Bouèbe, comme on l’appelle, n’est pas tellement plus jeune que sa soeur, et les deux enfants sont déjà quasi adultes. Une tendresse et une complicité naissent naturellement à la fois de l’isolement de ces êtres, seules jeunes personnes à des kilomètres à la ronde, ainsi que de la protection que Belli montre souvent au Bouèbe, l’abritant de la colère d’un père qui est las des bêtises du jeune homme. Le Bouèbe est en effet un individu très passionné, tout en ressentis. Sa surdité, en le frustrant, lui a fait prendre un regard particulier sur le monde qui implique parfois chez lui des comportement excessifs.
Malgré des différences manifestes de caractère et d’aspirations, le spectateur n’aura aucun mal à percevoir l’amour qui unit les membres de cette famille dont les conditions de vie sont finalement plus difficiles – tant pour le corps que le mental – qu’elles ne paraissent.

Toutes ces informations nous sont dévoilées çà et là, L’Âme sœur étant une œuvre particulièrement efficace sans en faire trop. Les informations passent à l’écran, par le biais des gestes et des paysages, ou nous parviennent dans les conversations des personnages entre eux (en VOST), notamment dans le discours des grands-parents. On apprécie tout particulièrement le minimalisme de ce film qui n’use d’aucun effet, et dans lequel transparaît pourtant l’infini d’une poésie posée sur l’œuvre comme sur le paysage.
Et, sans crier gare, tandis que les signes auront été inexistants pour certains, subtils pour d’autres, L’Âme sœur entame un virage duquel on ne revient pas. Très brutalement, dans le secret de la nuit, le film assume enfin son titre, quand le frère et la sœur deviennent soudain amant et amante.
Dès lors, tout recommence, la vie quotidienne, les rapports familiaux, le travail, avec cette fois ce secret qui plane au-dessus et qui angoisse le spectateur, autant que la mère, mise en alerte par la clairvoyance de son regard qui capte les subtils changements intervenus entre ses enfants, à la lumière du jour, cette fois. Au-delà du simple secret d’une relation interdite plane aussi celui de l’inceste, du péché, et cette impression d’impossible retour à une situation normale…

Sans dévoiler la fin, on dira que L’Âme sœur s’achève dans une passion qu’évoquait déjà son titre. Une fin qui marque son spectateur comme ce film qui semblait si doux et poétique, mais qui portait aussi le double tranchant de cette existence, complexe, belle et impitoyable. 

Bande-annonce : L’Âme sœur 

Fiche technique :

Titre : L’Âme sœur
Réalisation : Fredi M. Murer
Casting : Thomas Nock, Johanna Lier, Dorothea Moritz, Rolf Illig
Scénario : Fredi M. Murer
Pays d’origine : Suisse
Genre : drame
Durée : 120 minutes
Date de sortie : 1985, ressorti au cinéma le 21 décembre 2022
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