David Gordon Green est un grand distrait, il a confondu deux traditions populaires : Halloween et le premier avril. On pensait pourtant l’homme du genre sérieux. En 2018, il avait lui-même mis fin à une blague qui avait bien trop duré – les suites de plus en plus indignes au séminal Halloween de John Carpenter (1978) – à travers un reboot fièrement assumé jusque dans son titre. Lorsqu’il a été annoncé que cet excellent cru constituait la première partie d’un triptyque de films, les plus sceptiques commençaient pourtant déjà à déchanter. Le temps leur a, hélas, donné raison. David Gordon Green a retrouvé son humour en décidant d’envoyer valdinguer toutes les intentions louables de l’opus précédent. Le résultat ? Une infâme tambouille qui, par un tour de force prodigieux, joue à la fois la carte de l’auto-référence bas de gamme et de la désacralisation d’une idole manifestement indépassable. Chapeau l’artiste !
L’adoubement de la version 2018 de Halloween – la dixième suite de la saga – par John Carpenter lui-même, qui avait carrément enfilé pour l’occasion le costume de producteur exécutif, avait d’emblée placé le film sous une bonne étoile. Le pari de renouer avec les fans de la franchise n’était pourtant pas gagné, ces derniers étant logiquement échaudés par la litanie de films de série Z qui avaient succédé au slasher classique de 1978. Le duo Danny McBride (scénario)-David Gordon Green (scénario et réalisation), en fans respectueux de l’original, étaient pourtant parvenus à proposer un récit original et convaincant sous forme de « continuité rétroactive » (retroactive continuity ou, si vous voulez vous la raconter dans une réunion de production, « retcon »), faisant fi des opus précédents en se situant uniquement dans la continuité de l’œuvre de 1978. Comme dans un rêve, l’exécution fut à la hauteur des ambitions et, même s’il est imparfait et ne fit (évidemment) pas oublier la perfection du modèle original, Halloween (2018) s’érigea sans mal comme un des opus les plus réussis de la franchise, charriant par la même occasion les espoirs les plus fous de ses fans dévoués.
David Gordon Green a sifflé la fin de la récréation. Après avoir visionné Halloween Kills, le constat est aussi limpide que cruel : tout ce qui nous avait plu dans l’opus précédent a été jeté par la fenêtre. Les scénaristes (le duo McBride-Green, auquel s’est ajouté Scott Teems, ce dernier ayant probablement fait une demande officielle de changement de nom, pour ne plus être associé à ce désastre) ont certes joué la carte des fanboys ultimes : racler les fonds de tiroir… euh pardon, on voulait dire « provoquer le retour d’anciens personnages de la saga ». En l’occurrence, il s’agit des quatre enfant survivants (outre Laurie Strode, bien sûr) du massacre perpétré par Michael Myers à Haddonfield dans le film initial : Marion Chambers, Lindsey Wallace, Lonnie Elam et Tommy Doyle, aujourd’hui adultes mais toujours traumatisés par les événements – on les comprend. Cette marque de respect ostensible vis-à-vis du classique de Carpenter se révèle toutefois un leurre. D’abord, parce que le jeu de tous les comédiens est proprement cataclysmique ; ensuite, parce que ces quatre personnages – et quelques autres – sont placés au cœur du récit, au détriment de Laurie Strode. Celle-ci n’a qu’un rôle mineur dans le film, n’apparaissant que dans une poignée de scènes ! Le « passage de témoin » auquel on assiste entre Strode et sa fille (Judy Greer) et sa petite-fille (Andi Matichak) casse non seulement le ressort dramatique principal de la franchise – l’obsession meurtrière de Michael vis-à-vis de Laurie – mais il révèle aussi une réalité cruelle : sans Laurie, le château de cartes s’écroule. Et dire qu’on a osé créditer Jamie Lee Curtis en premier dans le générique ! Il faut dire qu’on chercherait en vain une performance de comédien professionnel digne de ce nom…
Comme si cela ne suffisait pas, Halloween Kills annihile sa propre intention respectueuse en prenant le contre-pied total de ce qui faisait l’identité et le charme du film de 1978. Le modèle original était simple, sérieux et inquiétant ? Halloween Kills se veut « baroque » et 36e degré avec sa surenchère de situations grotesques et de personnages crétins. On se situe franchement à l’extrême limite de la parodie pure et simple. Le modèle original distillait les macchabées au compte-gouttes ? Halloween Kills les empile dans une délirante orgie gore. Pire, le film ne va même pas au bout de cette logique iconoclaste en rendant la violence vraiment repoussante, lui préférant une outrance qui oblitère toute vraisemblance. Le moindre soupçon de peur a été évacué, et il ne nous reste alors plus qu’un antagoniste au pouvoir surnaturel tristement revendiqué par les scénaristes. Le massacre des pompiers et la séquence finale du gang armé qui affronte Michael Myers en sont l’apothéose ubuesque… Aveuglés par leur frénésie meurtrière, les scénaristes ont préféré focaliser leur attention sur le body count extravagant plutôt que sur leurs personnages, certains des protagonistes principaux étant éliminés en un tour de main, sans même qu’on prenne la peine de montrer leur mort à l’écran ! L’ensemble du script est de toute façon bâclé, les scènes de massacre étant péniblement reliées par des fils narratifs auxquels on ne comprend rien, la plupart des autres n’ayant aucun intérêt. A cet égard, on se demande encore à quoi sert toute la partie du récit se déroulant dans l’hôpital, si ce n’est parce que les scénaristes se sont rendus compte à la dernière minute que Jamie Lee Curtis avait signé un contrat alors qu’elle n’était incluse dans aucune scène du film…
Le spectateur, rincé par cette saga usée jusqu’à la corde, finit alors par ne plus espérer qu’une seule chose : que Tommy Doyle et sa bande de vigilantes abrègent notre souffrance, en finissent une bonne fois pour toutes avec « La Chose ». Il n’y a toutefois aucune surprise quant à l’issue de Halloween Kills, sachant que le troisième volet du triptyque de David Gordon Green est annoncé depuis plusieurs années… Il nous reste l’espoir fou que le titre de ce troisième film, Halloween Ends, soit une promesse et non un énième leurre. Quelqu’un osera-t-il enfin mettre à mort la vache à lait du cinéma d’horreur ?
Synopsis : Quelques minutes après que Laurie Strode, sa fille Karen et sa petite-fille Allyson ont laissé Michael Myers prisonnier du sous-sol en flammes de Laurie, celle-ci est transportée d’urgence à l’hôpital, pensant qu’elle en a définitivement terminé avec son bourreau de longue date. Mais lorsque Michael parvient à se libérer du piège de Laurie, son bain de sang reprend.
Halloween Kills : Bande-annonce
Halloween Kills : Fiche technique
Réalisateur : David Gordon Green
Scénario : Scott Teems, Danny McBride et David Gordon Green
Interprétation : Jamie Lee Curtis (Laurie Strode), Judy Greer (Karen Nelson), Andi Matichak (Allyson Nelson), Will Patton (Frank Hawkins), Anthony Michael Hall (Tommy Doyle), Robert Longstreet (Lonnie Elam)
Photographie : Michael Simmonds
Montage : Tim Alverson
Musique : John Carpenter, Cody Carpenter et Daniel Davies
Producteurs : Malek Akkad, Jason Blum et Bill Block
Sociétés de production : Miramax, Blumhouse Productions, Trancas International Pictures et Rough House Productions
Durée : 105 min.
Genre : Horreur/Slasher
Date de sortie : 20 octobre 2021
États-Unis/Royaume-Uni – 2021