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House : Aunty et ses drôles de dames

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

46 ans après sa sortie, le public de l’hexagone a officiellement l’honneur de découvrir une comédie horrifique pop et jouissive, dont nous connaissons que trop bien les cinéastes qui s’en sont inspirés. Rocambolesque, visuellement sidérant et terrorisant, House possède une saveur unique dont le premier visionnage, et sans doute pas le dernier, nous donne l’impression d’avoir le cerveau qui se liquéfie, la tête qui flotte et les doigts engourdis, soit à peu tout ce qu’on l’on trouvera dans cette sinistre maison hantée en somme.

Synopsis : Une lycéenne rend visite à sa tante malade en compagnie de six amies. Isolées dans une grande demeure perdue au milieu de nulle part, les jeunes filles assistent à d’inquiétants événements surnaturels une fois la nuit tombée.

Été 1975, de nombreuses phobies sont nées dans les salles obscures. Steven Spielberg n’a fait qu’une bouchée du box-office avec Les Dents de la Mer et autant dire que ce succès a attiré l’attention de la Tōhō, dès lors en pleine crise financière. Nobuhiko Ōbayashi fut appelé à la rescousse à la force de sa créativité afin de conquérir le cœur du grand public dans une œuvre horrifique. Ce film est donc né et pensé comme un blockbuster, que l’on tourne dans des studios qui deviendront le théâtre de cauchemars à la stylisation modernisée. C’est d’ailleurs en s’inspirant des mauvaises nuits de sa propre fille âgée de onze ans, Chigumi Ôbayashi, que le cinéaste élabore son antre démoniaque. Il a ensuite fallu que Chiho Katsura vienne consolider le voyage fantastique gothique d’un groupe d’écolières. Et le résultat séduit, autant dans ses idées visuelles que dans ses thématiques empruntées aux premiers films d’animation de Walt Disney.

Belle-mère et les sept écolières

Les vacances d’été arrivent enfin. Fini les cours, direction les centres de loisirs. Malheureusement pour le groupe d’écolières, le programme a rapidement changé et elles vont toutes se retrouver chez la tante d’Oshare, qui vient tout juste d’entrer en conflit avec sa belle-mère. Les sept jeunes femmes prennent ainsi la route des campagnes pour atteindre la seule maison qui surplombe une région où ne semble vivre qu’un mystérieux vendeur de pastèques. Il ne nous faut pas longtemps pour comprendre le traquenard dans lequel elles sont tombées. Loin d’être aussi enchanté que les univers de Blanche-Neige et les Sept Nains ou d’Alice au pays des merveilles, le conte horrifique du cinéaste japonais nous emmène tout droit dans la gueule d’un démon affamé.

Belle, Fantasy, Melody, Prof, Sweet, Kung-Fu et Mac n’ont qu’à bien tenir si elles veulent éviter un sort tragique. Quand bien même le danger guette chaque coin de cette propriété et jusqu’aux objets les plus attractifs, tels un piano ou un puits en guise de réfrigérateur naturel. La tante ne rassure pas non plus, avec ses mimiques désincarnées et son aura ténébreuse. À ce jeu-là les couleurs nous frappent immédiatement, car les personnages sont constamment plongés en contraste avec le décor et l’ambiance surréaliste est omniprésente à chaque séquence. On assiste à un collage qui semble partir en vrille, mais qui a suffisamment étudié ses options pour ne pas être dans le hors-sujet.

Ōbayashi se donne à cœur joie d’expérimenter toutes sortes d’outils, afin de provoquer un état de transe chez le spectateur, que ça puisse titiller sa rétine autant que sa curiosité. Prévoir le plan suivant est mission impossible et avec un tel élan d’originalité et de générosité, le cinéaste enchaîne les techniques de transition et de découpage qui font penser à des spots publicitaires. Ayant fait ses armes dans la communication et au diapason de son audience, jeune et pleine de vie, il n’est pas étonnant de le voir s’épanouir avec un budget confortable et un plateau géant pour répondre à tous ses désirs mortifères. Plans superposés, arrêts sur image, stop-motion, ralentis, accélérations, filtres de couleur et rendu épileptique par moments, c’est ce genre de descente aux enfers dont on capte volontiers les effets qu’une drogue aurait sur nous.

