Tim Burton revient au cinéma en mars avec son dix-septième film, Big Eyes, son deuxième Biopic après le très inspiré Ed Wood. Ces fans pensent l’avoir perdu depuis quelques années et les sorties successives de sa version d’Alice au pays des merveilles et de Dark Shadows, deux films qui ont peiné à marquer les esprits, ou alors en mal. Avec Big Eyes, pas sûr qu’il rattrape son public. Une chose est certaine, il parvient à analyser le long chemin de l’artistique au commercial. C’est peut-être ce qu’il a de plus visionnaire. Pour le reste, rien de bien inspiré, un Biopic classique, sans folie.
Synopsis : L’histoire du peintre Walter Keane et de sa femme Margaret, qui sont devenus célèbre dans les années 50 et 60, grâce à une série de portraits d’enfants affublés de gros yeux
« Mes pauvres yeux par ton éclat abusés, je n’ai plus qu’eux pour pleurer »
« Les yeux sont le reflet de l’âme », voilà ce que lance Margaret à son futur mari, Mr.Keane. Et pour cause, la naïve qui dit ces mots hyper clichés, dessine avec toute son âme des enfants – sa fille, plus précisément, déclinée dans mille postures et en mille visages – avec deux grands yeux, des yeux fous qui emplissent l’image et rendent les portraits complètement fous, dépressifs et … touchants. Du moins au début, quand elle ne veut que « faire plaisir » et laisse son imaginaire se coucher sur la toile. Deux grands yeux, montrés comme vides, absents de toute substance. C’est d’ailleurs de l’intérieur de l’un d’entre eux que la caméra sort au début du film pour s’implanter dans une petite banlieue « so années 50 », d’où s’échappe Margaret et sa fille Jane. Elle quitte un mari qu’on ne voit pas, mais qu’on devine brutal et terrible, pour aller vivre seule. Quand elle débarque, son ami Dee-Ann lui explique bien que désormais, elle la mettra en garde. Tout ça est affreusement plat pour le moment, mais on nous a dit au début que 1) C’était de Tim Burton et 2) C’était un Biopic. Et c’est comme ça qu’on tombe dans deux écueils. Tout d’abord, l’univers de Burton est fantaisiste, mais ici il se contente de la fantaisie des tableaux, des couleurs des années 50-60 et y plaque son univers, sans plus. Ensuite, le Biopic est un genre lessivé, banalisé et extrêmement conventionnel. C’est la deuxième fois que Burton s’y lance, mais cette fois sans transgresser la réalité.
Cependant, on suit cette histoire avec intérêt pour deux raisons : l’usurpation d’identité (ou de paternité d’une œuvre) est un thème extrêmement cinématographique, mais ici rendu très banal, parce qu’il y a Christoph Waltz et que d’emblée son jeu excessif prend le pas sur celui de la pourtant charmante Amy Adams, affublée, et on le sent pendant tout le film, d’un costume. L’autre raison est le basculement de l’art dans sa reproduction à outrance qui lui enlève précisément l’âme que Margaret pensait y avoir injecté. C’est aussi pour ça qu’à un moment donné, elle comprend d’elle-même, et son pinceau aussi, qu’elle doit se renouveler. Elle propose donc un bouleversant autoportrait tout fin, tout petit, avec des yeux « normaux ». Ce tableau-là, son mari ne lui vole pas. Mais ça ne se vend pas puisqu’elle est incapable d’intéresser quelqu’un, toute recluse qu’elle est. Or, comme seulement quelques petits initiés créent la mode, il faut déjà à l’époque faire du « buzz » autour des tableaux. Voilà pourquoi ils se vendent, parce que Walter Keane se vend à la société, lui offre ce qu’elle attend : histoire bien triste, premières esquisses. Bref, une histoire. Personne ne se rend compte de l’affreuse banalité des tableaux – qui se lit pourtant jusque dans l’affreuse banalité des plans. Keane, le mari, est comme la BO du film, qui l’envahit jusque dans les dialogues : affligeant dans sa manière de nier la réalité : il est incapable de peindre et son bagout n’y change rien. Si tous ces sujets sont forts intéressants, tout comme la manipulation dont est victime Margaret qui se remarie sans cesse parce qu’elle a en fait peur de s’assumer, tout est traité de manière simpliste.
Christoph Waltz est en roue libre et fait ce qu’il sait le mieux faire: faire « sourire » quand il le faut et peur quand c’est nécessaire. Le reste est lisse, de la reconstitution aux dialogues, en passant par les personnages secondaires (du galeriste à l’amie, en passant même par la fille de Margaret). Alors que la vérité était là, sous-jacente : devant la toile blanche. Mais comme il aura fallu des heures de procès inutiles – et reconstitué sans saveur par Burton qui croit être drôle parce qu’il laisse Waltz faire son show – il aura fallu tout un film pour que Margaret – louable, serviable et si naïve – montre enfin au monde qu’elle peignait. « C’est moi qui l’ai peint », ça ne suffit pas, il faut peindre en public, c’est tout ! Sur l’affiche, Burton laisse planer un doute en mettant en scène les deux personnages peignant le même tableau. Reproduit à l’infini, le dessin perd de sa saveur, l’auteur disparaît finalement, seule la possession par l’acheteur compte. « Tout le monde l’a, je le veux ». Le film se veut celui d’une émancipation féminine, derrière la question de la création, de l’art, de la reproduction sérielle, ou encore de la critique d’art et de son cercle fermé d’initiés. Pourtant, tout est trop gentillet pour qu’on en garde un quelconque souvenir marquant. Burton ne parvient à aucun moment à rendre ce duel inégal entre mari et femme passionnant, parce que les rapports de forces même entre les acteurs sont déjà joués d’avance. Le film est aussi naïf que son sujet, et c’est bien là tout le problème. On hésite même à croire que Burton soit derrière tout ça, à moins que ça soit le vrai message : à force de succès, on finit par devenir sans saveur, et il n’y a plus guère que les affiches pour témoigner de la dimension « visionnaire » du réalisateur. D’ailleurs, quelqu’un a-t-il bien vu Tim Burton réaliser ce film, ou … ?
Bande-annonce de Big Eyes
Fiche Technique – Big Eyes
Genre : Biopic – Sortie le 18 mars 2015
Réalisateur : Tim Burton
Scénariste : Scott Alexander, Larry Karaszewski
Distribution : Christoph Waltz (Walter Kean), Amy Adams (Margaret), Krysten Ritter (Dee-Ann), Jason Schwartzman (Ruben), Terence Stamp (John Canaday)
Costume : Colleen Atwood
Directeur de la photographie : Bruno Delbonnel
Monteur : Joseph C. Bond IV
Sociétés de production : Silverwood Films, Electric City Entertainment, Tim Burton Productions, The Weinstein Company, Moving Pictures