Mon Légionnaire a la vertu de ne pas idéaliser la figure du militaire, on est loin d’un American Sniper par exemple. Ici, l’ennemi est invisible et le corps à corps n’a pas lieu. On voit surtout comment le retour à la maison est terni par l’attente de ceux qui restent. Un film doux, mais qui peine à décoller, empêtré dans un quotidien un peu trop banal.
Travail, famille, patrie
Mon Légionnaire est le second film de Rachel Lang après le très combatif Baden Baden (2016). Pourtant, si elle filme des corps triomphants en ouverture et en clôture de son film, Rachel Lang montre que ce triomphe est vain. En effet, les militaires du début sont perdus dans une fête qui semble s’éterniser sans eux et ceux de la fin combattent dans une mise en scène sans but et réel et surtout sans ennemi. Chaque séquence militaire est le récit d’un échec : ennemi invisible, attente, refus de la hiérarchie de mener l’opération. Même quand les soldats meurent, on l’apprend par la télévision, le moment de leur mort n’est pas l’objet d’une tension particulière. On est plus proche de Beau travail (Claire Denis, 1999), que d’Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979). Les soldats ici ne sont pas des héros, se sont des hommes, parfois incapables de déterminer pourquoi ils se battent. Ou plutôt contre quoi ils se battent. Mon Légionnaire est un film de l’attente, du combat triste. Un film de corps trop grands pour les missions qui leurs sont confiées. Vlad n’est pas un bon coup au lit, Maxime semble le déserter pour anticiper le départ, toujours. On voit alors son fils calculer les paquets de céréales nécessaires avant son retour. La pyramide disparaît peu à peu annonçant le retour du père. Et c’est un fils qui chante une chanson où le père est mort en héros qu’il retrouve. Et une femme étonnée qu’il ne passe pas plus de temps avec elle. On ne sait rien pourtant des tourments intérieurs qui l’habitent. A ce jeu du corps verrouillé, du soldat qui peine à trouver sa place, Louis Garrel, massif, méconnaissable, est excellent. On le sent prêt à exploser, pourtant il parvient à faire tout du long, bonne figure.
Intimité
Déjà dans Baden Baden, Rachel Lang s’intéressait à une destinée de femme. Rien de moins qu’un été où la vie devait recommencer, après une expérience malheureuse. Dans Mon Légionnaire, ce sont elles, de nouveau, les héroïnes. Celles qui attendent et construisent un quotidien autour de l’absent. On croise deux femmes loin des attendus du milieu (avec son cercle des épouses à la American Wives ). Soit Céline, avocate, épouse et mère et Nika, jeune femme venue d’Ukraine, un poil perdue dans son histoire d’amour et dans un pays qu’elle apprivoise. Céline comme Nika se retrouvent là car leurs amoureux sont dans la légion. Eux aussi viennent de partout et se retrouvent réunis. Le territoire actuel, c’est la Corse, magnifique et hostile à la fois. C’est sur ces bases un peu hostiles que les couples doivent survivre. Rachel Lang filme donc ce quotidien un peu morne, presque à la manière d’un documentaire. Nika aime d’abord trop fort et se brûle les ailes. Céline aime avec fierté puis tourne vite en rond dans une micro-société (l’armée) qu’elle ne veut pas fréquenter. Par de minuscules changements, presque des grains de poussières, Rachel Lang montre comment le territoire devient presque une prison. En tout cas, comment l’amour vacille. Malgré tout, Céline comme Nika tentent de tenir debout. Des deux côtés, hommes comme femmes, c’est la survie qui prédomine. Dommage que le film peine à décoller, à poétiser son constat premier. A force d’être terre à terre, on s’en désintéresse un petit peu. Même si Camille Cottin fait le job et que la regrettée Ina Marija Bartaité illumine le film de sa frimousse triste et déterminée.
Corps militaire, corps amoureux
Mon Légionnaire peine à captiver, certes ses scènes tentent de désacraliser des figures longtemps portées aux nues, mais on ne ressent ni la poussière ou la chaleur décrite par Maxime, ni le poids du temps et de l’attente vécue par Nika et Céline. Dommage car les scènes d’ouverture et de clôture du film laissaient présager ce que le film aurait pu être : une belle allégorie du combat, du corps à corps. Quelque chose qui l’élève au-delà d’une description méthodique du quotidien. Pourtant, on voudrait, à l’image de ce soldat qui annonce la naissance de son 3e enfant, Ibrahim, en plein désert, croire en un avenir meilleur pour l’amour qui semble vaciller pour certains. Ce sont ces quelques moments qui révèlent l’écriture poétique qui éclot ici et là dans le film de Rachel Lang. La réalisatrice débarque avec l’envie de raconter les protocoles (elle a eu une expérience dans l’armée et est aujourd’hui officier de réserve), d’où ces longs moments de transmission, de passage d’infos, qui sont des moments de cinéma chorégraphiés. Elle voulait aussi montrer le retour, comment les corps se retrouvent. Pour cela, elle ne se contente pas de montrer des baisers, des instants intenses, mais, à l’aide de plans séquences, comment le chemin de l’un à l’autre se fait. Le temps se dilate aussi dans le choix de ces plans. Il y a surtout une mise en scène du groupe, celui des épouses, mais plus particulièrement celui des légionnaires. « Quand on est soldat on est vraiment un corps docile, on obéit, on court, on saute dans les trous, on est tout un groupe soudé face à l’adversité et l’individu est complètement noyé dans le groupe et c’est assez agréable » (Rachel Lang, France Culture, octobre 2021). Vlad en est l’exemple même, devenant peu à peu le candidat idéal pour intégrer un régiment encore plus exigeant dans le don de soi, qui suppose, peut-être de n’être plus rien à l’extérieur. C’est cette négation de l’individualité que raconte le mieux Rachel Lang. Alors que dans l’amour, souvent voué à l’échec ici, l’individu est roi, adoré, aimé pour lui-même. La caméra oppose d’ailleurs très bien stabilité du côté des femmes et caméra plus libre, plus tremblante (« à l’épaule ») du côté des hommes (à ce sujet lire la très belle interview de la directrice de la photographie). C’est ce constat d’une contradiction entre le corps militaire et le corps amoureux (qui ne sont pourtant qu’un) et l’attente paroxystique, qui font la beauté discrète de Mon Légionnaire.
Mon Légionnaire : Bande annonce
Mon Légionnaire : Fiche technique
Synopsis : Ils viennent de partout, ils ont désormais une chose en commun : la Légion Étrangère, leur nouvelle famille. Mon Légionnaire raconte leurs histoires : celle de ces femmes qui luttent pour garder leur amour bien vivant, celle de ces hommes qui se battent pour la France, celle de ces couples qui se construisent en territoire hostile.
Réalisation : Rachel Lang
Scénario : Rachel Lang
Interprètes : Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité, Aleksandr Kuznetsov, Naidra Ayadi
Photographie: Fiona Braillon
Montage : Sophie Vercruysse
Producteurs : Jérémy Fioni, Benoit Roland, Saïd Hamich
Sociétés de production : Chevaldeuxtrois, Wrong Men North
Distributeur : Bac Films
Durée : 107 minutes
Genre : Drame
Date de sortie : 6 octobre 2021
Mon Légionnaire faisait partie de la sélection de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2021.
France – 2020