La maison des illusions

Cependant, cet aspect cartoonesque ne doit pas éclipser le fond mis en place pour justifier la dramaturgie, qui existe bel et bien, malgré tout ce que l’on a pu citer auparavant. Cette maison hantée est une figure maléfique qui dévore ses occupants, un peu comme un traumatisme qui nous consume de l’intérieur. Le cinéaste originaire de la préfecture d’Hiroshima en sait quelque chose et injecte dans son œuvre l’ombre de la guerre et les conséquences vengeresses qui en découle, à l’image du Godzilla d’Ishirō Honda. Nous ne trouverons pas de créatures radioactives dans cette demeure, mais l’esprit qui hante ce lieu est de nature aussi titanesque que le lézard géant. Seulement, il pourrait bien se cacher sous la fourrure d’un chat blanc, un alibi efficace pour passer inaperçu et pour pleinement profiter de l’instinct de prédation.

Aucun prince charmant ne viendra sauver les demoiselles. Les hommes sont les grands absents du récit. Ces derniers sont soit morts, soit en train de tituber entre deux verres et sont incapables d’honorer leur promesse faites aux femmes. Elles sont seules face à une malédiction voisine d’Opération Peur de Mario Bava, mais c’est de nouveau dans la forme particulière de l’œuvre que l’on diverge. Les archétypes sont gravés à même le nom des protagonistes et Ōbayashi s’amuse à les mettre dans des situations outrancières. Il emprunte le burlesque du cinéma muet, du spectaculaire Charlie Chaplin aux périlleuses cascades de Bustier Keaton. Les mangas influent également sur ses partis pris les plus loufoques, notamment lorsqu’il s’agit de repousser les assauts de rondins de bois maléfiques ou tout autre objet du décor.

Véritable pépite d’un genre nouveau, on prend un véritable plaisir à traverser House à toute allure. Ce premier long-métrage de cinéma pour Nobuhiko Ōbayashi est une réussite, qui hante le spectateur du premier au dernier plan. On s’y perd joyeusement dans cette fable survoltée, où le refrain mélancolique des compositeurs Asei Kobayashi et Mickie Yoshino nous restent en tête. Et autant dire que les yeux de Sam Raimi se sont forcément posés sur cette œuvre culte avant de concevoir son Evil Dead. De même on peut également y voir les stigmates du cinéma de Quentin Tarantino, Joe Dante, John Landis et plein d’autres cinéastes occidentaux. Ce trésor bien gardé partage dorénavant tous ses bienfaits, car son auteur est parvenu à vulgariser de manière visuelle comment vivre l’horreur. Il nous le démontre de façon ludique et hilarante, car toute sa mise en scène repose sur des paramètres optiques et auditifs, en nous arrachant la précieuse bouée qui nous raccroche à la réalité. C’est à se demander si l’on revient entièrement d’une telle expérience, mais dans tous les cas, on en garde un souvenir merveilleusement impérissable.

Bande-annonce : House

Fiche technique : House

Titre original : Hausu
Réalisation : Nobuhiko Ōbayashi
Scénario : Chiho Katsura, Chigumi Ōbayashi
Photographie : Yoshitaka Sakamoto
Montage : Nobuo Ogawa
Musique : Asei Kobayashi, Micky Yoshino
Production : Tōhō
Pays de production : Japon
Distribution France : Potemkine Films
Durée : 1h28
Genre : Fantastique, Epouvante-Horreur, Comédie
Date de sortie : 30 juillet 1977 (28 juin 2023 en France)

House : Aunty et ses drôles de dames
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